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[Théâtre] Andromaque, les héritiers

© Denis Gueguin

Éclatement des lieux, éclatement des esgourdes, cet Andromaque s’échoue entre humour et sérieux. Damien Chardonnet-Darmaillacq, met grossièrement en scène cette pièce de Racine qu’il créé cette année au Phénix de Valenciennes. Andromaque, les héritiers, spectacle compliqué, occulte malheureusement les nuances de l’oeuvre. Rien ne circule alors sur ces planches encombrées. Jusqu’au 10 Février, au Théâtre de la Cité internationale. 

La première parisienne a-t-elle connu des problèmes techniques qui auraient rendu floue notre écoute ? A l’image de Pyrrhus, fils de l’illustre Achille, tant souverain d’Épire que geôlier d’Andromaque, qui a le souffle coupé par un micro qui « bug ». Sa voix porte haut, certes jusqu’à la chambre haute de cette captive qu’il aime, mais sa mâchoire fatigue au terme d’une scène et demie… Il n’articule plus, on entend plus les vers. La faiblesse du recours à la technologie trahit dans l’incident, des voix qui finalement, se suffisent à elles-mêmes. L’option « modernisation » n’est pas au point. Et si cela ne suffit pas pour prouver qu’il s’agit d’un outil maladroit, convoquons là Oreste, le fils d’Agamemnon, qui grésille atrocement lorsqu’il hausse le ton. L’ambassadeur des grecs bousille les enceintes ainsi que les tympans de la salle toute entière.

Comment souscrire d’ailleurs aux fureurs et folies de cet amant transit d’Hermione ? La rage d’Oreste explose à peine dans de tristes mouvements, complètement coincé dans son blouson de cuir. Définitivement ce n’est pas mieux sans veste, il gigote nerveusement sur une scène rétrécie. Il y avait de l’idée à segmenter l’espace par région et par villes, mais c’est trop compliqué. Les comédiens bloqués par toutes sortes d’obstacles, malheureux symboles fixes des cahots intérieurs, figurent l’engoncement. Dans une absence de rythme, la hausse ponctuelle des décibels n’y fait rien. Le numéro de l’acte en cours, froidement projeté sur un rideau, rappelle d’un clin d’oeil lourd que l’on est au théâtre… Chronomètre de l’ennui un spectateur peut, sans rien rater, s’amuser à couper deux heures en cinq pour savoir où il en est.

Pyrrhus assassiné, la chute s’annonce enfin pour évoquer fureur et désespoir. Adulée par Oreste, Hermione l’indécise fustige ce dernier une fois qu’il accomplit la tâche qu’elle-même avait manipulée. Vient alors une tambouille autour de la folie d’Oreste, mélangeant tous ensemble clips crades et insensés ainsi qu’une musique toujours trop véhémente. Le bruit empêche le verbe, le drame est inaudible. Cet Andromaque ne donne rien, et c’est revendiqué.

Pas partageur ? Dommage… « L’amour n’est pas un feu qu’on enferme en une âme ». Il n’en demeure pas moins que cela tourne au grotesque, voire même à l’opaque. Andromaque la pauvre, jolie mais monocorde, manque de densité. Cléone, une suivante confidente d’Hermione, pourrait sauver la pièce ainsi que toutes ses femmes et leurs beaux paradoxes. Mais son genre l’en empêche, puisqu’on en fait un homme ! Et Hermione transsexuelle, cela semble un choix net, sauf qu’une fois validée pourquoi moquer l’idée ? C’est triste d’en vouloir rire, au XXIe siècle, et signifier par là qu’une femme inflexible devrait cacher un homme. Pas de demi-mesure, pas de subtilité, peut-être que ce casting n’aime résolument, ni Racine ni les femmes ?

« Andromaque, les héritiers » d’après Jean Racine, mise en scène par Damien Chardonnet-Darmaillacq. 

Durée 1h45. Plus d’informations sur : http://www.theatredelacite.com/programme/damien-chardonnet-darmaillacq 




« Andromaque » inégale au TNB

Copyright : M. Zoladz
Copyright : M. Zoladz

Prenant la guerre de Troie comme un exemple général de toutes les guerres, Frédéric Constant a monté Andromaque de Racine comme le troisième volet d’une tétralogie thématique étirée sur plusieurs années. Après deux créations contemporaines, le metteur en scène s’empare d’une tragédie classique Française, premier succès de Racine en son temps. Créé à Bourges en janvier 2014, le spectacle termine la saison au Théâtre National de Bretagne (à Rennes), avant de reprendre l’année prochaine.

Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus, qui lui, aime Andromaque ; mais cette dernière chérit encore son mari Hector tué pendant la guerre de Troie. Chez Racine, cette intrigue évidente à résumer sert de prétexte au développement des sentiments qui constituent la palette émotionnelle de l’âme humaine.

Pour rafraîchir la mémoire du spectateur, Constant fait précéder le drame d’un prologue splendide. Comme un clair-obscur à la De La Tour, des conteurs placés à cours narrent distinctement des passages de l’Illiade et l’Eneide, éclairant leurs visages à la bougie. Côté jardin, dans la pénombre totale, quatre acteurs sont pris dans une chorégraphie lancinante rythmée de bruits sourds, symboles peut-être, des épreuves passées de ces héros mythiques.

Puis, le drame débute. Au fil de l’histoire, quelques acteurs se distingueront plus que les autres dans cette distribution inégale. Le metteur en scène lui-même, jouant le rôle de Pyrrhus, ainsi qu’Hermione (Catherine Pietri) sont ceux qui s’émancipent le mieux des alexandrins pour parler aussi humainement qu’en prose. Oreste (Franck Manzoni) et Andromaque (Anne Sée) sont aussi justes, mais ils manquent parfois de vécu, notamment dans les monologues de conclusion, étirant artificiellement la pièce. Lorsqu’ils échangent entre eux, ils ont néanmoins toute notre attention. Malheureusement, on n’est pas certain que le reste de la distribution comprenne bien ce qu’il raconte : les jeunes sont scolaires et les plus âgés manquent de nuance. On pense notamment à Cléone (Cyrille Gaudin), confidente d’Hermione qui, lorsqu’elle parle, prend l’apparence d’une gargouille gothique : arquée vers l’avant, hurlant de façon linéaire – avec une diction allant volontiers vers une Marie-Anne Chazel façon Le Père Noël est une Ordure – et dont les yeux écarquillés menacent de sortir des orbites à chaque réplique.

Copyright : M. Zoladz
Copyright : M. Zoladz

La mise en scène semble étouffée dans une scénographie étriquée, absente à plusieurs reprises – les acteurs passent parfois de longs moments en avant-scène avec le rideau comme seul décor ; mais pourquoi ? Cette intrigue qui se déroule, à l’origine, dans une salle du palais de Pyrrhus, se passe ici dans ce qui ressemble à un salon bourgeois : fauteuil en velours, grandes baies, bar à whisky, rien ne manque. Si fortement identifiée, marquée, elle en devient monolithique. Les costumes prolongent ce défaut. Oreste est habillé en Tunique bleue de la bande-dessinée éponyme. On est plus dans la Guerre de Sécession que dans l’entre-deux-guerres revendiqué par le metteur en scène. Tout cela donne un sentiment confus.

Cependant, il faut souligner quelques bonnes idées, notamment dans l’utilisation de la vidéo : mais on aurait aimé en voir plus. Comme ce suicide de Céphise fuyant le palais pour se jeter du balcon intérieur d’un bâtiment en ruine sous les yeux d’Andromaque restée sur scène.

On ne sort pas conquis par ce spectacle, mais pas ennuyé non plus : quelques beaux passages nous font néanmoins ressentir toute la force du texte racinien dont Constant arrive à en souligner, à plusieurs reprises, toute la modernité.

 Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Andromaque », de Racine, mise en scène de Fréderic Constant, jusqu’au samedi 7 mars 2015 au Théâtre National de Bretagne, 1 rue Saint-Hélier (35000, Rennes). Durée : 3h (entracte compris). Plus d’informations et réservations sur www.t-n-b.fr