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[Théâtre – Avignon] Quand « Tartuffe » devient « Tartiufas »

Vesta Grabstaité et Giedrius Savickas dans les rôles de Elmire et Tartuffe © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Le metteur en scène Lituanien Oskaras Kosrunovas actualise le mythe de l’imposteur et réussit à transposer la partition de 1669 aux politiques nationalistes actuelles. Teinté de baroque et de burlesque, la pièce ne perd pas une once de la légèreté de Molière. Pour sa cinquième fois au Festival d’Avignon, le fondateur du Oskaro Korsunovo Teatras à Vilnius, conquiert l’Opéra Confluences.

La plupart s’arrêterons à l’esthétique du kitch. Dommage de penser une pièce par ce seul biais visuel. Certes il y a du très chic, avec la mère d’Orgon qui porte une rangée de perles, et du un peu moins chic chez Valère en survêtement Adidas. Mais ces costumes improbables renferment bien des caractères. Marianne, promise à Valère, est en pleine crise d’ado : elle a les cheveux roses, se maquille beaucoup trop et passe sa vie sur Snapchat. Mais Tartuffe, l’imposteur déguisé en prêtre, s’infiltre dans la famille pour tenter de l’épouser et récolter tout l’argent de son gros bourgeois de père, Orgon.

Si Molière propose une satire de la société au siècle de Louis XIV, Oskaras Korsunovas fait de même mais avec son époque. Bourrée de trouvailles hilarantes, la mise a jour y puise toute son énergie. À commencer par la vidéo, montrant les acteurs en train de jouer. Les nombreuses apartés dont recèle le texte prennent la forme de confessions, face-caméra en coulisses. C’est à a fois bien trouvé, bien dosé et efficace. Les frontières de la salle sont alors élargies et le 4e mur s’effondre avec humour : la caméra à l’épaule est loin d’être un caprice. Le récit s’actualise, non pas car l’outil est bel est bien moderne, mais plutôt parce que ce qui se tourne ressemble à une télé-réalité.

Mais Tartuffe c’est d’abord une fable comique. Et pas une once du texte, fondamentalement subversif, n’échappe aux comédiens. Casting équilibré : on ne sait dire lequel est meilleur que les autres. Entre éclats de rire allègres et raillerie politique, l’ironie est toujours fine et proportionnée. Korsunovas colle au texte mais l’augmente d’un pamphlet contre les dirigeants populistes d’aujourd’hui, et c’est bien à propos !

 

« Tartiufas » m.e.s par Oskaras Korsunovas d’après le « Tartuffe ou l’Imposteur » de Molière
Plus d’informations sur : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2018/tartiufas




[Théâtre – Avignon] « Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète »

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Raconter la guerre mais pas comme aux infos : quatorze comédiens nous la susurrent à l’oreille. Bercés par une douce pénombre leur récits sont terribles. Le metteur en scène Gurshad Shaheman choisit les témoignages d’artistes ou de personnes issus de la communauté LGBTQI+ et sa proposition est forte.

Plongée dans un noir profond, la salle écoute d’abord un garçon détailler son coming-out à sa mère. Une voix féminine s’adosse à la sienne pour laisser la parole à une transexuelle. Vivre de l’intérieur les bombardements en Irak, les fusillades de Bachar Al-Assad, là est le tour de force de Gurshad Shaheman. Né en Iran pendant la Révolution, l’acteur, performeur et metteur en scène a passé son enfance sur le front au combat dans les années 1980. Il se fait également le porte-parole d’exilés, lui qui a quitté son pays pour rejoindre la France, ainsi le recours aux micros permet de baigner à la fois dans la grande et la petite histoire.

Les mots dévoilent une fuite, celle du Moyen-Orient et des pays du Maghreb, qui ne s’explique pas seulement à cause des guerres locales. Persécutés du fait de leurs identités, particulièrement de genre, ces anonymes dont ne parlent quasiment pas les JT, ont trouvé sur la scène une voie pour s’exprimer. Mais pas question pour l’auteur de brosser le portrait de victimes de l’Histoire. On sent, tout au contraire, le désir de conquérir enfin sa liberté.  Les représentations, avignonnaises seulement, s’enrichissent de présences, celle de quatre exilés au milieu des acteurs. L’un chante dans sa langue, l’autre lit un texte en arabe ; on les démasque à peine et c’est revendiqué.

Au rythme aléatoire de leur prise de micro, les personnages allument ou éteignent une petite lampe, au sol, devant eux. Une « mise en présence plus qu’une mise en scène », comme le révèle Gurshad Shaheman en conférence de presse. Cette jolie trouvaille ouvre l’imagination d’un spectateur qui peut y comprendre un campement, pourquoi pas dans la jungle, mais de Calais bien sur. La pleine lumière revient et l’on découvre enfin que le temps du spectacle les comédiens avaient gardé les yeux fermés. Appel à l’Occident ? Peut-être qu’il est temps d’ouvrir grand les nôtres. Regarder en face ce qui se déroule aux portes de notre Europe, questionnée, divisée et prise à témoin désormais.

 

« Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète » texte et conception de Gurshad Shaheman
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/




[Théâtre – Avignon] Douce « Trans »

© Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Théâtre de témoignage ou de documentaire ? Didider Ruiz répondrait « théâtre de l’humain ». Metteur en scène de Trans (més enllà), il donne à voir les parcours de sept personnes forgées par une décision, un trajet : changer de genre. Pour sa création, la pièce se joue lors de la 72e édition du Festival d’Avignon.

La première jupe revêtue pour un petit garçon, le premier soutien-gorge enfilé pour un homme marié. Les familles acceptent rarement le changement de sexe, l’explication aux autres est souvent accidentée. La mise en scène, très sobre, offre un accès direct au récit de celles et ceux qui, déjà jeunes se sentaient prisonniers de leur enveloppe. Alors ils vont la changer, la modeler, la retoucher : ils racontent comment, pourquoi et depuis quand. On comprend finalement qu’au bout du long chemin de la transformation, le but poursuivi est l’apaisement de soi.

Fiers d’un accomplissement, les comédiens portent le même sourire, délicieusement mutin. Ils affichent le visage d’une revanche sur la vie, celle d’avant, plutôt triste. Les spectateurs pleurent, et rient aussi volontiers car les questions qu’un transexuel (ou transgenre) se pose sont parfois triviales. Conserver son pénis ou se le faire enlever quand on cesse d’être un homme ; garder ses seins ou non quand on ne se sent plus femme ? Voilà les interrogations auxquelles on est convié, par petites touches d’un humour tendre et raffiné.

La chorégraphie de Tomeo Vergés, collaborateur de longue date du metteur en scène, donne au corps toute sa place. À ceux qui se diraient que les témoignages sur scène « ça n’est pas ça le théâtre » (comme on a pu l’entendre à la sortie du spectacle), rappelons simplement que le théâtre est un reflet de la vie, en plus dense et plus fort. Pourquoi ne pas piocher dans l’existence, l’intime, pour fabriquer du jeu ? Sur les planches chacun devient un caractère, si ce n’est « més enllà » (« au-delà » en catalan) : un héros du monde contemporain. L’aplomb des personnages à raconter leurs histoires, à assumer le désir d’être libre en son corps, fait de ces vies un combat à la fois calme et grand.

La musique électro d’Adrien Cordier se marie parfaitement aux images projetées, magmatiques et suaves, réalisées par un groupe d’élèves des Gobelins. Ces interludes bercent la salle toute entière vers un profond sentiment d’empathie sans pathos. Dans une société qui cherche des étiquettes à coller sur les « cas » jugés particuliers, la transition de genre est d’une certaine violence. Didier Ruiz fait l’ellipse des slogans militants. Car son propos n’est pas celui d’un départ en croisade, il bien plus subtile.

« Trans » mis en scène par Didier Ruiz.
En tournée du 20 janvier au 16 mai 2019 : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Trans-mes-enlla/lesdates/




[Théâtre – Avignon] Thyeste à l’ombre de Sénèque

THYESTE © Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, le vent soufflait hier. Si le mistral a permis de magnifier les costumes, il s’engouffrait également dans les quelques tunnels du Thyeste mis en scène par Thomas Jolly. La tragédie de Sénèque n’aurait que peu souffert de deux ou trois coupes. Certaines scènes sont longues et pointent la limite d’une adaptation chargée. 

C’est une histoire complexe et rarement montée à laquelle s’attaque « l’enfant terrible » d’Avignon. Atrée et Thyeste sont jumeaux et rivalisent d’abjection pour succéder à leur père, l’infanticide Tantale. Condamné par les dieux à la soif et à la faim éternelle, l’ancêtre des Atrides qui avait osé douter des savoirs olympiens plongea sa lignée dans une abominable folie. Le spectre de la revanche pousse alors ses deux fils à redoubler d’horreur pour se châtier l’un l’autre. Tenant du rôle d’Atrée, le metteur en scène révèle bien tout l’effroi de la pièce, mais il prend son temps. L’exemple du messager (personnage féminin) qui rapporte la recette du festin cannibale prévu pour Thyeste, parvient difficilement à finir sa scène sans une certaine lenteur. Souvent c’est un sursaut, de lumière et de son, qui vient pour raviver une tension qui baisse au fil du spectacle. 

C’est d’autant plus dommage que la virtuosité ne manque pas à Thomas Jolly. Couché sur le côté la bouche grande ouverte, un visage occupe la droite du plateau pour signifier la soif. Sur la gauche une grande main se tend comme pour cueillir un fruit qu’elle ne peut pas atteindre. Le décor impeccable agit comme un fantôme du supplice de Tantale, inspirateurs des maux que s’infligent ses fils. Le choeur antique est actualisé dans la figure d’une jeune fille lookée punk-bariolée, qui slame parfaitement sur de la techno bien dosée. La musique fait sens et porte effectivement le sentiment tragique. Thomas Jolly sublime chacune des âmes malades qui flottent chez Sénèque, sans parvenir néanmoins à s’emparer de l’ensemble. Question de rythme, peut-être.

 

« Thyeste » de Thomas Jolly, d’après un texte de Sénèque traduit du latin par Florence Dupont
Du 6 au 15 Juillet, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Avignon
Plus d’information sur la tournée en France sur http://www.lapiccolafamilia.fr/tourneethyeste/