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Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé…

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         Et si, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin n’était pas tombé, dans quel monde vivrions-nous ? C’est une petite maison d’édition éphémère, les Uchroniques, qui s’est saisie de la question la première. Composée de quinze étudiants de la Sorbonne, elle publie cette semaine un unique beau livre auquel ont collaboré soixante écrivains, artistes, et illustrateurs: Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé – et tous ceux qui suivirent. En oscilliant entre violence, humour et poésie, cette anthologie de témoignages venus d’un monde parallèle fascinant entraine les lecteurs à la découverte de nouveaux pays, de nouveaux ordres politiques, de nouveaux hommes. Richement illustré et bourré d’humour, cet ovni littéraire a retenu notre attention. 

Pour comprendre cette uchronie, nous avons rencontré Guillaume Müller (l’un des éditeurs à l’origine du projet) dans la librairie-galerie Le Monte-en-l’air (71 rue de Ménilmontant, Paris) qui déborde d’étudiants à l’occasion du lancement du livre. A croire qu’une révolution se prépare…   

La question qui s’impose: qu’est ce que l’uchronie ?

L’uchronie, c’est un genre littéraire affilié à la science-fiction et basé sur le même modèle que « l’utopie ». L’idée est d’altérer ou de modifier un élément du passé et d’en imaginer les conséquences qui auraient pu suivre. Beaucoup d’auteurs se sont essayés à l’uchronie, de Philip K. Dick à Michel Déon en passant par Éric-Emmanuel Schmitt.

Pourquoi avoir choisi le mur de Berlin?David et la colombe

Tous les ans, les étudiants du Master 2 de Lettres Modernes Appliquées de la Sorbonne doivent réaliser un ouvrage dans le cadre de leur formation. Les éditeurs de ce livre et instigateurs du projet ont tous entre 22 et 26 ans. Nous appartenons tous à la génération de l’après chute du Mur. En novembre prochain, nous fêterons les vingt-cinq ans de sa chute. Parmi nous, personne ne l’a vécue mais c’est un événement à partir duquel s’est organisé le monde dans lequel nous vivons. Il est très présent dans notre mémoire collective. Pour nos parents, c’était hier. Pour nous, Berlin est la capitale européenne branchée par excellence. Il nous semblait important de se poser cette question: où en serions-nous si le 9 novembre 1989 s’était déroulé autrement? Cette année, Emmanuel Carrère est le parrain de notre promotion. Il a lui-même écrit un petit essai sur l’uchronie dans lequel il laisse entendre que la démarche est vaine.  En réalité, il dit que l’intérêt premier de l’uchronie, c’est la fiction qui peut en jaillir. Revisiter un événement historique est un formidable moteur de fiction. 

 

A quoi ressemble le monde dans votre livre?

A un monde aussi fou que le nôtre. Tous les extraits se valent, ils ont tous leur tonalité. Certains sont très sombres voire totalement décalés; toutes les oeuvres présentes dans le bouquin sont très fortes. Ca nous a beaucoup amusé en tant qu’éditeurs de voir certains personnages revenir régulièrement dans les contributions : Rostropovitch, le violoncelliste qui a improvisé un concert au pied du Mur ou encore David Hasselhoff qui a chanté « Looking for Freedom » sur le Mur. Ils appartiennent à la mémoire collective que nous avons du 9 novembre 1989 mais que seraient ils devenus si le Mur n’était pas tombé ce jour-là ? Il y a une contribution que j’aime beaucoup pour plusieurs raisons. Notre idée, c’était de recueillir des sortes de témoignages bruts de ces mondes parallèles. Diane Ranville a imaginé qu’en 1994, à la suite de ce qu’on a appellé la « Révolution Littorale », certains pays d’Amérique du Sud se sont ligués avec Cuba pour former les Républiques Unies d’Amérique du Sud. On découvre cette nouvelle configuration géopolitique à travers les extraits de trois journaux différents (Granma, The International Herald Tribune et Le Monde) disséminés dans tout le livre, journaux qui traitent la même information mais avec un regard différent à chaque fois. Elle créée quelque chose d’immersif, elle nous livre un instant réaliste et presque palpable du monde parallèle. Et surtout, on sort de Berlin, on voit bien que l’événement uchronique a des répercussions mondiales. Et puis vous avez entendu parler des mouvements contestataires au Vénézuela en ce moment ? Cet extrait montre bien comment notre livre, même si ce n’est que de la fiction est totalement en prise avec l’actualité.

Le mondePeut-on y voir un ouvrage « politique »?

Ca a été notre première crainte: tomber dans le jugement de valeur mais je crois que nous nous en sommes bien sortis finalement. Tous nos auteurs et artistes ont contourné le problème grâce à l’humour ou le second degré. Ca donne à l’ouvrage une tonalité plus pop et décalée que prévue. Certains ont décidé de ne pas se concentrer sur Berlin Est/Ouest et nous emmener au Japon, en Amérique du Sud, aux États-Unis ou même sur l’île de la Réunion, le champ des possibles est immense. Et puis c’est poétique aussi et très illustré. La plupart des auteurs que nous avons choisi de publier sont peu connus , ce qui ne les empêche pas d’avoir un grand talent. Lisez-le, c’est un très beau livre…

 

 

Pour revisiter l’histoire avec eux:

Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé, Les Uchroniques, 18 euros, 224 p.
– Site internet : lesuchroniques.fr
– Page Facebook : facebook.com/lesuchroniques et Compte Twitter: twitter.com/lesuchroniques

Du 21 au 24 mars 2014, Stand B23 au Salon du Livre de Paris, parc des expositions. Cinq exemplaires uniques reliés par des artistes diplômés de l’école Estienne et spécialisés dans la reliure d’art y seront exposés et proposés à la vente.

morgan

 




Jacques Lassalle nous emmène « Loin de Corpus Christi »

Copyright : Marc Ginot

La création de « Loin de Corpus Christi », pièce de Christophe Pellet mise en scène par Jacques Lassalle est inédite. Inédite parce que montée une fois à la Comédie de Genève, mais aussi par son format, son contenu, sa forme… Tout commence lorsqu’une passionnée de cinéma tombe sous le charme d’un acteur à la Cinémathèque Française, elle va partir à sa recherche… Ne se contentant pas d’intégrer du cinéma dans le théâtre, elle bouscule les frontières entre ces deux arts par une problématique difficile. 

Tout d’abord, en soulignant la différence d »importance du personnage face à l’Histoire. Bertolt Brecht et Richard Hart vivent dans le même Hollywood qui voit se produire la montée du macchartysme après la Seconde Guerre mondiale. Le premier personnage existe encore dans la mémoire collective, le second est presque oublié après quatre films. En interrogeant ce fait, Christophe Pellet questionne également notre obsession de l’image, du désir qu’elle nous procure et l’occupation de notre esprit par un acteur, son visage, ou le corps d’une héroïne de jeux vidéos.

Sur ces idées est écrite une pièce complexe qui nous fait jongler d’une époque à l’autre, en 1946, 1989, 2005 et 2025, mais pas forcément dans cet ordre… Jacques Lassalle a fait le choix du réalisme pour dépeindre ces espaces chronologiques. Dans un décor qui est une salle de cinéma, on fait des bonds dans le siècle, guidés par des panneaux dactylographiés sur le fronton de l’écran, comme dans un film muet. Les années changent mais le cadre reste, ces sièges rouges… Tout au plus quelques draps viendront les recouvrir…

Une étrange atmosphère

Divisée en deux parties distinctes (l’une d’1h20, l’autre d’1h), la pièce nous invite à suivre Anne Wittgenstein (Sophie Tellier). Passionnée de cinéma elle partage le coup de foudre qu’elle a eu pour Richard Hart avec son vieux professeur de cinéma, Pierre Ramut (Bernard Bloch), clin d’oeil amical au critique de cinéma toujours en activité, Pierre Murat. Il la met en garde, faisant référence au Portrait de Jennie de William Dieterle. Ce film où un peintre croise un soir une jeune fille dans un parc, la fait vivre dans une toile, et par mégarde, la ressuscite. Où se situent rêve et réalité ?

Ces discussions maître-élève sont une belle leçon de cinéma, qui ne laissent pas pour autant les non-initiés sur le bord du chemin. Bloch est touchant et humain dans ce rôle, sa disciple semble troublée, mais aussi follement amoureuse de ce nouveau visage inconnu. Léger bémol cependant, dans son jeu, Sophie Teillier vire parfois un tantinet groupie, on a l’impression qu’elle essaye de se convaincre de son amour, c’est gênant. 

On sent sur toute la pièce un voile de mystère, d’étrangeté. Des fantômes planent au-dessus de nos têtes. C’est d’ailleurs comme une apparition qu’arrive Richard Hart (Brice Hillairet), pour son premier rendez-vous à la MGM en 1946. Il est comme nous l’a décrit Anne Wittgenstein : absent, aérien, nous faisant douter de sa propre existence… Il a 20 ans, vient de Corpus Christi au Texas et appréhende la vie de Los Angeles, ses excès. Dans ce monde irréel créé par Jacques Lassalle, on est forcément questionné sur comment le cinéma nous absorbe, nous capte et nous plonge dans des sensations inconnues.

Aliénation par l’image

L’Histoire nous fait rester sur terre, la chasse aux communistes fait rage outre-atlantique. Richard Hart, faible d’esprit, gamin du « deep south », devient un informateur du gouvernement et cause la fuite de quelques uns des gens qui l’ont approché de trop près : Norma Westmore (Marianne Basler), Julie Arzner (Annick Le Goff), toutes deux excellentes dans leurs rôles respectifs. Bertolt Brecht (Bernard Bloch) est aussi conduit à s’échapper avec elles.

Puis on revient à notre époque, Anne a subi quelques épreuves qui l’ont conduite à abandonner Richard Hart.

Et vient Berlin-Est, Norma Westmore s’y est réfugiée depuis 25 ans, on vit avec elle la chute du Mur. La question de Richard, de l’image, la hante. Morritz, son amant d’aujourd’hui a les mêmes traits que son amour d’hier. Le jeune homme s’avère n’être en fait qu’un informateur de la Stasi. Toujours cette question de l’image, de l’espionnage et du jeu de dupe. Qui sont ces gens qui nous obsèdent et pourtant nous détruisent ?

Toute la pièce est une critique poétique de l’aliénation à l’écran, qui nous donne l’illusion de vivre dans un monde libre. Alors que sans cesse les spectres du passés montrent que ce n’est pas le cas, le mal n’est pas forcément où le plus gros doigt le pointe. La terreur ne règne pas là où on hurle le plus fort qu’elle existe. Et si « Loin de Corpus Christi » était le cri d’un désir de liberté ?

Avec une conclusion réussie, Jacques Lassalle propose une version compréhensible de cette pièce complexe, un pari qui n’était pas gagné d’avance.

Pratique : Jusqu’au 6 octobre 2012 au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 42 74 22 77 ou sur www.theatredelaville-paris.com / Tarifs : entre 15 € (jeune) et 26 € (plein tarif).

Durée : 2 h 20 (avec entracte)

Texte : Christophe Pellet (édité chez L’Arche)

Avec :  Marianne Basler, Annick Le Goff, Sophie Tellier, Tania Torrens, Julien Bal, Bernard Bloch, Brice Hillairet

Tournée :

  • Du 10 au 19 octobre 2012 au Théâtre des 13 Vents – Centre Dramatique National du Languedoc-Roussillon, Montpellier
  • Le 13 décembre 2012 au Préau – Centre Dramatique Régional de Basse-Normandie, Vire
  • Du 26 au 30 mars 2013 aux Célestins – Théâtre de Lyon



Plongeon dans le coeur de la « Démocratie » au théâtre 14

Copyright : Photo Lot

Sous le nom de « Démocratie », le théâtre 14 fait revivre l’un des plus grand scandale politique du 20e siècle : « L’affaire Guillaume », du nom d’un proche assistant du chancelier Willy Brandt qui était en réalité espion de la Stasi. L’intrigue se déroule à la charnière des années soixante.

Le public est invité à découvrir une version théâtralisée de ce drame passionant, signée de l’auteur britannique, Michael Frayn (à qui l’on doit également Copenaghe). Cette retranscription romancée ne perd pas pour autant son intêret historique certain. Sur scène, pour tout décor, des tables et des chaises en ferronnerie, malléables à souhait par les acteurs. Elles forment tantôt un grand bureau, tantôt plusieurs petites pièces, voir un coin de bistro ou un train. La délimitation des espaces et des époques est (très bien) faite par des jeux de lumières. En fond de scène, le Mur, alors construit en 1961.

C’est dans ce Mur que Willy Brandt va s’acharner à ouvrir une brèche, sans savoir que la Russie soviétique est au courant de ses moindres gestes par le biais de Gunter Guillaume. Officiellement syndicaliste, brave type, un peu gigoteur, il est agaçant par son côté groupie naïve. Alain Eloy campe très bien ce personnage. Comme Jean-Pierre Bouvier EST Willy Brandt. Tous les autres protagonistes incarnent à merveille leurs rôles, avec une mention spéciale pour le directeur des lieux, Emmanuel Dechartre, qui joue un Helmut Schmidt complexe et manipulateur effroyable, affirmant que « la démocratie doit être contrôlée ».

Ce monde ainsi dépeint est terrible, on y voit les rouages d’une démocratie d’après-guerre qui fait face tant bien que mal aux luttes intestines qui rongent l’intérieur du parti au pouvoir. Une histoire qui ressemble en de nombreux points au fonctionnement du Parti Communiste Chinois aujourd’hui… C’est dire le chemin parcouru.

En suivant Brandt et Guillaume, on vit une campagne, assiste aux tentatives de coalition, partage les doutes du candidat sur lui même, lui-même envers son équipe. Mais aussi les interrogations du parti à propos de Guillaume qui sera surveillé étroitement pendant de longs mois sans que jamais ne puisse être prouvée sa culpabilité. C’est lui-même qui finira par avouer, tiraillé entre sa fidélité à l’Allemagne de l’Est, son épouse, sa vie d’avant, et cette Allemagne qu’il construit corps et âme aux côtés de Willy Brandt, personnage profondément charismatique et pourtant méprisant à l’égard du petit peuple dont Gunter fait parti.

 « L’Affaire Guillaume » peut sembler complexe et difficile au premier abord. Mais les choix faits dans l’adaptation donnent à voir une histoire simplifiée de ses aspects administratifs, pour ne pas dire abrupts, elle insiste sur la relation entre cette poignée d’hommes de pouvoir. Le public est guidé, accompagné à chaque minute par un dispositif de flashbacks centrés sur Guillaume. On le voit raconter son épopée à un agent de la Stasi (qui s’invite parfois directement dans le bureau du Chancelier), et à d’autre moment le syndicaliste plonge dans ses souvenirs. La mise en scène de Jean-Claude Idée, est juste et précise, soutenant avec élégance la dizaine d’hommes qui incarnent les dirigeants, souvent tous sur scène en même temps, sans pour autant être au même point de l’Histoire. Durant toute l’intrigue, il y a si peu de sorties, que lorsqu’un personnage quitte le plateau, un vide se créé. Ces personnages de tout âge dessinent l’ossature générationelle du pouvoir.

Le monde décrit dans « Démocratie » est excessivement masculin (il n’y a que des hommes sur scène). Aucune douceur ni aucune finesse féminine viens tempérer les ardeurs et les concurrences permanentes qu’entrainent invariablement la concentration de testostérone. Cris, haussements de voix, échanges musclés, petites manipulations ponctuées de rires gorgés de nicotine. Tout est très bien décrit, rythmé, jusqu’à la chute (sans suspens) de Willy Brandt. L’homme qui était récompensé d’un prix Nobel de la Paix en 1971, se retrouve en 1974, tournant dans son bureau, ne parlant plus que de « falaises et de pistolets »…

Cette pièce est un conte moderne riche, prenant et peu tendre avec l’envers du décor de ce qui nous est souvent décrit comme le meilleur système politique au monde. Courrez, prenez de l’élan et jetez-vous avec lui dans l’une de ses chutes.



Pratique : Mardi, vendredi et samedi à 20 h 30. Mercredi et jeudi à 19 h. Matinée le samedi à 16 h. Jusqu’au 27 octobre au théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 45 45 49 77. Informations complémentaires sur theatre14.fr / Tarifs : entre 11 € et 25 €.

Durée : 1 h 40

Texte : Michael Frayn (traduit par Dominique Hollier)

Mise en scène : Jean-Claude Idée

Avec :  Jean-Pierre Bouvier, Alain Eloy, Frédéric Lepers, François Sikivie, Frédéric Nyssen, Freddy Sicx, Emmanuel Dechartre, Xavier Campion, Alexandre Von Sivers, Jean-François Guilliet