[Cinéma] Pour ne jamais oublier que L’Amour est une fête
Pour son quatrième long métrage, Cédric Anger braque son projecteur sur l’âge d’or du porno chic. En 1982, cette industrie florissante est encore soumise à une forte censure. Sur les tournages l’insouciance est de mise, la drogue et le sexe aussi. « L’Amour est une fête » raconte une belle aventure, celle d’une bande, d’une famille.
Lumière rouges, femmes sublimes, voir même sublimées par de lourdes boucles d’oreilles et autres chignons banane. Cédric Anger installe un décor érotique et dirty pour faire un film espiègle aux accents libertins. Cela fait bien longtemps qu’il voulait s’atteler à cette histoire du porno filmé en pellicule au « charme artisanal » comme il nous l’expliquait après la projection en avant-première à Bordeaux. Mais le réalisateur de La prochaine fois je viserai le cœur (2014), habitué au genre policier ne peut pas s’empêcher d’y camper quelques flics. Guillaume Canet est Franck, blond platine défoncé qui porte des blousons camel tandis que Gilles Lellouche tient le rôle de Serge avec ses chemises et ses pattes bien rétro comme il faut. Les deux tiennent un peep show au bord de la faillite en plein coeur de Pigalle, mais c’est une couverture afin de mener l’enquête sur un réseau mafieux parmi strings, jolis seins, strip-tease et grosses moustaches.
Alors pourquoi maintenant si c’est un vieux projet ? « Une récréation », explique Cédric Anger à Arkult. « J’ai eu envie d’un film solaire. Alors je ne sais pas si on fait un film contre le précédent, mais en tout cas dans celui-là a quelque chose de cette logique ». Au-delà du divertissement, le directeur de la photographie Thomas Hardmeier se doit d’être salué car ses images s’insèrent régulièrement dans le fond de nos yeux pour finir en mémoire. Les filles notamment, jamais réifiées, aiment toutes ce qu’elles font. Lorsque la jeune Caprice, irradiante grâce au jeu délicat et sensible de Camille Razat, tente le Conservatoire elle trouve dans cet univers une grande confiance en elle. C’est donc la face dorée du très clivant porno qui nous sera montrée, mais cela est assumé. Et ce n’est pas plus mal, car le libertinage porté haut à l’écran nous met face à nous même, du moins à notre époque.
Si L’amour est une fête, où en sommes-nous dans la teuf ?
Une « simplicité des rapports me semble manquer aujourd’hui » déclare Cédric Anger. Ces derniers temps renflouent une vieille pudibonderie, bien pensante et bien moche qui rend le porno triste. Une nostalgie douce berce ces quasi deux heures au cours desquelles on rencontre le réalisateur du porno qui va sauver l’affaire. Xavier Beauvois se glisse avec une justesse folle dans ce philosophe éthylique carburant au Ricard. Ex-æquo avec Vogel pour la palme du rôle le plus touchant : Michel Fau magistral est le producteur du décisif tournage, pseudo-méchant fragile, à la fois frère et père de ses « filles » comme il dit.
Mais le spleen se dissipe, Anger n’est pas passéiste. Derrière le vernis provoc’ (et pourtant historique) des clopes, coke, et acides saupoudré d’un peu d’herbe, on entend parler de l’art de tourner un film, porno ou pas d’ailleurs. Puisque L’amour est une fête, et que leur vie c’est l’amour, ils jouissent et puis point barre. Se trimballant à poil en plein milieu de la verdure dans la rosée du matin, ils transpirent finalement la liberté de corps mais surtout de l’esprit.