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« Les Estivants » dans la torpeur des vacances

© Cosimo Mirco Magliocca
© Cosimo Mirco Magliocca

Qui sont les Estivants ? Ces centaines de visages dessinés en surimpression sur le rideau de scène et les troncs d’arbres qui jalonnent la scène ? Deux gardiens les définissent dès les premières répliques : ils sont nécessaires à l’économie locale, mais ils ne sont pas pour autant les bienvenus. Ce sont ces gens qui font multiplier par 10 la population des petits villages côtiers et des stations de montagne. Ils ne respectent rien. Si les locaux ne s’intéressent pas à eux, l’inverse est aussi vrai.

Une fois installés dans leurs locations habituelles, les Estivants de Gorki ressemblent aux parisiens dans le Morbihan. Les conventions sociales conduisent les citadins à prendre des vacances, et par habitude ou par manque d’imagination plus que par plaisir, ils se retrouvent au même endroit chaque année. Toute la bande est là, sur scène à s’ennuyer. Une torpeur qui les pousse à lire le journal en entier jusqu’aux brèves. Mais voilà : l’oisiveté est mère de tous les vices. Les épouses deviennent méchantes et les maris maltraitent leurs femmes. Tout cela dans un concert d’ombrelles et de bruits d’oiseaux incessants. Ces Estivants ont beau essayer d’inventer quelques intrigues d’amour, toujours pour s’occuper, comme la paille appelle le sexe dans les campagnes reculées où il ne se passe pas grand chose. Untelle papillonne sur sa balancelle, l’autre sous son parasol. Promiscuité oblige, c’est un temps qui annihile tous les fantasmes que l’on peut encore entretenir sur ses fréquentations. On vit cette désillusion, comme celle de Warwara Mikhaïlovna (Sylvia Bergé), admiratrice de Yakov Petrovitch Chalimov (Samuel Labarthe), et qui se rend compte finalement, qu’il n’est qu’un homme comme les autres.

Dans la salle, les spectateurs murmurent : bien que de la même génération, Gorki n’est pas Tchekhov. Forcément, lorsqu’on parle d’ennui, de province russe, tout cela dans une ambiance collégiale, difficile de ne pas faire le rapprochement. Chez Gorki, les personnages se sentent supérieurs au reste du pays, quand chez Tchekhov, ils ne vivent que dans leur monde. On retrouve les personnages idéalistes comme Maria Lwovna (Clotilde de Bayser) qui attendrait des écrivains qu’ils s’engagent plus. Face à elle, des passéistes, des réactionnaires, des gens qui se plaignent que rien ne change mais qui n’ont jamais rien fait pour. Heureusement, il y a aussi l’esclave qui se libère, Vlas Tchernov (Loïc Corbery) écorché vif qui met de la vie et de la désinvolture dans ce monde propre en apparence mais où tout le monde a quelque chose à cacher. Quelques belles tirades finissent de donner son importance au texte, notamment de la bouche de Labarthe, écrivain qui cherche le visage de son lecteur et Calérie (Anne Kessler) qui profite d’une certaine folie pour mettre sans cesse les pieds dans le plat : « la vie de tout homme qui réfléchit est une catastrophe », dira-t-elle.

Ce rassemblement laisse place à des situations très amusantes, très bien jouées. On pense notamment à Bruno Raffaelli en bon capitaliste et exploiteur assumé qui finira par dépenser sa fortune dans des constructions d’écoles, dépité que son neveu, Piotr Ivanovitch Souslov (Thierry Hancisse), puisse un jour hériter de sa fortune. Mention également pour Alexandre Pavloff qui campe un Pavel Sergueïevitch Rioumine bégayant, dramatiquement drôle – et qui ratera son suicide en se tirant dans le bras.

Malheureusement, la mise en scène de Gérard Desarthe est ronflante. Les acteurs sont tous sur scène, et l’on passe d’une conversation comme d’un groupe à l’autre, sur une grande toile peinte avec costumes d’époque. Chaque groupe attend que l’autre ait fini pour commencer sa conversation. Au piano, c’est forcément les saisons de Tchaïkovsky qu’on entend. Rien n’est étonnant, et trois heures sans surprise, c’est long. On dirait Desarthe inspiré par Lelouch, Deauville en moins.

Le public finit par s’ennuyer avec les personnages. Sur scène, les acteurs baillent et une douce léthargie ne peut que nous envahir, tant nous ne sommes jamais brusqués. On assiste à une sorte de crise de la quarantaine collective que rien ne motive (pourquoi cet été-là plus qu’un autre ?). La phrase terminale résume finalement bien cette pièce mi-drame, mi-comédie : « tout cela est insignifiant, tout cela est dérisoire ». Et on sort de là engourdi, de corps et d’esprit.

« Les Estivants » de Maxime Gorki, mise en scène Gérard desarthe, jusqu’au 25 mai 2015 à la Comédie-Française, 2 place Colette (75001, Paris), en alternance. Durée : 3h (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Des liaisons dangereuses selon Marivaux

© Brigitte Enguérand
© Brigitte Enguérand

Dans « La Double Inconstance », Silvia (Adeline d’Hermy) est enlevée par le Prince (Loïc Corbery), car celui-ci s’est épris d’elle et il compte l’épouser. Celle-ci refuse, car elle aime Arlequin (Stéphane Varupenne) et jure de lui rester fidèle. La comédie va montrer toutes les manigances que le Prince met en œuvre pour tenter de délier les amants. Les premières tentatives échouent : Silvia ne veut rien entendre des promesses d’élévations sociales et Arlequin congédie Lisette (Georgia Scalliet) qui joue les midinettes peu farouche, pour tenter de le séduire contre l’assurance de fortune. Alors, Flaminia (Florence Viala), propose une nouvelle idée à son maître : faire en sorte que les deux amants désirent l’un et l’autre une autre personne.

Cette stratégie va s’avérer payante. Fine, intelligente et féline, Flaminia séduira assez vite Arlequin en se faisant passer pour son alliée dans la tourmente. Elle finira par se prendre à son propre jeu. De son côté, le Prince dont Silvia ignore l’apparence, endosse le rôle d’un simple officier qui lui avait rendu plusieurs fois visite peu de temps auparavant dans la forêt, et pour qui Silvia avait eu un léger béguin. Au fil de la pièce, avec cet humour prodigieux dont Marivaux a le secret, la technique fonctionne. On assiste à l’érosion d’une fidélité trop vite assurée et hésitante, chaque scène conduisant un peu plus vers la séparation inévitable. La « Double Inconstance » produit ainsi un double mariage.

Une fois de plus, la comédie de Marivaux oppose les classes sociales du début du XVIIIe siècle. Non pas dans un but révolutionnaire, comme on a voulu lui en prêter l’intention de manière anachronique, mais dans le but d’amuser. Et aujourd’hui encore, la « Double Inconstance » nous amuse. Cette bataille entre la fortune, le plaisir des aristocrates et la simplicité désirée et revendiquée de la part des pauvres fonctionne. Finalement, le marivaudage agit : les promesses s’étiolent, les amants se dénigrent et l’amour vrai triomphe.

Dans cette mise en scène réussie, Anne Kessler suit un fil évolutif. Elle donne à cette pièce une première image de légèreté, avant de laisser se construire une profondeur dramatique, qui augmente tout au long de la représentation. Au début, le décor n’en est pas un : il est la reproduction du foyer des acteurs de la Comédie-Française et nous assistons aux répétitions (le numéro des scènes est indiqué sur un écran). La répétition est parfois gênée par le passage d’une costumière ou d’un accessoiriste. La vidéo prolonge la vie des acteurs dans les couloirs ou sur le balcon, d’où l’on voit les voitures défiler sur l’avenue de l’Opéra. Dans les premières scènes, certains comédiens sont habillés en costume de ville, cannette de soda à la main ou baladeur dans les oreilles. L’habit arrive par pièce et s’avère, comme le décor, totalement terminé dans l’acte trois. Les acteurs se laissent ainsi totalement accaparer par les personnages.

La progression se lit aussi dans le jeu de ces derniers. Les premières scènes d’amour semblent mécaniques et finissent dans la dernière partie, par être totalement incarnées. Il y a un changement du degré de finesse du jeu en fonction de la chronologie. Et quel jeu ! Tous les acteurs sont excellents. La distribution est jeune, très vivante et sert ce texte classique à merveille : on entend tout. Et pour profiter du génie de Marivaux, cela est particulièrement louable.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« La Double Inconstance » de Marivaux, mise en scène Anne Kessler, jusqu’au 1er mars 2015 à la Comédie-Française, 2 place Colette (75001, Paris), en alternance. Durée : 2h15. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr