Après avoir mis en scène Rembrandt dans « La Ronde de Nuit » en 2007, Peter Greenaway a décidé de filmer un épisode de la vie du graveur Hendrik Goltzius dans un film éponyme : « Goltzius et la Compagnie du Pélican ».
Goltzius et sa Compagnie sont à la recherche d’un financement pour créer un atelier de gravure à La Haye. Le Magrave d’Alsace, chez qui ils sont de passage, accepte d’ouvrir sa bourse à une condition : qu’ils lui jouent sur scène durant six nuits les gravures érotiques promises en échange de son investissement. Ces dessins ont pour ambition de mettre en scène six tabous sexuels auxquels correspondent six scènes de la bible : le voyeurisme (Adam et Ève), l’inceste (Loth et ses filles), l’adultère (David et Bethsabée), la pédophilie (Joseph et la femme de Putiphar), la prostitution (Samson et Dalila), et enfin la nécrophilie (Salomé et Jean-Baptiste).
Cet épisode de la vie du graveur est complètement fantasmé, sa biographie nous apprend qu’il a eu les moyens d’ouvrir son atelier grâce à son mariage avec une veuve fortunée. Spectateur à la recherche d’un film biographique, fuis !
Peter Greenaway offre ici sa lecture d’un XVIe siècle complètement débauché et où les mœurs des puissants conduisent aux pires horreurs, en ce sens (et en ce sens seulement), il nous fait penser à une version édulcorée de Salò ou les 120 jours de Sodome de Pasolini. Ce jeu qui débute comme une simple farce pornographique se termine dans le sang, et la morale donnée par le personnage de Goltzius est effrayante de modernité. Cette modernité si essentielle au cinéma de Greenaway qui rapproche incessamment l’Histoire à la vie contemporaine. Les clins d’œil à ce sujet sont permanents, volontairement anachroniques, et ils sont flagrants principalement dans l’esthétique du cinéaste.
Chaque scène est un magnifique tableau. Tout le film a été tourné dans un hangar moderne désaffecté. Le réalisateur y installe, selon les scènes, l’ameublement nécessaire à la narration. Le mélange des genres est très réussi et les couleurs chaudes et sombres du XVIe siècle hollandais se marient à ravir avec les poutres métalliques et les perspectives profondes. La prison est également une réussite en matière de décor, elle est une véritable création piranésienne mise en mouvement. Le mélange des temps se ressent aussi dans la musique de Marco Robino, une sorte de baroque aux accents mélancoliques aussi très anachronique. Le film met néanmoins notre culture visuelle à contribution : les scènes sont parfois entrecoupées par la projection d’œuvres de Goltzius, ainsi que de reproductions picturales d’oeuvres de grands maîtres ayant représenté les péchés joués sur scène par la Compagnie du Pélican.
La mascarade est portée par un groupe d’acteurs justes, dont Goltizus (Ramsey Nasr) se démarque particulièrement dans son rôle de narrateur cynique dont chacune des phrases est parsemée d’ironie et d’humour noir. L’illustre compagnie du Pélican devient dans sa bouche « une petite entreprise d’import-export », la représentation des vices par les peintres : une manière puritaine d’exposer leurs fantasmes à tous (et si Greenaway nous exposer ses fantasmes à travers ce film?)… Cru, piquant, subversif, mais finalement assez sage, ce Goltzius de Greenaway est beau, mais pas transcendant.
Pratique : « Goltzius et la Compagnie du Pélican » sortira sur les écrans français le 5 février 2014.
« Comme un arbre perché », amitié transcendantale
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Douze ans après leur dernière dispute, Louis (Francis Perrin) vient rendre visite à Philippe (Patrick Bentley) dans sa chambre d’hôpital. Le second, universitaire et écrivain, a été victime d’un AVC dont la séquelle est un « Locked-In Syndrome ». Cet anglicisme désigne une paralysie totale du corps, mais une pleine conscience de l’esprit. Pour s’exprimer, Philippe bat des cils, un pour oui, deux pour non. D’abord effaré, Louis renoue peu à peu le dialogue avec son ami, jusqu’à la mort.
Francis Perrin est ici presque seul en scène. Le spectacle tient sur ses épaules. Les quelques petits dialogues sont ceux de Louis et la belle infirmière (Gersende Perrin). Philippe, lui, est placé de dos, proche de l’avant-scène. Le public se confond avec le mourant et devient, au même titre que l’alité, l’interlocuteur des introspections de Louis. On assiste à l’évolution du personnage principal devant à son ami immobile tout au long de la pièce. D’abord effrayé, au fil de ses visites il arrive à dépasser la maladie pour considérer le paralysé comme son camarade de toujours. Il partage sa solitude, sa tristesse, ses regrets qui jalonnent une vie déjà bien derrière lui. C’est une histoire sincère, simple et humaine à laquelle on participe émotionnellement.
Sans être pathétique, le texte de Lilian Lloyd allie la tristesse d’une mort imminente et l’humour juif le plus caractéristique, où les moments les plus sombres font naître les meilleures blagues. Des larmes montent, mais une fois sorties des glandes lacrymales, elles peuvent tout aussi bien couler de rire.
Face à « Comme un arbre penché », on pense aussi au « Père » de Florian Zeller avec un autre ancien du Français[1. Francis Perrin est entré à la Comédie-Française en 1972 et il en est parti en 1973] : Robert Hirsch. Cette dernière pièce connait un beau succès public et critique au Théâtre Hébertot depuis 2012. Les deux textes partagent une thématique commune : la chute médicalisée d’un homme vers sa tombe et la réaction de son entourage. Les points de vue divergent, mais des questions d’une importante modernité émergent : la fin de vie, l’intérêt de son accompagnement… En ce sens, « Comme un arbre penché » est une pièce modeste et touchante, mais elle s’inscrit pleinement dans l’un des enjeux politiques de notre époque.
« Les Gens » tournent en rond
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À la base, la création des « Gens » est plutôt une belle histoire : alors qu’il est directeur de la Colline, Alain Françon monte les célèbres «Pièces de guerre » d’Edward Bond. Entre l’écrivain et le metteur en scène, c’est le coup de foudre immédiat. Une envie si productive qu’Edward Bond n’écrira pas une, mais cinq pièces pour lui. De ce projet appelé la « Quinte de Paris », « Les Gens » est le quatrième opus. Après la grande première qui a eu lieu au TGP de Saint-Denis, Alain Françon a confié aux journalistes qu’il ne créerai pas la dernière pièce car elle est « immontable ». Dieu merci !
La mise en scène est intéressante, sur un plateau qui semble être un flan de montagne volcanique, les acteurs sont toujours en déséquilibre. Françon joue de ces étranges postures que cela provoque, et c’est bien maîtrisé. Les lumières complètent l’ambiance de ces tableaux funestes, tantôt très présente, tantôt presque absente, il n’y a pas de doute, c’est beau. Mais la beauté ne suffit pas, ou peu : elle lasse vite quand il n’y a qu’elle. Et c’est bien là le point noir de ce spectacle.
Le texte est en grande partie imbuvables. Dans une dystopie qu’on imagine post-apocalyptique, le drame se déroule dans un cimetière. Des hommes errent, ils sont profondément abîmés, comme le paysage. Chaque personnage (ils sont 4) est enfermé dans une histoire qu’il répète inlassablement de plusieurs façons. Les temps de lucidité dans leur histoire laissent apparaître un profond désespoir. Toutes ces phrases n’arrivent nul part, ou disons que, la fin est si prévisible qu’elle ne nous surprend pas. On se rend compte que les protagonistes avaient tous (plus ou moins) une relation qu’ils ont tous (plus ou moins) consciemment oublié à cause d’horreurs vécues.
Et pourtant… Quelques idées apparaissent, très actuelles, sur l’impossibilité de la communication entre gens proche. On y lit aussi l’absence de bienveillance à l’attention des autre, on y voit l’existence comme un simple rite funéraire. Mais tout cela est très brouillon.
On en vient à plaindre les acteurs, particulièrement Dominique Valadié et Aurélien Recoing qui font preuve d’un jeu assez virtuose, mais qui ne suffit pas à nous accrocher. Dans cette situation qu’ils jouent le texte des « Gens » ou qu’ils jouent « Les Pages Jaunes », l’effet pour le public sera sans doute le même.
Pratique :
Jusqu’au 7 février 2014 au théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis (Métro Basilique de Saint-Denis)
Lundi, jeudi et vendredi à 20h / Samedi à 18h / Dimanche à 16h
Durée du spectacle : 1h45
Tarifs : de 6 à 22 euros.
Réservations au 01 48 13 70 00 ou sur www.theatregerardphilipe.com/
« Le Canard Sauvage », dramatique liberté
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Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.
C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.
Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…
Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.
Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.
Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr
« Platonov » en queue de pie et au vin rouge
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Platonov est une pièce qui pourrait se résumer assez simplement : dans une commune de la Russie rurale où tout le monde s’ennuie, un homme chamboule les habitudes des villageois à tel point que nul ne vivra plus jamais comme avant. Un héros créateur de scandale, critique des pères, provocateur qu’aucune convention n’arrête… Benjamin Porée respecte l’essence de la pièce et nous en propose une lecture très esthétique.
C’est le gigantesque espace des Ateliers Berthier qui sert de cadre au drame. Ce qui frappe avant même le début de la représentation, c’est l’utilisation de la scène par le décor. Cette sensation de profondeur nous habite du début à la fin. Elle est une composante essentielle de la mise en scène[1. Le spectacle a été créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves]. Benjamin Porée est lui-même l’auteur de cette scénographie dans laquelle il a orchestré ses acteurs. Le parti pris n’est pas au réalisme : la première action pourrait se situer dans un jardin du sud de la Russie comme dans la cours d’un mas de Provence. Chaque image qui compose les tableaux qui se succèdent est très réussie. La première partie du spectacle est collégiale : jusqu’à une quarantaine d’acteurs viennent occuper le plateau pour le bal. Puis, la cour d’école est occupée par une forêt de balançoires qui descendent du plafond. Enfin, le dénouement se déroule dans le salon du domaine familial, pièce meublée dans une ambiance Belle Époque déglinguée où une immense peinture abstraite fait office de toile de fond. Toutes ces images sont mises en lumière magnifiquement par Marie-Christine Soma, qui, avec ce qu’il semble être une simple ampoule, nous fais basculer de la liesse populaire à la tristesse intime des personnages.
Dans cette succession de décors, les comédiens évoluent et montent en puissance dans leur jeu tout au long du spectacle.
Un démarrage difficile pour une fin réussie
Car dans les premières scènes, les textes sont dit mécaniquement, les personnages (hormis Platonov) ne se démarquent pas les uns des autres, les actions sont molles et manquent de motivation… Mais après peut-être est-ce un choix de Porée pour représenter dans quel ennui ces villageois sont agglutinés. Si tel est le cas, le but est atteint : pendant la première heure, le public s’ennuie autant que les personnages.
Puis, le banquet arrive. D’une manière générale, cette scène bien composée mais manque un peu de folie : c’est très sage. La volonté d’une démarcation générationnelle ne ressort pas. Ici, la révolution des consciences se fait au vin rouge, pas à la vodka. On y voit Platonov comme une sorte de Valmont bas de gamme qui planifie ses conquêtes de la nuit à venir. Tout cela manque de naturel, de distance, et peut-être même d’une certaine grandeur. Néanmoins, on sent un changement à venir, une nouvelle étape de la montée en puissance grâce à la scène où la générale Anna Petrovna se déclare à Platonov.
À partir de cet instant, la suite de la pièce est sans faux-pas. On est véritablement surpris, Sofia Iegorovna (Sophie Dumont) fait enfin ressortir son talent face au héro, Sacha (Macha Dussart) est particulièrement touchante dans l’attente de son mari dont elle ressent la tromperie… Cette lancée se poursuit après l’entracte où la chambre du héros ressemble à la pièce d’un squat. Enfin ! Moins de sagesse, plus d’insalubrité. On gagne véritablement en profondeur de jeu : le contraste d’avec la scène d’exposition est surprenant. On ressent désormais la sensation des personnage : celle de n’être personne et la colère de ne rien pouvoir y changer. On ressent cette douleur dûe à désillusion collective, on partage cette prise de conscience générale de subir une vie de merde qui nous colle la peau, jusqu’à l’explosion finale.
Ce qui avait commencé comme un cauchemar se termine comme un joli rêve pour le spectateur, et si cette création n’est pas parfaite, elle a le mérite d’être réussie.
Pratique :
Jusqu’au 1er février 2014 aux Ateliers Berthier,
14 boulevard Berthier (75017 Paris).
Du mardi au samedi à 19h00. Le dimanche à 15h
Durée du spectacle : 4 h 30 [avec un entracte de 30 minutes]
Tarifs : de 6 à 30 euros.
Réservations au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu.
Vivre, par défi ou par dépit
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C’est dimanche dans cette ville de l’est de la France. La dernière mine de charbon a fermé. Elle sera désormais un parc d’attractions. De cet événement naissent neuf histoires (qu’on imagine parmi tant d’autres) qui vont se dérouler devant nous. Neuf « tranches de vies » dans un pays sinistre, délabré, oublié par le monde moderne et le capitalisme financier. « Entre-temps j’ai continué à vivre » expose les blessures des habitants de cette bourgade. Mais la pièce montre aussi comment la vie suit son cours, que ce soit par désir ou par dépit.
Deux sœurs se retrouvent, l’une est partie de sa ville natale depuis longtemps. Elle ne s’est pas donnée la peine d’accompagner son père, mutilé par la poussière âcre des galeries, jusque dans sa tombe. L’autre le lui reproche et refuse de voir en elle une personne qu’elle aime. D’anciens collègues se retrouvent, parlent d’histoires d’amour, de vieilles rancœurs en sortent… Ces espèces de contes qui pourraient nous faire penser à des « Strip-tease » des années quatre-vingt-dix sont soutenues par des comédiens au jeu très réaliste (bien que la scénographie propose un décalage : c’est une sorte de carré pentu trônant au cœur de la scène dont les acteurs font tour à tour un mur, une pente de jogging ou le sol d’une chambre).
Mais attention, ce n’est pas qu’une suite de sombres drames auxquels nous assistons. Le texte contient de nombreuses touches d’humour et de cynisme, de l’amour raté et une mise en dérision des conventions sociales dans lesquelles sont souvent représentées (et caricaturées) les classes populaires.
Entre chaque scène, la lanterne rouge de l’ancienne mine scintille, comme un fantôme, un souvenir obscur qui a marqué l’âme des personnages au fer et qui plane au dessus de leur vie, inexorablement. Et nous, spectateurs, on explore les souvenirs comme les mineurs des galeries, à la recherche d’une matière pour se réchauffer, ou dédramatiser.
Pratique :
Jusqu’au 2 février 2014 dans la salle Rouge du Lucernaire,
53 rue Notre-Dame-des-Champs (75006 Paris).
Du mardi au samedi à 21h30. Le dimanche à 17h
Durée du spectacle :1 h 10
Tarifs : de 15 à 30 euros.
Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.
Une soirée au Petit-Saint-Martin : « La beauté » et « Ring »
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On peut apprécier passer une soirée sur les Grands Boulevards [1. Les boulevards qui relient la place de la République à l’entrée du boulevard Haussmann sont, depuis le XVIIe siècle, le point géographique où sont rassemblés à Paris les théâtres de divertissement pour le public populaire], sans pour autant aimer péter au lit avec son épouse. C’est pourtant ce que semble sous-entendre Eric Loret dans un article un brin condescendant, paru dans la série « Libé » explore le théâtre de boulevard, où il traite (un peu) du spectacle Divina, mettant en scène Amanda Lear dans une pièce de Jean Robert-Charrier.
Eric Loret incarne dans cet article, le critique (trop) snob, rappelant les nobles qui venaient « s’encanailler » sur les boulevards au XVIIIe. Pour ce public étaient prévus des loges munies d’un grillage, afin d’assurer leur discrétion dans ces lieux affreusement populaires. Un snobisme de la part de Loret, qui s’illustre par la nécessité de donner son avis sur tout, et surtout pas sur l’essentiel. On a droit à son avis de critique mondain sur le public (« Un monsieur d’une soixantaine d’année avec sa maîtresse »), monsieur Loret est-il aller demander s’ils étaient bel et bien amants ? On notera ici l’allusion sexiste volontairement boulevardière, où il n’existe aucune possibilité que ce soit « une femme d’une soixantaine d’année avec son amant ». On a ensuite droit à l’avis de critique gastronomique, quand il commente la commande du couple précédent (« ce sera deux suprêmes de volailles »), comment ? Tous les publics de théâtre ne commandent pas des « émulsions » et autres « gyosa » avant d’aller au théâtre ? Dieu que le boulevard Montmartre est rétrograde…
On a droit ici à ce que Libération fait (rarement heureusement) de pire. Où la critique montre sa face moribonde, affreusement tournée sur elle-même, s’illustrant à destination d’un public d’amis.
Nous revendiquons donc, sur Arkult, le droit de pouvoir s’amuser sur les boulevards, de temps en temps, pour lâcher prise, pour se vider la tête, car c’est un moyen comme un autre après tout ? C’est moins classe qu’un rail de coke, c’est sûr, mais selon le public, c’est tout aussi efficace. Il faut de tout pour faire un monde, non ? [2. Aaaah ! Encore un horrible adage populaire !]
De notre côté, jeudi soir, on est allé passer une soirée très enrichissante au théâtre du Petit Saint-Martin. Qui n’a bien sûr pas la même vocation drôlatique » que celui des Variétés, mais qui a le malheur de se trouver dans la même zone géographique. Et pourtant, les deux productions qu’il accueille sont excellente et « de très bon goût ».
La beauté, recherche et développement
Le spectacle de début de soirée accueille le public au son d’une voix off toussoteuse qui semble se vouloir rassurante. On se croirait entré dans un séminaire de développement personnel dont la brochure aurait été trouvée dans un Nature et Découverte, un soir de novembre. Quand la lumière s’éteint, c’est un « voyage » qui commence. Conduit par Brigitte et Nicole, ce parcours sur plateau nu met à l’épreuve l’imagination du public. Un public venu suivre une visite guidée sur la notion de beauté.
C’est sans machine et sans gadget que le duo nous guide dans l’aventure. Leur jeu est très complémentaire, elles sont là pour nous faire du bien, pour nous montrer le beau, sans pour autant masquer leur faiblesse (feinte), qui fait voir le beau en chaque chose. Elles sont un mélange entre des Madame Loyal et des vendeuses-animatrices de grande surface des années quatre-vingt dix, empaquetées dans une gestuelle clownesque.
L’humour ne réside pas forcément dans leurs répliques, mais dans l’auto-réaction qu’elles suscitent, leur simplicité les amuse et nous amuse dans la foulée. L’inspiration du texte ? La vie d’une quadra de classe moyenne, dans la vie de tous les jours. On joue sur les mots, sur le registre de l’autodérision, mettant en lumière la faiblesse des moyens techniques pour soutenir leurs discours. On notera la richesse d’investissement corporel des actrices qui ont le talent de nous faire sourire d’un geste de main (alors imaginez quand elles dansent !).
Quelques zones d’ombre dans la vie de Brigitte et Nicole jalonnent ce « voyage » et n’en font que ressortir la drôlerie pour le public. On relève la dédramatisation du monde actuel, celui qui est prêt aux pires horreurs pour retrouver la beauté, et qui finalement se mutile. Une certaine poésie réside dans les métaphores et offre finalement plusieurs niveaux de lecture au public. A la fois drôle et intelligent, ce spectacle est un manifeste humaniste.
Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/
Durée : 1h10
Mise en scène : Pierre Poirot
Avec : Florence Muller, Lila Redouane
Ring
A 21 h, place au spectacle de Catherine Schaub mettant en scène Audrey Dana et Sami Bouajila, Ring. Dans ce décor moderne, une toile blanche étendue sur le mur et sur le sol, deux accessoires : un banc et un lit et se déroulent devant nous toutes les facettes de l’amour.
Cette suite de tableaux débute par une dispute de couple banale, entre Adam et Eve. Elle s’ennuie, elle veut « s’épanouir intellectuellement » et son mari ne sait plus quoi faire pour qu’elle puisse se divertir. Le problème ? Ils sont seuls. Plus tard, un autre couple : elle domine et veut de la baise, et c’est elle qui fait peur à l’homme. A un autre moment ils se connaissent à peine, ou se rencontrent par hasard. Les rôles changent et s’inversent et on est souvent surpris. Il y a du sexe, de la violence, de la volupté, parfois un peu de passion, et beaucoup d’amour.
Quand on lit le paragraphe précédent, on pourrait croire qu’il y a du drame dans toute la pièce. Oui, il y en a, mais il passe au second plan derrière tant d’humour. Le texte de Léonore Confino est extrêmement drôle, il est d’un style très affirmé et audible. Dana et Bouajila se l’approprient profondément et s’investissent corps et âmes sur le plateau, dans une mise en scène, tout en déséquilibre, réussie. Le plaisir que ces comédiens ont à jouer ensemble est visible, palpable.
Le décor est sensitif, le blanc se prête à la réflexion du bleu, du rouge, à la projection d’un décor en 3D et contribue (avec la musique, électronique, parfaitement froide mais agréable) à nous plonger dans une sorte d’hors-temps et d’hors-espace, bien que les histoires racontées mettent en lumières les problèmes relationnels et existentiels d’un couple moderne, dans un échange dominant/dominé. Des histoires d’amours difficiles, mais qu’on a un plaisir fou à vivre quand on est dans le public.
Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/
Durée : 1h40
Mise en scène : Catherine Schaub
Avec : Audrey Dana, Sami Bouajila
« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère
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C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]
Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…
Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.
Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.
Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.
La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.
« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com
L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête
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En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.
Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.
Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].
Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.
Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.
Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.
Durée : 2 h
Texte : Molière
Mise en scène : Philippe Adrien
Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.
« Tout est normal mon coeur scintille » et Gamblin irradie à nouveau
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Quand la lumière s’allume l’acteur est déjà sur scène. La salle est pleine. La scène est vide.
A l’exception donc de Jacques Gamblin et d’un spot de lumière dans lequel, d’ailleurs, il n’est pas. Débute alors un one-man show. Puis le one-man show se fait poétique et très vite la danse vient faire écho à la narration. Gamblin est alors rejoint par deux danseurs et l’écran noir qui obturait le fond de la salle devient tableau.
Jacques Gamblin semble conduire à voix haute la réflexion qui l’habite, revivant des scènes de son enfance ou incarnant des animaux. La danse toujours prolonge le discours et entre parfaitement en résonance avec le sentiment qui l’anime. La danse et le théâtre paraissent faits l’un pour l’autre, contrairement aux deux personnages dont Gamblin tracent le contour à demi-mots.
Une rupture : voilà le début de la réflexion de « Tout est normal mon cœur scintille ». Mais finalement le thème en est l’Amour. Et comment mieux d’écrire l’amour que quand on vient de le perdre ?
C’est un texte vérité qu’a écrit Gamblin et qu’il rejoue au Théâtre du Rond Point avec beaucoup d’humour. Un texte avec des bons mots qu’on aimerait noter dès qu’on a fini d’en rire. Il semble énoncer clairement ce que chacun pense confusément, comme une projection de votre esprit mais en plus fluide, en plus limpide. Un univers onirique évoquant Tree of Life (1) avec des petits bonshommes en costume sur fond de ciel nuageux à la Magritte (2).
La prestation de Gamblin est éloquente de souplesse.
Palpitant, en pantin électrique.
Touchant, en homme blessé malgré ce ton décalé enjôleur.
Les danseurs Claire Tran et Bastien Lefèvre occupent superbement toute la surface qui leur est offerte et insufflent l’air nécessaire à la réflexion en entraînant avec eux Gamblin qui exécute quelques pas de danses.
Quand le spectacle est terminé, c’est au public d’applaudir. Usant ainsi de ses deux mains pour émettre une onde en propulsant énergiquement la paume gauche contre la paume droite (l’inverse fonctionnant aussi). Par l’applaudissement, il semble entendu tacitement que le public signifiera aux acteurs sa satisfaction d’avoir acquis un siège pour quelques heures dans ce théâtre et pour cette pièce.
Ainsi, par une équation savante effectuée entre la vigueur des applaudissements et leur longueur on obtient un degré d’échauffement/irritation de la paume de la main.
Les miennes après la représentation de « Tout est normal mon cœur scintille » étaient diablement échauffées.
Notes:
(1) Tree of Life, film dramatique américain écrit et réalisé par Terrence Malick, interprété par Brad Pitt, Sean Penn et Jessica Chastain palme d’or à Cannes en 2011.
(2) René Magritte, peintre surréaliste belge.
Pratique : Jusqu’au 3 Mars 2013 au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (VIIIe arrondissement, Paris)
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr Tarifs : entre 15 € (moins de 30 ans) et 36 € (plein tarif).
Durée : 1 h 30
De et avec : Jacques Gamblin
Collaboration artistique : Anne Bourgeois
Danseurs : Claire Tran et Bastien Lefèvre
« Trois petits cochons » déjantés à la Comédie Française
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Les Trois Petits Cochons, adapté très librement du conte populaire par Marcio Abreu et Thomas Quillardet fait partie de ces (rares) spectacles jeunesse à offrir aux parents une joie ne se limitant pas seulement aux rires de leur progéniture, tous en redemandent. Ce monde déjanté et cartoonesque, où le loup balaye les maisons avec son souffleur de feuille est tellement barré par moment qu’il fait rire les plus récalcitrants.
Rarement il est donné de voir une famille de petits cochons aussi humaine. La mère-truie (Bakary Sangaré) dirige avec bonheur sa fratrie joyeuse (Julie Sicard, Stéphane Varupenne et Marion Malenfant), jusqu’au jour où le boucher-loup (Serge Bagdassarian) vient l’emmener, et que la petite famille se retrouve orpheline, contrainte à faire le tour du monde en quête d’un nouvel abri.
Commence alors un long périple, voyage initiatique, où malheureusement, à chaque étape, avant l’arrivée, un petit cochon sera mangé par le grand méchant loup. Découverte d’un monde inconnu plein de dangers.
Les moments d’excitations contrastent avec les instants chaleureux. La création d’ambiance est incroyable. Les temps de fuite entraînent le public dans l’excitation, et les instants de calme dans les maisons nous reposent de ces courses effrénées.
Si sur scène, les petits cochons ont la « saudade » de leur ancienne vie, pour le public c’est une vision complètement nouvelle du conte qui s’offre, et c’est excellent.
Pratique : Jusqu’au 30 décembre au studio-théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, Paris. Réservations par téléphone au 0825 10 16 80 ou sur www.comedie-francaise.fr/. Tarifs : entre 8 € et 18 €.
Durée : 1 h
Mise en scène : Thomas Quillardet
Avec : Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Stéphane Varupenne, Marion Malenfant.
Hip-hop et capoeira pour « Roméo et Juliette »
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Cette semaine, Paris a accueilli le dernier spectacle en date de David Bobee. Créé à la biennale de la danse de Lyon en septembre, le metteur en scène y propose un « Roméo et Juliette » dans un décor solaire aux accents orientaux.
Bien évidemment, pendant tout le spectacle, la danse et l’expression corporelle, sont aussi importantes que le texte de Shakespeare. Les affrontements entre Montaigu et Capulet se font en hip-hop et en capoeira. Le duel entre Tybalt et Mercutio est particulièrement brillant dans le genre et leurs fantômes, magiques. Le cirque et la musique ponctuent le spectacle et laissent ainsi le temps au spectateur de respirer pendant les 2h45 que dure la représentation (sans entracte).
Cette approche très physique de la pièce laisse apparaître de belles scènes, véritables tableaux. L’utilisation de l’espace monumental est remarquable. On aperçoit parfois ce que cette histoire aurait pu donner visuellement si elle s’était déroulée dans l’Alhambra de Grenade.
Et cela n’empêche pas certains acteurs, très théâtraux d’être excellents. C’est le cas notamment du Prince (Thierry Mettetal), Benvolio (Marc Agbedjidji) et de la nourrice (Veronique Stas), très drôle. Mercutio (Pierre Bolo) dans son personnage aux accents hip-hop jusqu’au bout des ongles est aussi intéressant dans son registre. D’autres font plus parler leur corps, comme Tybalt (Pierre Cartonnet). Et le duo Grégory / Samson (Edward Aleman / Wilmer Marquez) donne un numéro de cirque à couper le souffle au cœur du spectacle.
Mais la pièce pêche un peu au niveau des rôles principaux. Le Roméo (Mehdi Dehbi) et la Juliette (Sara Llorca) manquent de profondeur chacun dans leur personnage, et surtout, c’est leur relation qui manque de sensualité. A l’exception de la scène du balcon où le duo fonctionne plutôt bien, il est difficile de croire à leur amour. L’émotion décrite n’est pas vécue par les personnages.
David Bobee fait néanmoins ressortir de cette interprétation moderne un drame contemporain. La traduction a été revue, laissant entendre la crudité de certains passages. Sont visibles pendant la pièce quelques questions de notre époque, la pression des pères, qui donnent à voir des humains voulant tout, tout de suite et sans passion, « les plaisirs violents connaissent des morts violentes »…
Pratique : Jusqu’au 23 novembre au théâtre National de Chaillot, 1 place du Trocadéro (75116, Paris). Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur http://theatre-chaillot.fr/. Tarifs : entre 8 € et 33 €.
Durée : 2 h 45
Mise en scène : David Bobee
Avec : Mehdi Dehbi, Sara Llorca, Veronique Stas, Hala Omran, Jean Boissery, Pierre Cartonnet, Edward Aleman, Wilmer Marquez, Radouan Leflahi, Serge Gaborieau, Pierre Bolo, Marc Agbedjidji, Alain d’Haeyer, Thierry Mettetal
Tournée :
Le 27 novembre 2012 au théâtre municipal TCM, Charleville-Mézieres
Les 12 et 13 décembre 2012 au théâtre de l’Agora, Scène nationale, Évry
Du 19 au 21 décembre 2012 à La Filature, Scène nationale de Mulhouse
Du 15 au 18 janvier 2013 au Lieu Unique, Nantes
Du 23 au 26 janvier 2013 au CNCDC, Châteauvallon
Les 31 janvier et 1er février 2013 au Granit, Scène nationale de Belfort
Les 7 et 8 février 2013 au Manège, Scène nationale de Maubeuge
Du 12 au 15 février 2013 au théâtre de Caen
Le 19 février 2013 à la Scène nationale 61, Flers
Du 26 au 28 février 2013 au Carré – Les Colonnes, St-Médard-en-Jalles
Les 14 et 15 mars 2013 à l’Hippodrome, Scène nationale de Douai
Du 19 au 22 mars 2013 à la Comédie, CDN de Béthune
Les 26 et 27 mars 2013 au Carreau, Scène nationale de Forbach
Le 4 avril 2013 à l’Avant Seine, Colombes
Les 14 et 15 mai 2013 au TAP, Scène nationale de Poitiers
May Day May Day
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« Il est libre Max, y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler », oubliez immédiatement la pub vantant les patchs nicotinés pour fumeurs invétérés. Amis rêveurs et penseurs voici un son, que dis-je, une invitation qui vous séduira. Somewhere to be found, le premier album de May Day s’adresse au petit prince qui roupille au fond de votre esprit d’urbain-hyperactif. Mélancoliques ou pêchues, les chansons du duo sentent les grands espaces de l’Ouest Américain ou les plaines de l’Aubrac. Natures, Maud Naïmi et Julien Joubert nous offrent de bien belles pistes, propres à l’envol. Leur liberté discrète tatouée dès leur premier EP (Meet my love) semble désormais imprimée sur un large tissu aux motifs fleuris et liberty.
Après quelques notes on les imagine bien tous deux sur une petite scène mal éclairée d’un bar californien crasseux des années 50.
Surannée et presque désuète leur musique est romantique et poétique.
Conçu comme un voyage, fait de nouveaux départs « Start Again I » et « II » pour mieux rentrer à la maison « Home ». C’est la playlist d’un automne lumineux et rêveur.
Le clip délirant de Home dans lequel des septuagénaires (n’en disons pas plus, il ne faut vexer personne) participent à un houleux triathlon de bilboquet, lutte romaine, jeux de dés bien arrosés…
Sans vouloir passer l’album au peigne fin, gros coup de cœur pour « Closer », moitié pop, moitié rock et suffisamment original pour avoir l’anatomie d’un tube.
Punchy « Gone » qui illustre parfaitement ce choix du duo d’opter pour des protagonistes attachants et un brin paumés.
Etrange « White Knight » qui évoque la B.O de Titanic par le langoureux appel hypnotique de Maud dont la voix est « sirènesque ».
Triste berceuse que « Lullaby » qui semble entrer en résonance avec une détresse assumée et onirique.
On peut rester assez hermétique à l’association cuivres-voix de « Out of my mind » ou la dureté de « Temper », trop rugueux.
Mais quand Bettina Kee A.K.A Ornette se (re)met au piano dans « Broken Glass », alors là ça y est, on sort les grands mouchoirs.
Le 8 Octobre 2012, vous pourrez vous faire votre propre idée, puisque l’album sera dans les bacs.
Jacques Lassalle nous emmène « Loin de Corpus Christi »
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La création de « Loin de Corpus Christi », pièce de Christophe Pellet mise en scène par Jacques Lassalle est inédite. Inédite parce que montée une fois à la Comédie de Genève, mais aussi par son format, son contenu, sa forme… Tout commence lorsqu’une passionnée de cinéma tombe sous le charme d’un acteur à la Cinémathèque Française, elle va partir à sa recherche… Ne se contentant pas d’intégrer du cinéma dans le théâtre, elle bouscule les frontières entre ces deux arts par une problématique difficile.
Tout d’abord, en soulignant la différence d »importance du personnage face à l’Histoire. Bertolt Brecht et Richard Hart vivent dans le même Hollywood qui voit se produire la montée du macchartysme après la Seconde Guerre mondiale. Le premier personnage existe encore dans la mémoire collective, le second est presque oublié après quatre films. En interrogeant ce fait, Christophe Pellet questionne également notre obsession de l’image, du désir qu’elle nous procure et l’occupation de notre esprit par un acteur, son visage, ou le corps d’une héroïne de jeux vidéos.
Sur ces idées est écrite une pièce complexe qui nous fait jongler d’une époque à l’autre, en 1946, 1989, 2005 et 2025, mais pas forcément dans cet ordre… Jacques Lassalle a fait le choix du réalisme pour dépeindre ces espaces chronologiques. Dans un décor qui est une salle de cinéma, on fait des bonds dans le siècle, guidés par des panneaux dactylographiés sur le fronton de l’écran, comme dans un film muet. Les années changent mais le cadre reste, ces sièges rouges… Tout au plus quelques draps viendront les recouvrir…
Une étrange atmosphère
Divisée en deux parties distinctes (l’une d’1h20, l’autre d’1h), la pièce nous invite à suivre Anne Wittgenstein (Sophie Tellier). Passionnée de cinéma elle partage le coup de foudre qu’elle a eu pour Richard Hart avec son vieux professeur de cinéma, Pierre Ramut (Bernard Bloch), clin d’oeil amical au critique de cinéma toujours en activité, Pierre Murat. Il la met en garde, faisant référence au Portrait de Jennie de William Dieterle. Ce film où un peintre croise un soir une jeune fille dans un parc, la fait vivre dans une toile, et par mégarde, la ressuscite. Où se situent rêve et réalité ?
Ces discussions maître-élève sont une belle leçon de cinéma, qui ne laissent pas pour autant les non-initiés sur le bord du chemin. Bloch est touchant et humain dans ce rôle, sa disciple semble troublée, mais aussi follement amoureuse de ce nouveau visage inconnu. Léger bémol cependant, dans son jeu, Sophie Teillier vire parfois un tantinet groupie, on a l’impression qu’elle essaye de se convaincre de son amour, c’est gênant.
On sent sur toute la pièce un voile de mystère, d’étrangeté. Des fantômes planent au-dessus de nos têtes. C’est d’ailleurs comme une apparition qu’arrive Richard Hart (Brice Hillairet), pour son premier rendez-vous à la MGM en 1946. Il est comme nous l’a décrit Anne Wittgenstein : absent, aérien, nous faisant douter de sa propre existence… Il a 20 ans, vient de Corpus Christi au Texas et appréhende la vie de Los Angeles, ses excès. Dans ce monde irréel créé par Jacques Lassalle, on est forcément questionné sur comment le cinéma nous absorbe, nous capte et nous plonge dans des sensations inconnues.
Aliénation par l’image
L’Histoire nous fait rester sur terre, la chasse aux communistes fait rage outre-atlantique. Richard Hart, faible d’esprit, gamin du « deep south », devient un informateur du gouvernement et cause la fuite de quelques uns des gens qui l’ont approché de trop près : Norma Westmore (Marianne Basler), Julie Arzner (Annick Le Goff), toutes deux excellentes dans leurs rôles respectifs. Bertolt Brecht (Bernard Bloch) est aussi conduit à s’échapper avec elles.
Puis on revient à notre époque, Anne a subi quelques épreuves qui l’ont conduite à abandonner Richard Hart.
Et vient Berlin-Est, Norma Westmore s’y est réfugiée depuis 25 ans, on vit avec elle la chute du Mur. La question de Richard, de l’image, la hante. Morritz, son amant d’aujourd’hui a les mêmes traits que son amour d’hier. Le jeune homme s’avère n’être en fait qu’un informateur de la Stasi. Toujours cette question de l’image, de l’espionnage et du jeu de dupe. Qui sont ces gens qui nous obsèdent et pourtant nous détruisent ?
Toute la pièce est une critique poétique de l’aliénation à l’écran, qui nous donne l’illusion de vivre dans un monde libre. Alors que sans cesse les spectres du passés montrent que ce n’est pas le cas, le mal n’est pas forcément où le plus gros doigt le pointe. La terreur ne règne pas là où on hurle le plus fort qu’elle existe. Et si « Loin de Corpus Christi » était le cri d’un désir de liberté ?
Avec une conclusion réussie, Jacques Lassalle propose une version compréhensible de cette pièce complexe, un pari qui n’était pas gagné d’avance.
Pratique : Jusqu’au 6 octobre 2012 au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 42 74 22 77 ou sur www.theatredelaville-paris.com / Tarifs : entre 15 € (jeune) et 26 € (plein tarif).
Durée : 2 h 20 (avec entracte)
Texte : Christophe Pellet (édité chez L’Arche)
Avec : Marianne Basler, Annick Le Goff, Sophie Tellier, Tania Torrens, Julien Bal, Bernard Bloch, Brice Hillairet
Tournée :
Du 10 au 19 octobre 2012 au Théâtre des 13 Vents – Centre Dramatique National du Languedoc-Roussillon, Montpellier
Le 13 décembre 2012 au Préau – Centre Dramatique Régional de Basse-Normandie, Vire
Du 26 au 30 mars 2013 aux Célestins – Théâtre de Lyon
Rentrée en légèreté à la Gaîté
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Lorsque l’on sort rue de la Gaîté à Paris, c’est la légèreté et les réjouissances que l’on recherche (je fais ici allusion aux différents théâtres qui la jalonnent et non aux sex-shops). Cependant on ne sait jamais quel sort sera réservé à nos zygomatiques ?! Rira-t-on gras, jaune à la folie ou pas du tout ? Avec la pièce Une semaine pas plus au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse on rit sans se forcer et on retrouve le pavé de la Gaîté, guilleret.
Un scénario prétexte à des débordements réjouissants
Le scénario est simplissime. L’un (Paul) s’est lassé de l’autre (Sophie), sa moitié, et souhaite s’en débarrasser. Non pas la zigouiller, on ne rejoue pas un épisode de « Faites entrer l’accuser », plutôt l’éjecter cordialement de l’appartement qu’ils occupent ensemble. Pour cela, Paul aurait pu agir seul et parler à cœur ouvert à celle qui fut sa dulcinée. Mais non, c’est une manière détournée que Paul va plébisciter en passant par l’entremise (non de sa tante Artémise*, mais celle) de son meilleur ami (Martin).
La mayonnaise prend doucement mais elle prend bien
Progressivement les éléments du subterfuge imaginé par Paul (Clément Michel) pour faire fuir Sophie (Maud le Guénédal) se mettent en place : le décor, la dynamique et les rôles de chacun. La pièce mise en scène par David Roussel et Arthur Jugnot (le fils de Gérard) pâtit de certaines longueurs mais la mayonnaise monte joyeusement. Il faut dire que Clément Michel s’y emploie avec fièvre et mouille la chemise. Faire-valoir agité de ses comparses, il besogne en Sganarelle contemporain pour mettre en place sa supercherie : un beau château de sable.
La théorie du château de sable.
Bien malgré lui, la troisième roue du carrosse, Martin (Sébastien Castro), est embarqué pour pourrir le quotidien du petit-couple. Mais c’est une bonne pâte ce Martin. Il est jovial, facile à vivre, bricolo et bien élevé…. Sauf quand on lui demande d’être « vilain ». Là, Sébastien Castro se lâche et comme un môme sur la plage, piétine le château de sable dans une interprétation récréative à souhait de son personnage. Le fauve est lâché. Quelle fripouille ce Sébastien Castro qui sait faire rire sans tomber dans le lourd ou la simplicité. Voici un acteur à suivre avec, à son actif, une série de pièces qui a très bien fonctionné.
Gage de la bonne humeur qui rayonne de la pièce, on sent parfois le fou-rire poindre entre les trois acteurs. A la ville on ne sait pas – ceci ne nous regarde pas- mais à la scène ces trois là s’entendent à merveille. Un trio bien huilé, on ne regrette pas son choix. Une semaine pas plus est une comédie fort sympathique.
Gaîté Montparnasse
2 rue de la Gaîté
75014 Paris http://www.gaite.fr/actualite-theatre.php
Une comédie de Clément Michel
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Avec Sébastien Castro (Martin), Maud Le Guénédal (Sophie) et Clément Michel (Paul).
*Vous aviez évidemment reconnu les paroles de la chanson Le Telefon de Nino Ferrer !