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20 000 Lieues sous les mers : une plongée merveilleuse

© Brigitte Enguerand. collection Comédie-Française.
© Brigitte Enguerand. collection Comédie-Française.

En ce début du mois d’octobre, le théâtre du Vieux-Colombier est transformé en bathyscaphe. Le plus célèbre d’entre tous, puisqu’il s’agit du Nautilus, conduit par le Capitaine Nemo, héros du roman de Jules Verne, « 20 000 Lieues sous les mers ». Christian Hecq interprète l’illustre personnage qu’il met aussi en scène, avec Valérie Lesort.

On est d’abord frappé par le décor, véritablement à coulisses. Le public est installé dans le salon du Nautilus. L’ambiance y est merveilleuse, retranscrivant l’émotion que l’on peut avoir en lisant un roman de Jules Verne dans ce que le XIXe siècle fait de plus futuriste, à renforts de tuyaux de cuivre et d’un canapé chesterfield. L’avenir fantasmé des alentours de 1870, qui nous a laissé divers témoignages, ne néglige jamais sur le confort. On est happé par le désir de partager le quotidien sous-marin des personnages.

© Brigitte Enguerand - coll. Comédie-Française.
© Brigitte Enguerand – collection Comédie-Française.

L’ambiance est complétée par une utilisation constante, mais mesurée, de marionnettes. À travers le hublot du fond de scène, on assiste aux ballets de méduses, rémoras et à l’attaque du kraken qui provoquera la catastrophe à bord. Marionnettes, encore, lorsqu’il s’agit de peupler les cauchemars du professeur Aronnax par une méduse géante ou une araigNé(e)mo. Marionnettes, toujours, pour illustrer le périple du petit sous-marin autour du globe. Si certains marionnettistes se cachent parmi les personnages, les acteurs eux-mêmes se retrouvent à la manipulation, et c’est brillant.

Des acteurs qui campent des personnages bien singuliers. Ils retranscrivent avec talent les personnalités très différentes des protagonistes. Christian Hecq est un Némo colérique et énervé, face à un Nicolas Lormeau en touchant érudit de la fin du XIXe. Jérémy Lopez, Louis Arene, respectivement second d’Aronnax et Némo sont aussi marquants par la justesse de leurs jeux.

On l’aura compris, ces « 20 000 Lieues sous les mers » sont une réussite. L’adaptation est courte mais fidèle, l’essentiel est gardé – quelques notes de la toccata de Bach sont entendues –, les prouesses techniques soutiennent un spectacle prenant. La plongée se fait donc dans les meilleures conditions possibles : tout en finesse et en rêves.

« 20 000 Lieues sous les mers » de Jules Verne. Adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort, au Théâtre du Vieux-Colombier, 20 rue du Vieux-Colombier, 75006, Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Tartuffe et son délirant entourage

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

« Tartuffe ou l’imposteur », probablement l’une des pièces les plus jouées de Molière ces dernières années en France. Peut-être au même titre que « L’Avare » : il y en a au moins une version par an. C’est toujours l’histoire de cette riche famille qui accueille en son sein l’ignoble Tartuffe. Un voleur et menteur aux airs de dévot, dont le père a été séduit par le zèle apparent de ses prières malgré les mises en garde de son entourage. L’histoire se répète, mais sa forme change et Tartuffe reste l’une des comédies qui expose le mieux les noirceurs de l’âme.

Au lever du rideau, Galin Stoev veut faire croire au public qu’il va assister à un spectacle classique : mur bleu, grands volumes et costumes pastel. Mais dès les premières minutes, on se rend compte que tout cela n’est que tartufferie et si le rôle-titre apparaît seulement au troisième acte, le décor tout entier est une allégorie de sa personne. Cela se remarque au moyen de nombreux détails : Marianne (Anna Cervinka) fume une cigarette électronique, Damis (Christophe Montenez) est débraillé, presque provocant dans sa tenue comme dans sa coiffure. Ces petites choses nous mettent la puce à l’oreille, mais tout devient clair lors des changements de décors, quand la lumière s’éteint et qu’apparaissent des pages qui fouillent la maison et changent les meubles de place, alors qu’en fond de scène, d’autres membres de l’équipe apparaissent écoutant chaque fait et geste de la maison derrière une glace sans tain. Tout converge pour conduire le public à tenter de voir ce qui ne semble pas visible au premier abord. Aussi, Galin Stoev se moque des codes classiques du théâtre français, pour en faire ressortir toute la préciosité et la fausseté supposée : aujourd’hui, on en rigole de bon cœur.

Dans cet étrange univers, le jeu des acteurs est particulièrement appuyé par le caractère des personnages. Ici non plus, aucune préciosité, même chez Serge Bagdassarian (Cléante) qui habituellement en joue avec brio. Didier Sandre est un Orgon superbe, mêlant avec virtuosité les aspects doux et intransigeants du personnage. Son inquiétude vis-à-vis de la santé de Tartuffe fait immédiatement penser à de l’amour aveugle. Quant à Tartuffe (Michel Vuillermoz), il délaisse complètement l’aspect inquiétant du personnage pour lui donner un visage de libidineux un peu sot : aucun sentiment de crainte ne nous vient à son contact. Etonnant. Mais le parti pris est juste dans la mise en scène de Galin Stoev. Un détail gêne plus, c’est le costume de Dorine (Cécile Brune) ; elle campe le rôle à la perfection, mais ses habits ne précisent pas quelle est sa condition. Habillée comme ses maîtres, elle n’a plus rien d’une servante : Molière ne lui en avait pas donné le comportement, Galin Stoev lui en retire l’apparence. Le personnage perd donc sa part de comique qui réside en partie dans ce contraste. Cela est d’autant plus dommage que Dorine est puissante et occupe ici, l’un des rôles principaux de la pièce. Sans doute cet aspect déroutera le spectateur qui n’a jamais vu la pièce – et il y en aura forcément dans le public du Français dans les semaines à venir.

Outre le décor et le jeu des acteurs, Stoev joue et s’amuse, insistant dans les instants critiques (ou plutôt christiques pour le coup), sur l’aspect aveuglant de la religion interprétée de façon littérale. Les personnages sont poussés jusqu’au délire, la folie générale monte sans jamais s’arrêter, jusqu’à donner une fin onirique aux allures d’hallucination collective.

La comparaison avec le « Tartuffe » monté la saison passée dans une autre grande maison, l’Odéon, surgit forcément pour le public amateur. Là où Luc Bondy donnait une lecture extrêmement sombre, Stoev en fait un manifeste de la vie face à la religion qui coupe l’homme de son intelligence. On guérit de la tartufferie par le rire et de catholicisme revendiqué, c’est à toutes les religions (faussement) pratiquées dans leur sens littéral que Stoev questionne. Et c’est bien salutaire.

« Tartuffe » de Molière, mise en scène de Galin Stoev, à la Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 16 février 2015, Durée : 2h15. Plus d’informations sur www.comedie-francaise.fr/




Girardot et Schneider, un couple évident

ROMEO ET JULIETTE (Nicolas Briancon 2014)
Copyright : Victor Toneli

Dans toutes les professions, dans chaque domaine, chez les communautés de passionnés, il y a des problèmes récurrents. Celui des amateurs de Roméo et Juliette, c’est de savoir si le couple de héros va (pour faire court) tenir la route. Selon les mises en scène, on a pu entendre que la différence d’âge était trop grande, que Juliette était trop vieille (dans la pièce, elle est censée avoir bientôt 14 ans), que le courant passait mal entre les comédiens, que ces derniers sont trop inexpérimentés, etc… Bref, de tous les Roméo et Juliette montés ces dernières années (il y a en a au moins un par saison), celui joué par le couple Ana Girardot et Niels Schneider est certes le plus glamour, mais aussi le plus juste et le plus beau.

Nicolas Briançon transpose l’action de la Vérone du XVIe siècle à ce qu’il semble être le monde de la Prohibition des années trente à New York, et où les Montaigu et les Capulet deviennent deux gangs rivaux (sans pour autant nous faire penser aux Sharks et aux Jets) et le Prince le grand parrain. Ce décalage juste, apporte une certaine modernité visuelle à l’action, tout ce monde évolue dans une scénographie en grisaille et la troupe, nombreuse, est bien orchestrée. Elle donne à voir des scènes collégiales (du bal aux bagarres) dynamiques et brûlantes. La mise en scène est truffée de gags et farces qui font mouche, et les moments plus calmes atteignent même une certaine poésie, car un soin particulier a été apporté à chaque tableau et l’effet s’en ressent sur la vue générale que l’on a du plateau.

La relation nouée entre les deux héros est joliment innocente, sincère. On peut avoir quelques difficultés avec la diction de Niels Schneider (il est québécois), mais lorsque les héros tombent amoureux, cela nous paraît une évidence. Les deux comédiens sont pour la première fois au théâtre et inutile ici de chercher une bonne prise comme au cinéma : la magie opère dès qu’ils se tiennent la main. À la fois rêveurs et conscients du monde dans lequel ils vivent, ici, la plus dramatique, mais aussi la plus belle de toutes les histoires d’amour ne perd rien de sa valeur universelle.

Quelques accents volontairement exagérés sur les seconds rôles et leur présence bien mise en valeur par les coupes du texte nous font également remarquer la très belle prestation de la Nourrice (Valérie Mairesse) et de Frère Laurent (Bernard Malaka). Les autres comédiens soutiennent bien l’action, sans faire d’ombre au couple légendaire.

Un Roméo et Juliette qui fonctionne, c’est une représentation où le public espère que Roméo ne tuera pas Tybalt, où l’on espère à chaque fois que le messager du frère Laurent atteindra Mantoue, où l’on prie pour que Juliette se réveille à l’arrivée de Roméo. Même si l’on connaît la pièce par cœur on est happé, et cette version est une totale réussite, parce que tout l’essentiel y est représenté.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée : 2h15
Tarifs : 10/52 €
Réservations au 01 42 08 00 32 ou sur http://www.portestmartin.com/