Les amants de l’ombre
Quelques mois après la sortie du film A trois on y va, le triangle amoureux est à nouveau à l’honneur sur les écrans. Cette fois-ci, Philipe Garrel est derrière la caméra pour A l’ombre des femmes. Familier des réalisations de drame amoureux (La jalousie, Un été brulant), le cinéaste nous livre, comme à son habitude, une œuvre intimiste toute en sobriété et élégance.
Derrière ce nouveau titre poétique et mystérieux, l’histoire presque banale d’un couple qui s’aime, mais ne se comprend plus. D’un côté il y a Pierre (Stanilas Merhar), réalisateur de documentaire et sosie de Thomas Dutronc. Il est le stéréotype de l’homme torturé, éternel incompris. De l’autre, il y a Manon (Clotilde Courau), l’amoureuse des temps modernes. Deux aimants, amants usés par la monotonie d’une relation qui les conduira à voir ailleurs.
Pierre aime Manon, pourtant, il l’a trompe. Il ne peut s’empêcher de revenir dans les bras d’Elizabeth, collant à la représentation classique de l’homme infidèle qui succombe aux charmes d’une jeune étudiante. Avec Elizabeth tout est plus simple, il se sent vivant, mais Pierre aime Manon, alors il rentre à la maison comme chaque soir un bouquet de fleur à la main. De ce synopsis basique, Garrel créer une œuvre authentique et troublante sur la complexité des relations entre un homme et une femme. Il parvient à saisir avec éclat, les visages, les expressions, mais surtout, à rendre compte avec justesse des différences de réactions et de comportements d’un couple face à l’infidélité, notamment au travers du personnage de Pierre qui ne peut admettre l’adultère de sa femme, alors que lui-même en est coupable.
Pour Pierre, tromper est une chose d’homme, c’est physiologique et presque naturel. Dans son esprit, les femmes, elles, sont trop pures et délicates pour succomber à la luxure. Alors, quand celui-ci apprend que son épouse le trompe à son tour, c’est toute leur relation qu’il remet en question. De leur amour naît la haine et de leur trahison commune, la rupture. Récit aux allures féministes, Garrel prend ici la défense des femmes, mettant en lumière son actrice principale, Clothilde Coureau, sublime dans le rôle. Un personnage tout en douceur, fort et faible à la fois qui représente la femme, les femmes, courageuses et passionnées.
Tourné en noir et blanc dans un Paris que l’on imagine des années 60-70, le film n’est pas sans rappeler l’esprit de la Nouvelle Vague. D’une esthétique irréprochable, il réconciliera tous ceux qui pourraient avoir des frictions avec le noir et blanc. Un choix judicieux qui apporte beauté et délicatesse à l’histoire, à l’image de son thème : l’amour.
Une autre force du film réside dans sa durée : 1h13. Sobre, simple et réaliste, Garrel va à l’essentiel. Il filme le vrai sans artifice. Il installe ses personnages autour d’une table, d’un lit ou d’un café. Cela suffit. Il nous fait découvrir des lieux, des places, des rues avec un regard nouveau. L’œuvre de Garrel parvient à sublimer les relations amoureuses dans ce qu’elles ont de plus simple et ordinaire. Un cinéma qui renoue avec l’exigence et la qualité des Godard, offrant aux spectateurs, un bref mais délicieux moment.
« L’ombre des femmes », de Philippe Garrel, sortie au cinéma le 27 mai 2015.