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Un délicieux Charles Spencer Chaplin

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Qu’est-ce qu’« Un certain Charles Spencer Chaplin » ? Dans le jargon cinématographique, cela s’appellerait un biopic. Daniel Colas prend le parti de raconter la vie d’un Charlot en dehors du champ des caméras.

Ceux qui, comme l’auteur de cette critique, seraient peu familiers de la vie privée de l’une des plus grandes stars planétaires de la première moitié du XXe siècle, en apprendront beaucoup. Sur la noirceur de la personnalité de l’icône notamment. Tyrannique, angoissé, difficilement supportable par son entourage… Le prix à payer pour son talent ? On aurait tendance à le croire, surtout lorsque Charlot est interprété par un Maxime d’Aboville fabuleux, invité de nouveau à jouer un personnage changeant au fort potentiel évolutif. La saison passée, avec The Servant, il a remporté plusieurs récompenses, parmi lesquelles un Molière. Xavier Lafitte et Adrien Melin, partageaient l’affiche avec lui, on les retrouve – avec plaisir ! – dans ce « Certain Charles Spencer Chaplin ». Un trio qui enchaîne les succès.

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La pièce de Daniel Colas est construite comme une succession de scènes, qui ne suivent pas un ordre chronologique. L’auteur s’est attaché à brosser un portrait, sautant d’une époque à l’autre. Il montre les épreuves terribles, les succès, la constance et les sentiments de Charlot et de ses proches. On assiste à son premier tournage aux USA, produit par Mack Senett, au défilé de ses femmes, aux manipulations du FBI qui trouve que son cinéma est trop critique envers le système. On voit Edgar Hoover mettre en place la propagande visant à ternir son image et faire de lui une victime du maccarthysme. Ni juif, ni communiste, c’est avant tout un provocateur ivre de liberté, qui se retrouve interdit de territoire américain. Daniel Colas trouve le juste mélange entre informatif et moments de théâtre, à l’exception d’une longue scène précédant la fin qui allonge inutilement et de façon didactique la pièce – à près de 2 heures de spectacle.

Une pièce passionnante, menée par des acteurs remarquables, des clins d’œil au cinéma muet mis en scène avec talent, font néanmoins de ce « Certain Charles Spencer Chaplin » une pièce réussie, où, malgré les silences du personnage, le public ne manque pas de manifester bruyamment sa joie au moment des saluts.

« Un certain Charles Spencer Chaplin » de Daniel Colas. Mise en scène de l’auteur, actuellement au Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, 75014, Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatremontparnasse.com/




« The Servant » au Poche-Montparnasse

© Brigitte Enguerand
© Brigitte Enguerand

Après 6 ans de souffrance dans la brousse africaine, Tony rentre à Londres en homme riche. Son ami Richard l’accueille dans une maison anglaise louée pour lui, dans laquelle il ne manque rien, pas même un Chesterfield et le chariot à whisky. Celle qui était amoureuse de lui avant son voyage, Sally, l’attend aussi. Toute cette histoire pourrait n’être qu’une banale histoire de retrouvailles joyeuses. Mais le recrutement de Barrett, domestique zélé et inquiétant, vient bouleverser ce happy ending pourtant si bien commencé.

Rapidement, la place entre le domestique et le maître s’inverse. On assiste à des situations entre eux qui tiennent plus de celles que l’on s’attendrait à voir entre deux amants : petites disputes, vexations et réconciliations sont quotidiennes. Le matin, ils s’installent pour faire les mots croisés du Times ensemble. Ce changement de paradigme marque peu à peu chaque personnage en profondeur. Comme l’entourage d’un toxicomane est forcément touché par sa dépendance. L’héroïne de Tony, c’est Barrett. Pour lui, il se coupe de ses amis et perdra sa copine – ou comment Tony ne rencontrera jamais Sally. Pour le domestique, tous les moyens sont bons pour étendre son emprise. Il ira même jusqu’à faire embaucher sa petite amie, Vera, avant de la faire sombrer dans le lit de son maître pour que la camisole de sentiments lui soit prégnante au possible. Barrett est un excellent cuisinier, dévoué serviteur, et Vera une amante hors-pair qui contrôle son maître à coup de reins. Cette ambiance ainsi dépeinte est très excitante et effrayante à la fois. Tony est totalement soumis par ses vices, ceux de tout homme : la nourriture, le sexe et l’attention portée à sa personne.

Les deux tourtereaux que rien ne semble motiver, si ce n’est le contrôle total d’un homme, se feront voir au grand jour lorsque Tony rentrera à l’improviste d’un week-end à la campagne. L’intrigue ne s’arrête pas là, un nouveau rebondissement fait se terminer la pièce dans une apothéose glauque et obscène où l’homme s’abandonne complètement à ses pulsions, sans se soucier de quoi sera fait demain. Fantasme masochiste où le maître se retrouve esclave total du domestique.

© Brigitte Enguerand
© Brigitte Enguerand

Thierry Harcourt signe une mise en scène discrète, au service du drame génial de Robin Maugham, quintessence du théâtre anglais du XXe siècle. Le texte est loin d’être linéaire, et s’il ne cesse jamais d’être drôle, il creuse au fil des répliques dans la profondeur de l’âme de Tony, son personnage principal. Finalement, la pièce est inattendue – si l’on n’a pas vu le film de Joseph Losey adapté par Harold Pinter – de par son déroulement et sa chute.

Une jeune distribution virtuose vient s’épanouir dans ces méandres sombres. Chacun campe un rôle précis et justement british (l’expérience d’Harcourt outre-manche est ici bien mise à profit). On est impressionné par le naturel de Roxane Bret, qui a fait sa première fois sur les planches le 3 février dernier. A la fois juvénile et très sûre d’elle, elle est une domestique qui ne peut laisser de glace. Maxime d’Aboville est un Barrett directement échappé du vivarium dans lequel on conserverait les personnages les plus dingues de la famille Adams. Arrivant sur scène comme un diable sortant de sa boîte, il est un psychopathe précis, son regard laisse aisément voir que, s’il ne s’était mis au service d’autrui, il aurait tout aussi bien pu tuer des gens pour passer le temps. Tony (Xavier Lafitte) est amoureux de son domestique (champ lexical à l’appui), et ses deux amis, joués par Alexie Ribes, désespérée, et Adrien Melin, ironique, complètent ce tableau étrange.

Du public, on assiste à l’évolution des personnages que l’expérience ne semble pas laisser indemne. Ils sont Dorian Gray et les spectateurs jouent le rôle du portrait. S’amusant avant de tomber dans une déchéance volontaire, nos rides se creusent au fil du drame. Du drôle on vire au glauque, et de la surprise, on vire à la conviction. Tellement qu’à la fin, on en redemande. Si d’habitude le metteur en scène est au service du public, ici, les rôles s’inversent.

 Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« The Servant » de Robin Maugham, mise en scène de Thierry Harcourt, actuellement au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, 75006, Paris. Durée : 1 h 30. Plus d’informations et réservations sur theatredepoche-montparnasse.com/




Un vent d’anarchie souffle au Montparnasse

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Copyright : Photo Lot

Dans un décor elliptique, minimal, Jean-Claude Idée (véritable passionné de philosophie) raconte et met en scène sa vision d’un Montaigne rongé par le remord de n’avoir respecté la mémoire de La Boétie. Ce dernier hante les rêves du philosophe vieillissant jusqu’à ce celui-ci assume sa trahison mémorielle. À ce duo, Jean-Claude Idée ajoute le personnage de Marie de Gournay, amante (historiquement supposée) de Michel de Montaigne, mais qui dans la pièce est à l’origine d’une seconde jeunesse pour l’homme de lettres.

Les dialogues, toujours unilatéraux (Marie de Gournay ne voit pas La Boétie), et qu’ils soient entre les deux hommes ou entre Montaigne et Marie, sont drôles et ironiques. La langue utilisée est celle de notre siècle, on l’entend bien. La locution difficiles de ces auteurs de la Renaissance française sont laissés dans les livres et la transcription mise en mots par Idée fait ressortir à merveille la pensée des écrivains sans la travestir. Les propos modérés de Montaigne explosent au contact des idées anarchistes de La Boétie, le premier, d’abord pragmatique et froid, se retrouve face à ses propres contradictions.

Nous voyons ici une réflexion sur le pouvoir politique moderne, sur le goût qu’on a pour celui-ci, ses effets. Elle oppose l’ultraconservateur Michel Montaigne — homme conciliant aux accents hollandistes et effrayé par la liberté — et un La Boétie d’extrême gauche, idéaliste, mais sombre, ne se faisant aucune idée sur le genre humain, car « pour construire une société idéale, il faut idéaliser les gens » alors que nous sommes « au monde pour le changer, non pour en jouir ». Et bien que chargé en citations, on ne tombe pas dans une bête paraphrase du Discours sur la Servitude Volontaire, mais dans une réelle confrontation idéologique entre les deux hommes.

Les acteurs sont excellents, naturels, d’une fougue communicative. Marie de Gournay (Katia Miran) est particulièrement juste dans son personnage de femme espiègle et pleine d’espoir juvénile qui brutalise amoureusement le vieux philosophe. La Boétie (Adrien Melin) est doté d’une ironie jouissive qui fait résonner chaque phrase comme une évidence pour le spectateur. Montaigne (Emmanuel Dechartre), d’abord vieux misanthrope, termine la pièce en amoureux transi après être passé par une multitude de nuances intérieures maîtrisées.

« Parce que c’était lui » est une pièce prenante, bien menée et mise en scène dans le souci de la portée du texte. Spectacle littéraire, didactique et compréhensible, on regrette juste que le public parfois somnolant du Petit Montparnasse ne soit peut-être pas le plus à même d’apprécier la valeur révolutionnaire de cette belle création.

Pratique :
Actuellement au Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté, 75014 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Dimanche à 15 h
Durée : 1h20
Tarifs : 18/32 €
Réservations au 01 43 22 77 74 ou sur http://www.theatremontparnasse.com/