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Feuilleton théâtral : semaine n°48

© Elisabeth Carecchio
« Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » © Elisabeth Carecchio

Bientôt les vacances de Noël ? Les scènes françaises semblent ne jamais dormir et offrent chaque semaine leurs lots de surprises. Un coup d’œil sur les créations nouvelles qui tiendront l’affiche jusqu’au milieu du mois et parfois même après ailleurs en France…

Si la crise grecque paraît lointaine dans l’actualité, elle est de nouveau sur scène, aux Ateliers Berthier, mise en scène par les italiens Daria Deflorian et Antonio Tagliarini que Stéphane Braunschweig avait déjà accueilli alors qu’il était directeur de la Colline. Ils présentaient cette semaine « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » (« Nous partons pour ne plus vous donner de soucis »). Spectacle minimaliste où le plateau est occupé par moins d’objets que de comédiens. Ces derniers assument leur impuissance à recréer la vraisemblance d’un fait divers marquant : le suicide collectif de quatre personnes âgées en Grèce qui n’avaient plus les moyens de vivre. Ils jouent alors à chacun ce à quoi leur fait penser ce geste. Brûlant d’intensité avec des mots simples, les chanceux pourront voir une autre création du même groupe la semaine prochaine, « Il cielo non è un fondale », à laquelle je n’assisterai malheureusement pas.

Qu’il peut être difficile de voir plusieurs créations collectives à la suite, surtout si la seconde est aussi ratée que la première était réussie. Le Théâtre Silvia Monfort accueille les « Apaches » qui opèrent à une variation sur le thème de la famille sous le nom « Une place particulière ». Verbeux, trouble et sans logique – pas même absurde –, ce spectacle ne mérite pas le déplacement : tous les inspirateurs du collectif – dont le plus visible est Joël Pommerat – sont imités sans être à moitié égalés.

Autre ratage, pourtant plein de bons sentiments : la Pièce d’actualité n° 7 à la Commune d’Aubervilliers. Cette invitation faite à la Revue Éclair à faire s’exprimer les « gens d’ici » sur scène (comprenez, les habitants du 9-3), permet au plateau de la petite salle du théâtre d’être transformée en tatami géant pour jeunes lutteurs s’entraînant. Pendant que Corine Miret débite un texte parfumé d’exotisme de bon aloi, le niveau de bons sentiments qui s’en dégage est tellement abject qu’on imagine son personnage faisant partie de ceux qui « adorent Barbès », mais se plaignant des vendeurs à la sauvette. Les mêmes qui suivent les sentiers touristiques au mois d’août et se plaignent qu’il y ait du monde. Ce spectacle montre la fracture sociale avec une lumière crue. Ce petit scandale se poursuit jusque dans les cuisines du théâtre où pour se sustenter avant la représentation, comptez 14,50 euros pour un croque-monsieur et deux boissons sans alcool : des tarifs que même les théâtres intra-muros n’oseraient pas pratiquer, et qu’on imagine peu convenir aux « gens d’ici ».

Zvizdal
Zvizdal

Le week-end s’est déroulé sous de meilleurs auspices : au 104, j’ai assisté à la nouvelle création du collectif en résidence, Berlin. Nommé « Zvizdal », il est un objet scénique composé d’un écran et de trois maquettes. On y observe la vie des deux derniers habitants d’un village de la zone interdite autour de Tchernobyl. Loin des sentiers catastrophistes habituels, la vie est ici mise en valeur. Cette volonté coriace de Nadia et Pétro qui vivent en ces lieux contaminés depuis 25 ans, coupés du monde, est palpable.

Plus léger, j’ai assisté à la dernière de l’Amphitryon de Molière, mise en scène par Guy-Pierre Couleau. Le directeur de la Comédie de l’Est est, comme dans le « Songe d’une nuit d’été » que j’ai vu l’été dernier à Bussang, un magicien qui utilise de vieux dispositifs pour faire des images magnifiques. Si le texte traîne parfois en longueur, on est toujours bluffé et surpris par les effets de lumières et la direction donnée aux acteurs qui semble plus tenir de la chorégraphie que de la simple mise en espace. Avec cette histoire extraite de la Fable où les dieux viennent abuser de leur pouvoir chez les hommes, Couleau parvient à mettre de l’onirisme et nous faire rêver.

Hadrien Volle

  • « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni », jusqu’au 7 décembre au Théâtre de l’Odéon/Berthier

  • « Une place particulière », jusqu’au 14 décembre au théâtre Silvia Monfort

  • « Pièce d’actualité n°7. Sport de combat dans le 93 : la lutte », jusqu’au 15 décembre à la Commune d’Aubervilliers

  • « Zvizdal », jusqu’au 17 décembre au 104

  • « Amphitryon », en tournée (janvier 2017 au Théâtre des Célestins de Lyon, en mars à Bagneux et en mai à Dunkerque)




« Visage de feu » : reflète sans convaincre

mayenburg

Table, chaises, vaisselle, bibelots, costumes : le décor de ce « Visage de feu » est blanc. S’il est le plus lisse possible en façade, nul n’est dupe. Il montre comment la clarté est une tentative de cacher l’ennui et le conformisme dans lesquels cette famille allemande stéréotypée des années 1990 est enfermée. Une entité dont les parents s’accrochent au moindre événement de la vie quotidienne pour trouver une raison à leur existence. Cette fausseté est soutenue par le jeu mécanique des acteurs, notamment la mère, interprétée par Sophie Lebrun, calme, cruelle mais toujours très souriante. Très vite, on comprend que Marius von Mayenburg dessine son modèle avec exagération, pour mieux le détruire ensuite.

Dès les premières minutes, entre le frère et la sœur, naît une relation « anormale ». Elle lui fait sa première branlette, au détour d’un couloir dans la demeure familiale. Par ces jeux récurrents, ensemble, ils apprennent la vie adulte et refusent de l’accepter. Les parents entretiennent leurs enfants dans une jeunesse qu’ils ont quittée et ils restent sourds aux cris de leurs progénitures désormais pubères : on pense à la mère qui prend sa douche et se frotte devant son fils. Malgré les remarques insistantes de ce dernier, la mère n’arrête pas : ce n’est encore « qu’un enfant » – et quand bien même ! Une seule issue s’offre alors aux jeunes amoureux : la violence. Ils détruisent la société qui les entoure en devenant pyromanes. Ils vont jusqu’au bout de leur désir de rupture. La relation est consommée charnellement et ils iront jusqu’à supprimer tous les obstacles à leur épopée. La « vie normale » est rejetée en bloc.

Malheureusement, la pièce de von Mayenburg et le talent de créateur d’images de Martin Legros ne parviennent pas à nous captiver. Même si la mise en scène fait bien ressortir les idées principales du texte, on connaît des moments d’ennui. Est-ce la trop belle esthétique dans laquelle nous plonge parfois le metteur en scène qui nous fait oublier la noirceur de la pièce ? Ou bien est-ce l’approche didactiquement provocante de von Mayenburg qui nous coupe de nos émotions, comme face à un film éducatif ? Aucune réponse n’apparaît clairement. Martin Legros est fidèle à son engagement : « un acte artistique n’est censé convaincre personne, il doit juste être le miroir d’une humanité particulière ». Pari réussi, au sortir de la pièce on est songeur, mais nullement convaincu.

« Visage de feu » de Marius von Mayenburg. Mise en scène de Martin Legros, jusqu’au 18 novembre au Théâtre Monfort, 106 rue Brancion, 75015, Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.lemonfort.fr