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Avignon 2015 – Richard, ton univers impitoyable

Copyright : Christophe Raynaud De Lage
Copyright : Christophe Raynaud De Lage

La pièce historique de Shakespeare nous guide dans le sillage de l’ascension au pouvoir du futur Richard III (Lars Eidinger). Ce fils du duc d’York, frère de Clarence et d’Edouard, sera le meurtrier indirect de toute sa famille pour assouvir sa soif de conquête. Richard est bossu, difforme des pieds à la tête, mais Dieu l’a fait charismatique et doué pour manipuler ses semblables. Dans des apartés nombreux, il établit avec la complicité du public un plan machiavélique pour arriver à ses fins.

Dans un décor baroque-industriel, Thomas Ostermeier place les acteurs de son Richard III très proche du public. Dans cette proximité ainsi créée, l’ambiance de groupe éclate, entre rock and roll et instants trash, les têtes tombent et la batterie fait vibrer les murs du théâtre. Tout cela est agrémenté de jets nombreux de confettis et autres serpentins, qui eux-mêmes semblent obéir à la baguette du maître de la Schaubühne.

Le dispositif et l’histoire complexe ne nous font perdre d’horizon à aucun moment que le théâtre d’Ostermeier est un théâtre d’acteurs. Tous jouent « vrai » et juste. Aucun personnage n’est indéfini, chaque caractère est unique et particulièrement humain. Lars Eidinger, dans le rôle principal, est un génie. Ses fins pour maintenir le public sous son emprise se révèleront plus payantes que celles pour se hisser sous la couronne d’Angleterre. Les références manipulatoires à la culture populaires achèvent de bâtir ce personnage hors norme : face à la difformité de Richard, on pensera au Keyser Söze interprété par Kevin Spacey, dans Usual Suspects. Lors des funérailles d’Edouard, on entend quelques notes des Funeral of Queen Mary de Purcell, popularisées par le film Orange Mécanique de Stanley Kubrick, où un autre héros maîtrise et dirige sa folie pour assouvir ses désirs les plus vils.

« Richard III », de William Shakespeare. Mise en scène de Thomas Ostermeier, jusqu’au 18 juillet à l’Opéra Grand Avignon (Festival d’Avignon), puis en tournée durant la saison 2016-2017. Durée : 2h40. Plus d’informations et réservations sur www.festival-avignon.com.




Ostermeier glace Sceaux

lavipere

Thomas Ostermeier est un immense metteur en scène, certainement le meilleurs en Europe aujourd’hui, et il le prouve comme une évidence à chacune de ses créations au moyen de techniques et de dispositifs sans cesse renouvelés.

Il met en place l’histoire de La Vipère dans un intérieur bourgeois épuré, composé d’une pièce principale agrémentée d’un salon en cuir, d’un piano et d’un grand escalier. En fond de scène, une pièce supplémentaire accueille la salle à manger dont les portes ne sont pas toujours ouvertes. Le décor joue sur les tons de gris, de noirs, agrémentés de lumières claires et froides. Ce cadre contribue à magnifier l’expérience glaçante dans laquelle sera plongé le spectateur durant la représentation.

Le point de départ est un dîner mondain, une famille invite un riche investisseur New Yorkais à sa table. On parle contrat, on trinque, l’affaire semble en bonne voie. L’invité de prestige parti, la famille d’entrepreneurs a des étoiles plein les yeux. Le hic ? Les deux frères attendent toujours que le mari de leur sœur Regina mette sa part de l’investissement sur la table, et c’est urgent. Malheureusement ce mari est malade, et il n’a aucune intention d’investir. Tout au long du drame, Regina joue une partie d’échec dont elle sortira vainqueur face à ce monde masculin qui la maltraite depuis toujours. Mais elle n’y arrive qu’au prix de nombreux sacrifices qui jaillissent comme autant de coups de théâtre.

La mise en scène est prodigieuse. Tout au long de l’action, le rythme est sans cesse modulé. Rapide quand il faut, extrêmement lent dans les instants clés, comme un poison qui coule lentement dans les veines du spectateur. Parfois arrêté, les placements contribuent à créer des tableaux incroyables. Une scène de dispute collégiale peut laisser place à une scène vide pendant plusieurs secondes. Des hurlements succèdent à de brusques moments de silences dans lesquels des enjeux énormes sont ressentis et où chaque geste raconte une partie de la vie des personnages. Tout cela ne manque pas d’ironie : entre deux actes, alors que l’histoire est de plus en plus dramatique, une pop naïve accompagne les tourments intérieurs insoutenables des protagonistes.

Le spectateur assiste à la vie de ces gens, il s’invite dans leur maison, il est voyeur. Le comédien n’est pas là pour lui, le comédien n’attend rien du public : il expose le drame comme dans un huis-clos extrêmement prégnant et c’est ici que réside, une partie du génie d’Ostermeier.

Tout ne doit pas être dit, dans cette guerre que mène cette femme pour ce qui semble être l’argent et le pouvoir, les postures, les expressions, prennent le pas sur le texte. Ce dernier a été fortement modernisé, on y parle de la dernière extension de Diablo III, de Facebook… Lillian Hellman, mort en 1984, n’avait certainement théorisé tout ça !

Le talent de chaque acteur n’est pas absent à tout cet éclat. Particulièrement en ce qui concerne les deux femmes quarantenaire, l’héroïne et sa belle sœur (archétype de la desperate housewife), qui sont d’une justesse effrayante. Bordeline dès le début, les deux sombrent dans des folies démentes, mais avec une intériorité et des nuances qui ajoutent encore plus à l’inquiétude dans laquelle le spectateur est plongé.

Tout au long de la pièce, Ostermeier nous tient dans sa main, et il serre et desserre son emprise à loisir jusqu’à la scène finale où La Vipère est seule, abandonnée par sa propre famille, mais riche. Est-ce donc ça la vie ? Ou comment plusieurs millénaires après Aristote, Ostermeier arrive comme aucun autre à susciter « pitié et crainte » dans un spectacle absolument moderne.

Pratique : (the little foxes) La Vipère, jusqu’au 6 avril à la Scène Nationale de Sceaux. Horaires et réservations sur http://www.lesgemeaux.com/