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[THÉÂTRE] On n’entend pas « Ysteria »

Clémentine Ménard, Julie Denisse et David Gouhier flamboyants, en début de spectacle.
© Pierre Planchenault

Pour sa dernière création, écrite, mise en scène, et concoctée au Théâtre national de Bordeaux Aquitaine (TnBA), avec sa compagnie Le Perdita Ensemble, Gérard Watkins s’intéresse au phénomène de l’hystérie. Un spectacle inégal, porté néanmoins par de bons acteurs qui, malgré leur conviction, naviguent en eaux troubles.

Au restaurant, un trio discute. À première vue, on parie sur un couple et sa belle-fille. On est vite dérouté lorsque chacun se présente à la salle comme médecin psychiatre. Tout au long du spectacle, on ne sait jamais trop si ces personnages sont amis, parents ou amants. Gérard Watkins sème le doute plutôt adroitement. S’annonce alors une démonstration, sous forme de conférence, à propos de l’hystérie. Deux patients seront examinés face à nous. 

Devant un pan de mur bleu-gris, troué de quatre portes, les trois docteurs évoluent dans un décor très sobre qui sent le paramédical. Éléonore, Charlotte et Jean-Marc prennent en charge Arthur, employé dans une pizzeria. Paralysé du bras gauche sans explication nette, il est soigné dans le centre dirigé par Éléonore. Avec lui,  Anaïs, bientôt fiancée, se mord tout le temps la lèvre et ne peut bouger le bras droit. S’amorce alors une sorte de thriller à la limite du voyeurisme, pendant lequel on s’essaie à déceler les troubles, les symptômes, les non-dits, de ces jeunes patients. Entre séances d’hypnoses et débriefing des médecins, on se régale tout autant des ficelles tirées pour donner à sentir le métier de psychiatre. La curiosité est piquée et la concentration à son comble. Mais malheureusement, le rythme va s’essouffler.

Une performance pesante

À trois ou quatre reprises, le metteur en scène court-circuite son récit, situé initialement, dans le centre psychiatrique. Il nous emmène d’abord dans une Grèce antique à la recherche d’Asclèpios, héros de la médecine, selon l’Illiade de Homère. Quelques scènes plus tard, on est au Moyen-Âge. Sans grande surprise, les femmes qui accusent leurs maris de défaillances sexuelles, y sont considérées comme des sorcières à brûler. Puis un peu plus loin, nous sommes à la Renaissance… Bref. 

En approchant cette névrose sous les angles historique et individuel, Gérard Watkins s’attaque aux préjugés sexistes, induits par le traitement de cette maladie. Et cet engagement revendiqué fait son petit effet, mais sans grande finesse. La pièce est alourdie par des éléments « performatifs » dangereusement penchés vers le ridicule : à mesure que Julie Denisse, qui joue Éléonore, fait des souplesses en hurlant, et que David Gouhier, dans le rôle d’un psy, mime de la pénétrer. Ces intermèdes historiques, censés découdre l’histoire d’une médecine pratiquée par et pour des hommes, occultent malheureusement la portée, disons-le féministe, de ce choix d’écriture. Gérard Watkins atteindrait presque son but, si seulement son texte ne se retirait pas (à l’attention du public) un peu tôt, trop souvent.

«Ysteria» écriture, mise en scène et scénographie de Gérard Watkins avec Le Perdita Ensemble.

Durée estimée 2h

Au Théâtre de la Tempête, à Paris, du 21 mars jusqu’au 14 avril.




Zingaro : Bartabas achève la bêtise

Copyright : Hugo Marty
Copyright : Hugo Marty

Lorsqu’on se rend au cirque Zingaro, l’aventure est totale, merveilleuse dès l’entrée dans le chapiteau de bois réservé à l’accueil. En hauteur, les souvenirs des spectacles qui ont fait la renommée de Bartabas. Des costumes et autres éléments de décors nous rappellent et nous transportent dans une épopée toujours en cours : celle du créateur du théâtre équestre et sa troupe, composée de chevaux et d’hommes.

La structure de « On achève bien les anges », spectacle créé aux Nuits de Fourvière 2015, reste celle du cirque : une alternance de numéros qui réserve chacun ses surprises. Beaucoup de chevaux, certes (jusqu’à 15 sur la piste), mais aussi des clowns, funambules et autres danseurs. L’esthétique générale, splendide, est dominée par des tons froids : noir et blanc en alternance. La lumière vient moduler les volumes et transforme le cercle central en trou noir, cimetière ou mer de nuages. Quelquefois, une touche de rouge marque un passage drôle ou sanglant.

Copyright : Hugo Marty
Copyright : Hugo Marty

Bartabas dépasse le simple choc esthétique. Le propos est fort et osé. Il s’attaque ici aux extrêmes religieux, quels qu’ils soient, avec violence. Il dérange, questionne, prend des risques sans tomber dans l’irrespect. A Zingaro, la beauté et l’autodérision soignent le monde.

Aussi, plus qu’un tourment visuel et cérébral, « On achève bien les anges » est un éloge à la lenteur. Le spectateur, par le temps nécessaire pour s’installer, le temps des numéros, le rythme des musiques et le développement des images est une invitation à vibrer sur un autre rythme, à contempler et penser le monde qui nous entoure. Le public n’est plus dans une simple relation de plaisir entre le spectacle et son désir, il doit apprendre à suivre la temporalité qui relie le cheval à celui qui le dresse.

Combinant ces merveilles à un propos limpide, Bartabas fait de ce théâtre sans parole un moment où la bêtise reste suspendue et où le cerveau respire. Une rencontre au sommet entre la beauté et l’intelligence.

« On achève bien les anges », un spectacle du Cirque Zingaro. Mise en scène, Bartabas, actuellement au Fort d’Aubervilliers, 93300, Aubervilliers. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur bartabas.fr/