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[Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s’abat sur nous

Photo : Clément Carmar

Le Théâtre de la Bastille accueille La Mouette, une pièce de Tchekhov mise en scène par Thibault Perrenoud, qui nous en offre une version décapante, saisissante de réalité et toujours en prise avec l’actualité.

Dans la pièce de Tchekhov, la mouette n’est autre que Nina, une jeune femme qui va périr d’amour. D’abord aimée de Constant qui lui écrit une pièce, la jeune actrice qu’elle est va s’enfouir avec l’amant de la mère de celui qui l’aime et qui lui abattra une mouette. Comme d’habitude chez Tchekhov, tous sont tourmentés, se cherchent, fuient mais reviennent confrontés à ce qu’ils sont. Dans la mise en scène signée par Thibault Perrenoud, les personnages sont ceux de Tchekhov mais comme actualisés, transposés à aujourd’hui et nos vies. Dès leur entrée sur un plateau où le public est installé dans un système en quadri-frontal, ils se révèlent proches de nous, ils jouent des sentiments que l’on connaît tous, ils sont assis parmi nous et dans une temporalité qui nous échappe tant cette pièce ainsi montée s’impose comme une évidence, on est balloté d’émotion en émotion, de la détresse de chacun à la mort annoncée de l’un d’eux.

Même s’il prend des risques avec le texte original, le metteur en scène crée un spectacle épuré, marqué par des fulgurances qui nous heurtent en plein vol si bien que l’âme de Tchekhov plane toujours au-dessus de nous, et ce malgré le choix d’un franc-parler déroutant au départ. Là où Thibault Perrenoud comme sa troupe d’acteurs excellent, c’est aussi dans ce qui n’est pas dit mais que l’on voit ou que l’on entend quand même. Car entre les répliques ou pendant, les situations semblent se vivre « pour de vrai », toujours il se passe des choses hors-scène, et toujours les frustrations de chacun – amoureuses ou artistiques – sont prégnantes.

En deux heures à peine, on éprouve les vies des personnages, leurs difficiles relations entre eux et avec le monde qu’il faut habiter. Par de multiples clins d’œil intelligents à notre actualité, le chômage, l’écologie, le terrorisme, le metteur en scène nous achève et montre qu’avec peu de choses il reconstitue tout un monde et un tissu social qui nous interpellent. Et plus le temps passe, plus comme cette mouette abattue, spectatrice constante abandonnée en bord de plateau, on y laisse quelques plumes.

« La Mouette », de Tchekhov, mise en scène Thibault Perrenoud, actuellement au Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-bastille.com/saison-16-17/les-spectacles/la-mouette




« Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles » : trio explosif au Lucernaire

Photo : Franck Harscouët
Photo : Franck Harscouët

Dans un genre de salon de jazz qui plonge le spectateur dans une atmosphère cosy et feutrée, fauteuils en cuir et instruments de musique laissés ça-et-là, un trio sérieusement déjanté s’empare de l’espace et des textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard dans une mise en scène signée Laurent Serrano. Entre sketchs drôles ou questions sérieuses sur la vie portés pas un univers poétique, de bout en bout le spectacle est cocasse, loufoque et hilarant.

Alternant entre des moments chantés en chœur et vives discussions entre amis, les trois hommes, Jean-Edouard, Jean-Christophe et Jean-Marc, n’ont de cesse de faire de situations banales des moments fantaisistes, à tel point que les dialogues semblent avoir été créés lors d’un cadavre exquis, sinon d’après un recueil de poèmes de Prévert. Des malheurs de l’ex-compagne de l’un à la certitude d’un autre d’avoir croisé Verlaine assis devant chez lui, tout s’enchaine sans temps mort et avec beaucoup de dynamisme. En costumes et toujours un verre d’alcool à la main, tout ce qui est promesse de sérieux et d’élégance s’envole vers l’absurdité lorsque l’un propose aux autres de leur vendre son bout d’arc-en-ciel, ou qu’un autre soutient que les lampadaires sont des dromadaires morts. Avec sincérité, une impression de spontanéité et de facilité déconcertante, les comédiens nous livrent un spectacle aussi drôle que touchant. Une scène muette en particulier marque les esprits quand seulement avec la contorsion de ses mains devenues petit couple d’amoureux, un des acteurs parvient à jouer plus d’attitudes amoureuses et de sentiments que les mots n’auraient pu en exprimer.

Touchante et poétique, l’histoire veut finalement que certains soient faits pour agir et d’autres pour commenter l’action, sur scène l’action est multiple, décalée, chantée, muette, jouée et commentée tout à la fois, avec un élan qui séduit.

Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles, textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard, adaptation et mise en scène Jean Serrano, avec Pascal Neyron ou Laurent Prache, Emmanuel Quatra et Benoît Urbain. Jusqu’au 6 novembre au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris, 01 45 44 57 34, durée 1h10, plus d’informations et réservations sur : http://www.lucernaire.fr/theatre/631-les-elans-ne-sont-pas-toujours-des-animaux-faciles-.html




Avignon IN 2016 « Espaece » : repenser les contraintes formelles de Perec

Photo : Aglé Bory
Photo : Aglé Bory

En 1974, l’écrivain et verbicruciste qu’était Georges Perec écrit Espèces d’espaces, un ouvrage qui questionne l’espace comme réalité tangible et répond aux contraintes formelles et jeux de style habituels de l’auteur de La disparition, fameux roman sans aucune occurrence de la lettre E. Aurélien Bory propose une mise en scène drôle et envoûtante de ce livre fantasque.

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » écrivait Perec. C’est de cette phrase que toute l’adaptation de l’essai perecquien commence. À partir de là, la scène a été pensée comme une zone vide où à la grande surprise du spectateur, seul le mur du fond et ses deux sorties de secours se met à bouger de manière infernale, emportant avec lui les acteurs et danseurs. C’est sans se cogner, dans une chorégraphie qui se joue du vide que les personnages évoluent, dansant, s’accrochant à la structure murale ou à des barres de danses tombées du plafond. Presque toute en silence sinon quelques chants lyriques et un jeu hilarant improvisé chaque jour par Olivier Martin-Salvan, la représentation est hypnotique, seuls quelques mots viennent flotter dans l’espace et occuper le silence.

Alors que le livre sert de matériau, chacun des personnages a un exemplaire et compile des mots avec, il se range rapidement dans la structure en bois, envers du mur devenu bibliothèque dans laquelle les personnages se contorsionnent. Indéfiniment, l’espace se meut, se redessine, aspire les comédiens et les fait danser. Le rythme est remarquable, il est rare de voir l’esprit de Perec ainsi traduit, l’hommage est réussi. Dans une tension constante entre fixité et mouvement, la structure appelle à des sons amplifiés qui résonnent dans l’espace et l’habitent à leur manière. Comme le faisait Perec avec les mots et les formalités qu’il s’imposait, les comédiens se plient à l’espace et non l’inverse, ce sont les mots qui dictent une attitude et des mouvements pour un résultat empreint de poésie. Entre chanteurs, gymnastes et comédiens, l’espace n’est jamais fini.

De l’espace de la page blanche à une pensée de l’espace urbanisé, les rapports à l’espace sont multiples et non univoques, la mise en scène est très esthétique et les comédiens bien dirigés, Aurélien Bory crée un spectacle ou l’écriture semble échapper à l’errance.

Espaece, mise en scène Aurélien Bory, avec Guilhem Benoit, Mathieu Desseigne Ravel, Katell Le Brenn, Claire Lefilliâtre, Olivier Martin-Salvan.

Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 23 juillet, à 18h, durée 1h15.

Tournée : du 5 au 11 octobre 2016 au Grand Théâtre de Loire-Atlantique Nantes, les 18 et 19 octobre au Quartz Scène nationale de Brest, le 3 novembre au Théâtre de l’Archipel Scène nationale de Perpignan, les 9 et 10 novembre au Tandem Arras-Douai, les 17 et 18 novembre à la Maison des Arts de Créteil, les 8 et 9 décembre au Parvis Scène nationale Tarbes Pyrénées, du 13 au 17 décembre au TNT Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, du 4 au 8 janvier 2017 au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais, les 12 et 13 janvier au Volcan Scène nationale du Havre.




Avignon OFF 2016 : « El Niño Lorca », un conte musical poétique

Photo : Jean-Yves Delattre
Photo : Jean-Yves Delattre

El niño Lorca est un spectacle musical créé par Christina Rosmini et mis en scène par Hélène Arnaud autour de la poésie de Federico García Lorca et de son rapport à l’enfance. En partant de la biographie du poète, l’artiste mêle sa réflexion artistique à la réalité historique et crée ainsi un spectacle poétique à la mémoire de Lorca.

Seule en scène dans un décor des années 30, la comédienne chante la vie du poète né avec le XXe siècle et assassiné par les milices franquistes en 1936. En restant fidèle à sa biographie, Christina Rosmini chante son enfance et sa poésie. Devenu petit bonhomme de papier recouvert de mots, Lorca est toujours manipulé tel un petit enfant sorti d’une boîte par la comédienne avec beaucoup de délicatesse et d’attention. Sous nos yeux, grâce à des projections animées qui sont le fruit d’illustrations réalisées par Émilie Chollat, le poète reprend vie, lui qui voulait faire de la musique et fit de la littérature serait avant tout un génie resté enfant. Destiné à un public large, le spectacle aborde habilement des sujets comme l’homosexualité du poète et sa mort prématurée.

De la bouche de Christina Romsini, tout ce qui est grave devient une fable onirique marquée par les nombreux talents de l’actrice qui, parfois accompagnée d’un musicien, chante et danse quelques pas inspirés du flamenco et par des mots qui pleurent, ressuscite l’âme de Lorca et par extension, de son amour pour Grenade. Si quelques passages comme l’énumération des amitiés du poète avec Dalí et d’autres nous fait d’abord douter des ambitions « jeune public » du spectacle, tout est fait pour que l’ambiance créée pallie aux références historiques et au destin brisé de Federico. Réputée pour ses compositions musicales, la chanteuse joue tous les rôles et réussit son pari, sa voix nous envoûte de sorte qu’on aurait voulu ne l’entendre que chanter tant son amour pour la langue espagnole rejaillit dans ses mots. Notre seul regret vient de la durée du spectacle qui aurait gagné à être écourté et recentré autour du chant.

Sincère et avec beaucoup d’humilité, Christina Rosmini signe une prestation soignée, ode à l’enfance, la vie et la poésie de Lorca, le franquisme aura peut-être eu raison del Niño, mais on ne tue jamais vraiment les poètes.

El niño Lorca, mise en scène Hélène Arnaud, avec Christina Rosmini et Bruno Caviglia, illustrations d’Emilie Chollat, scénographie de Charlotte Villermet.

Festival d’Avignon, 3 Soleils Théâtre, 4, rue Buffon, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, à partir de 8 ans, 22h20, durée 1h20, réservations au 04 90 88 27 33.




Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste

Photo : Jean-Erick Pasquier
Photo : Jean-Erick Pasquier

Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante.

Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme.

Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéo-chrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie.

Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon).

Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15.




De l’insouciante légèreté de la jeunesse

L’âge de la jeunesse : passage sublime et inconscient duquel on ne sort jamais indemne et dont on garde, souvent, des souvenirs impérissables. Une période qu’Arnaud Desplechin raconte avec douceur et légèreté dans son dernier film, Trois souvenirs de ma jeunesse

Le temps qui passe, l’existence, l’amour, autant de thème qu’aborde ce nouveau long-métrage, qui, une fois de plus, ne nous déçoit pas en étant cet hymne à la vie et au vivant. D’un récit en trois parties, le réalisateur nous conte différentes étapes, de l’enfance à l’adolescence, sous les traits et le jeu de Paul Dédalus, son personnage principal. Pourtant, à la fin du film, c’est bel et bien d’Esther dont on a retenu le nom et le visage ; cheveux blonds et regard enchanteur, elle est le souvenir d’un amour de jeunesse perdu. Le cœur de l’histoire repose ainsi sur l’amour, naïf, brut, que les relations adolescentes peuvent entretenir. Les liaisons passionnées et destructives de nos vieux amants d’antan qui conditionnent notre avenir.

© Jean-Claude Lother / Why Not Productions
© Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Les premières minutes du film portent l’ambiance nostalgique et mélancolique qu’accompagne les belles histoires d’amours qui se terminent. Paul, s’apprête à quitter le Tadjikistan et les bras d’une jolie femme qui semble plus émue que lui à l’idée de le voir partir. Il retourne en France, très vite rattrapé par des souvenirs : son enfance et la relation conflictuelle avec sa mère, les liens familiaux avec ses frères et sœurs, sa première sortie scolaire avec son meilleur ami. Avec succès, Desplechin, ne manque pas de jouer sur le décalage narratif de certaines séquences, intervertissant des scènes dramatiques avec de l’action. Le chapitre sur la Russie est d’ailleurs un battement très agréable de l’histoire, bref mais efficace, qui donne une nouvelle dynamique. Une partie primordiale pendant laquelle Paul est amené à offrir ses papiers à un jeune garçon, lui donnant ainsi son identité. N’étant alors plus le seul Paul Dédalus sur la terre, il se questionne quant à l’existence et sur qu’est-ce « être quelqu’un ».

Son existence, il ne semble l’avoir trouvé qu’à travers les yeux d’Esther, qui constitue la troisième partie, bien plus longue, du film. Loin des teen movies à l’eau de rose, c’est une histoire d’amour poétique, philosophique presque, qui revient sur les prémisses des premiers amours, des tendres moments de séductions aux désaccords qui entrainent la rupture. Un tableau sublime qui se compose doucement pendant plus de deux heures par le biais de séquences intemporelles, d’images comme ralenties, de regard fixe qui emportent le spectateur. D’une beauté visuelle, le film repose également sur la qualité de ces dialogues et du génie du bon mot de Desplechin. On lui reconnaît l’art de la citation, de la belle parole qu’il nous chuchote aux oreilles. Chaque mot sonne juste et vrai résonant ainsi plus fort en chacun de nous.

De cette envolée filmique on retient également les acteurs, Quentin Dolmaire (Paul) et Lou Roy Lecollinet (Esther). Tous deux signent ici leur premier grand rôle avec triomphe. De leur maladresse, se transmet un charme fou. Attachant dans leurs imperfections, ils sont tous deux le reflet d’une jeunesse exaltée et passionnée qui promet de grande chose. Trois souvenirs de ma jeunesse agit comme un véritable miroir et nous renvoie à nos expériences (mal)heureuses de jeunesse. Un film qui en bouleversera certains, doux, tendre dans lequel flâne un agréable parfum de nostalgie donnant envie d’avoir à nouveau 20 ans.

 « Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin, sortie au cinéma le 20 mai 2015.




Un « bois lacté » traversé par un fleuve d’émotions

© Pascal GELY
© Pascal GELY

Avec « Le bois lacté », Dylan Thomas signait une pièce poétique [1. La pièce a été créée pour la radio en 1952]. Les mots y sont utilisés pour créer un imaginaire qui transporte le lecteur/spectateur comme un fleuve drague une multitude d’objets. On est pris dans le courant de la journée d’un village Nord-Américain où 63 personnages (jouées par 7 acteurs), laissent à voir leur intimité jusque dans ses méandres les plus profondes. Le texte, difficile au premier abord, est dit de façon claire. Il ne faut pas chercher à comprendre à tout prix : les images parlent d’elles-mêmes et, pour nous aider, celles-ci se succèdent dans une structure temporelle et spatiale bien définie.

Chacun des protagonistes décrit son existence, donne son regard sur lui-même dans des situations simples, récurrentes. Tantôt dans une diction narrative, tantôt vivant l’action. Il n’y a pas d’ordre d’importance entre eux. Tous égaux face à la vie ! Chacun ses rêves, ses relations… L’une est maniaque, seule dans sa grande maison, l’autre est alcoolique et il vit une histoire physique avec une jeune femme dans la forêt. L’un tente depuis des années de tuer sa femme, l’autre voit l’amour quand il regarde le village chaque matin. Finalement on est ensemble, mais chacun dans son monde et chacun dévoile son jardin secret.

Stephan Meldegg réussi là une prouesse de mise en scène en faisant jouer cette galerie de personnages sur la (toute) petite scène du théâtre de Poche. La plupart du temps, tous les comédiens sont sur le plateau. Parfois, seul l’un d’entre eux déclame, parfois ils s’animent tous ensemble pour créer une ambiance propice à soutenir la narration : équipage d’un navire, troupeau de chèvre, pilliers de comptoirs, visite touristique… Ce parti prix d’occupation de l’espace ressert d’autant plus l’attention autour des mots.

Finalement, c’est un véritable conte qu’il nous est proposé de vivre dans ce « Bois lacté », une histoire au long cours qui prendra qui veut bien se laisser happer, un moment où il y a autant d’émotions à vivre que de personnages à rencontrer.

Pratique : Jusqu’au 8 décembre 2013 au théâtre Poche-Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris – Réservations par téléphone au 01 45 44 50 21 ou sur www.theatredepoche-montparnasse.com / Tarifs : entre 10 € et 35 €.

Durée : 1 h 30

Texte : Dylan Thomas

Mise en scène : Stephan Meldegg

Avec : Rachel Arditi, Jean-Paul Bezzina, Sophie Bouilloux, Attica Guedj, César Méric, Jean-Jacques Moreau, Pierre-Olivier Mornas




Aëla Labbé, l’œil du passé au présent

Envoutantes, mystérieuses, fascinantes, dérangeantes… ces images.

Ses images.

Sa vision de la vie, poésie mélancolique, spleen féerique.

Flottant entre l’irréel adulé et le rêve brisé, le regard de femme et celui de l’enfant, la nostalgie d’un passé immaculé et l’envie d’un futur dansé. Aëla est là. Devant et derrière l’objectif.


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Jeune danseuse aujourd’hui photographe. Elle, faite pourtant pour le mouvement, capte ici l’instant. Le fige pour s’immerger et s’y replonger sans cesse. Alors l’image vieillie, emplie de brume et de bibelots d’un autre siècle dévoile à peine une enfance volée, une danse interrompue brutalement. « La photo m’a aidé à transmettre du rêve, de la magie que j’avais perdue à un moment donné. A combler ce vide d’échange avec le public qu’avait la danseuse »


Fini de rêver?

Sereine devant tant d’incertitudes. Accomplie parce qu’incertaine, Aëla arrête la vitesse du  temps. Figées, ces créatures féeriques venues des paysages  mythiques du Morbihan sont froides ou bouillonnantes de vie. La mélancolie n’a pas d’âge et s’agrippe aux longs cheveux soyeux comme elle rythme les vies pourtant jeunes des beautés à qui Aëla tire le portrait. Neveux, nièces, frères et sœurs inspirent l’artiste. Prenez Jeanne, 10 ans et pourtant si mélancolique explique la tante étonnée « L’enfance, c’est aussi la peur ou l’angoisse, et pas seulement l’univers parfait où le beau est partout. On me compare souvent à Sally Mann, je ne connaissais pas mais ce fut une révélation car elle met les enfants dans des situations différentes de celles où on les enferme d’habitude. »

Plongée en enfance pour mon œil amoureux. les clichés me rappellent l’univers de l’ illustrateur suédois Carl Olaf Larsson, un vieux bouquin qui trainait chez moi et qui m’est curieusement resté en mémoire.

Les images enveloppent, bercent, suscitent sourire, proposent beauté, puis l’image devient entêtante, les regards enivrants, obsédants, les yeux fermés des sujets morbides…

Troublantes certaines photographies où le sommeil flirte avec la mort, cette dernière singeant le sommeil. « C’est étrange, on me parle souvent de la mort…La mort me fait peur c’est vrai. Mais ce n’est pas d’elle dont j’ai voulu parler. Les paupières fermées illustrent plutôt la désillusion. Le rêve clôt. Peut être parce qu’au fond de moi, ce rêve que j’essaie de transmettre, je n’y crois plus vraiment. »

Décalée, Aëla ? Sortie de son univers, c’est aussi avec cette grand-mère qu’elle accompagne régulièrement dans ses nuits pour lutter contre la peur et la solitude qu’elle se sent à l’aise. « Le Passé est pour moi un paradis perdu, j’aime les choses poussiéreuses. Nous nous plongeons dans ses vieilles photos de famille pendant des heures et mes vieux habits sortis tout droit d’Emmaüs lui parlent complètement : elle a les mêmes ! »



Un voile sur le mystère Aëla

Issue d’une famille de 5 enfants nés de parents soixante-huitard, la mère collectionne les objets d’antan, le père est porté par l’engagement, il sera maire de la commune de Saint-Nolff.

Aëla a toujours dansé. Après son Bac littéraire à Toulouse, l’esprit compétitif du milieu de la danse en France lui déplaît et la pousse à l’étranger. À Amsterdam en Hollande, la jeune fille suit durant 3 ans les cours de danse théâtrale, danse des gestes du quotidien, initiée par Pina Bausch, d’une école supérieure d’art.

« Les études terminées, j’ai commencé à travailler avec un chorégraphe qui m’a physiquement détruite. Cela s’est très mal passé ». On n’en saura pas plus. Pas d’importance, cette cassure enfouie qui se glisse dans ces clichés lui appartient. Et finalement, là où la douceur se mêle de douleur, la douleur se fait douce dans le travail d’Aëla.

La jeune femme retourne alors dans la maison familiale de Bretagne.

Du bouillon culturel et artistique de la ville, elle se sent un peu seule ici et commence son histoire avec la photo il y a deux ans. La photographe autodidacte a aujourd’hui 24 ans.

Elle enchaîne des séries sur sa sœur, « Maïna, ma grande sœur, me ressemble beaucoup. Ça m’intéressait de jouer sur la similarité et la singularité. Comment développer une singularité quand on se ressemble tant ? » sur son entourage vivant, humain ou naturel, qu’elle diffuse sur Facebook ou sur Flickr . Se fait connaître petit à petit.

Incontournable photographe français,Willy Ronis disait « La photographie, c’est le regard. On l’a ou on ne l’a pas. Cela peut s’affiner, la vie aidant mais cela se manifeste au départ avec l’appareil le meilleur marché. »

Chez Aëla, le regard et l’univers sont là. L’esthétisme travaillé est exigeant. Reste la technique qu’elle ne maîtrise pas encore. Du numérique au polaroïd, la jeune photographe se met petit à petit à l’argentique pour apprendre la maîtrise des règles photographiques, de l’outil, de l’art de capter la lumière..

Après des premières expositions à Saint-Nolls puis à Nantes et Athènes, la jeune femme est de plus en plus demandée par des sites ou magazines internationaux. Aëla vient de réaliser sa première interview en français, pour Arkult. L’expérience s’est bien passée, nous confiera-t’-elle. Partagé.

Et moi de repartir faire un tour, dans l’univers d’Aëla en fredonnant The Virgin Suicides de Air et The Pirate’s gospel’ d’Aéla Diane.

Nostalgiques éperdues, s’abstenir.

http://www.flickr.com/photos/aela/

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