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[Théâtre – Avignon ] Anne-Cécile Vandalem embarque sur l’Arctique

« Arctique » de Anne-Cécile Vandalem © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

À bord de l’Arctique Serenity, six passagers. On ne sait pas ce qu’ils y font et d’ailleurs eux non plus. Polar d’anticipation, on est en 2025. Arctique se déroule dans les couloirs d’un paquebot, sur fond de colonisation du Groenland à venir. Après Tristesse, créé en 2016 au Festival d’Avignon, Anne-Cécile Vandalem signe le deuxième volet d’une trilogie sur les échecs humanitaires de notre temps. Cette épopée à huis-clos confirme que la metteure en scène belge est une autrice virtuose.

Une bourgeoise qui hurle et trimbale son mari en cendres dans une boite à biscuits. Un faux débile, lui, dégobille son mal de mer dans les sceaux à champagne. Une vieille cataleptique vide ses bouteilles d’oxygène entre deux pertes de conscience tandis qu’une voix rauque s’échappe d’une femme mystérieuse, emmitouflée dans sa combi de ski. Deux passeurs méfiants parquent cette joyeuse bande dans le salon d’un ferry qui en 2017 fut saboté par des militants écologistes.

Prisonniers sur la scène et poursuivis par une caméra, ils s’aventurerons dans les couloirs glacés et interdits du bateau : l’Arctique Serenity. Pas si serein que cela… Anne-Cécile Vandalem explore les réflexes de survie de personnages d’origines sociales différentes. L’humain n’y survit pas et tout devient permis au fil de la traversée. Mensonges, manipulations et dissimulations s’intensifient lorsque le remorqueur qui les tracte largue l’amarre. Dès lors ils dérivent et attendent la mort. Dramatique et jouissive, l’aventure est bombardée de péripéties hilarantes mais tout aussi pétrifiantes.

Casting homogène et puissant. Usage savant et pertinent de la vidéo. Exquise composition musicale. Exploitation virtuose de l’espace de la scène. Interaction délicieuse avec un spectateur qui s’effraie presque autant qu’il éclate de rire. Sans jamais une fadaise, Anne-Cécile Vandalem livre la preuve d’un vaste et subtil talent à politiser un récit. Une pépite.

 

« Arctique » écrit et mis en scène par Anne-Cécile Vandalem.
À La FabricA jusqu’au 24 juillet 2018
Dates de tournée sur : http://www.dasfrauleinkompanie.com/df/arctique/




1275 âmes (et quelques morts plus tard) de Jim Thompson

Crédit photo : Folio Policier
Crédit photo : Folio Policier

Polar sauce western,  1275 âmes est le récit du shérif de Pottsville, Nick Corey, héros délicieusement antipathique d’une ville qui ne l’est pas moins.

Sous des airs tout d’abord lâches et fainéants, nous le découvrons au fil des pages rusé et manipulateur se jouant de l’hypocrisie et de la vilénie des 1275 habitants.  Justifiant le meurtre (et sa lâcheté) par une mission divine. Qui sont les innocents, qui sont vraiment les coupables ? Certainement tous et personne à la fois.

Qualifié de Polar rural, proche de l’atmosphère de John Steinbeck et des décors de Mark Twain, mais la comparaison s’arrête bien ici. Publié en France en 1966, ce roman conjugue le cynisme à tous les temps.  Les femmes sont calculatrices et les hommes des pochetrons paresseux. Amateur de bons et beaux sentiments fuyez !  Pour tous les autres, vous adorerez détester les personnages. Les dialogues peuvent parfois dérouter mais nous resituent dans une Amérique profonde  où les « nom de nom » ou « Et v’la-ti’ pas… » sont légions. Il y a peu d’indication temporelle dans cet ouvrage, nous déduisons simplement que  l’esclavagisme n’est pas encore aboli, peu importe, l’action pourrait se transposer à notre époque ce qui rend ce polar encore plus captivant.

 

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Extraits :

« – C’est mon métier, oublie pas, de punir les gens pour le simple fait qu’ils sont des êtres humains. De les amadouer jusqu’à ce qu’ils se montrent tels qu’i’ sont et ensuite de leur tomber dessus. Et c’est un sale boulot, figure toi, mon loup, et j’estime que le plaisir que je peux trouver à les piéger,  j’ai bougrement mérité. »

« Je suis les deux à la fois, […] Le type qu’est trahi et celui qui trahit l’autre, les deux en un seul ! »

1275 âmes

Traduit de l’anglais (États-Unis) : Marcel Duhamel

Titre original : Pop. 1280

Édition originale : Gallimard / Série Noire – Janvier 1966
Rééditions : Gallimard / Série Noire – Septembre 2005 /
Dernière édition poche : Folio Policier – Octobre 1998
Autres éditions : Folio – Juin 1988 / Carré Noir – 1980 /

Adaptation au cinéma : Coup de Torchon de Bertrand Tavernier.




Consulting – François Thomazeau

Vous connaissiez peut-être « Violence des échanges en milieu tempéré » (1), ou encore « Ressources Humaines » (2).
Avec « Consulting » de François Thomazeau, c’est un consulting nouvelle génération qui arrive.

Il est bien question de rendre service aux entreprises, d’optimisation des organisations, et de ressources humaines.
Mais les solutions proposées par La Boîte sont radicales, extrêmes et irrévocables. Le sous-titre de ce livre aurait en effet très bien pu être « Les Tontons flingueurs ». Pas de demi-mesure avec les victimes identifiées par La Boîte, il n’est pas question qu’elles en réchappent.

Extrait :
« Une détonation exagérée troua la nuit.
Et la mort ne vint pas. Pas la sienne en tous cas. Antoine fixa, incrédule, la gueule noire du pistolet. L’arme tomba dans un bruit sec sur le capot de la BM. Le haut du corps de Gardinier la rejoignit dans un son mat, lourd. Antoine pivota sèchement, rapace aux aguets,vers la direction d’où était parti le coup de feu. L’autre coup de feu. Le tireur était franchement grotesque avec sa pétoire à la main. Une arme de défense pour père de famille. Un fusil à pompe dont le canon avait été scié. Le type reluquait le capot de la BM et la bouillie rougeâtre qui avait remplacé le beau visage régulier de Gardinier. »

Dans le rôle de l’exécutant, un jeune consultant : Antoine Jacob (surprenant non ? … comprenne qui pourra)
La rencontre inattendue avec un fervent syndicaliste, Pascal (au bout du) Rouleau, marque le début d’une folle aventure entre « Les Compères » (autre sous-titre envisageable pour ce polar).

De séquestration en meurtre de sang froid, de légitime défense en chantage avec violence, tout y passe.
La plume de François Thomazeau nous tient en haleine, tout comme la gachette de ses personnages.

Pas question de s’échapper de l’histoire, de fuir devant les chapitres …
Le lecteur suit cette piste infaillible qui le conduira au dénouement de l’histoire.

 

(1) : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=28735.html
(2) : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=21127.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Consulting, de François Thomazeau
Editions Au-delà du raisonnable
204 pages, 15€
ISBN : 2919174027

 




« Julie des Batignolles », charmant hommage aux mots des années cinquante

Affiche du spectacle

Lors de son dernier passage au théâtre La Bruyère, Eric Métayer avait fait un carton, grâce à une pièce récompensée de deux Molières (à l’époque où ceux-ci avaient encore cours). C’était avec Les 39 Marches, d’après Alfred Hitchcock, qui a tenu l’affiche pendant un peu plus de 500 représentations.

Pour Julie des Batignolles, Eric Métayer choisit de mettre en scène la pièce d’un auteur presque inconnu (Pascal Laurent), qui est un modeste hommage, drôle et tendre, à Michel Audiard comme à Michel Simon, et plus largement à l’époque des « Tontons Flingueurs ».

L’histoire présentée sur scène est celle d’une bande de branques à l’argot jaillissant de la bouche comme l’eau d’une source, qui décident de réaliser un kidnapping contre rançon. Le projet est de récolter assez de thunes pour financer un coup plus dingue : casser la Loterie Nationale. Bien évidemment, rien ne se passe comme prévu : l’otage est prise de logorrhée permanente, le plus jeune de la bande a la vivacité d’esprit d’une brique et pour couronner le tout, la planque qu’ils pensaient sûre ne l’est pas tant que ça…

 

Toute cette histoire (un peu longue de temps à autre) est portée par les deux cerveaux de la bande (Philippe Lelievre et Viviane Marcenaro), très bons dans leurs rôles respectifs. Le spectacle est charmant, plein d’humour. C’est un plaisir d’entendre ces mots parigots vieillis en fût de chêne, avec la répartie et le sens de l’image qui les accompagne. Des paroles qui nous plongent dans une bonne intrigue à tiroirs au cœur des années cinquante, sans plagiat ni exagération.

Pratique : Depuis août 2012 au théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère (IXe arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 48 74 76 99 ou sur www.theatrelabruyere.com / Tarifs : entre 10 € (jeunes) et 40 € (1ère catégorie).

Durée : 1 h 50

Texte : Pascal Laurent

Mise en scène : Eric Métayer

Avec : Philippe Lelievre, Viviane Marcenaro, Thierry Liagre, Manon Gilbert et Kevin Métayer