[Théâtre – Avignon] Si le terrorisme ne se voit pas, avec Gosselin il se vit
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Qu’est-ce qui peut bien mériter de s’enfermer dix heures dans une salle de spectacle ? Un effet de mode sans doute, la clim’ et les banquettes de la FabricA certes, mais peut-être et surtout l’expérience du théâtre. Tous les prétextes sont bons pour aller voir « Joueurs, Mao II, Les Noms », la dernière création de Julien Gosselin.
Un attentat se prépare au World Trade Center, celui des années 1980. Dans un appartement un couple se déchire, se masturbe et s’ennuie. À première vue quel rapport ? Joueurs, premier volet du spectacle, y répondra pour nous. Mao II, le deuxième, questionne le rôle de l’écriture dans un monde gangrené par l’idéal terroriste. Il est presque 23h lorsque s’amorce Les Noms, ultime partie de la soirée. Un homme seul assassine en Méditerranée des victimes choisies par leurs initiales. Julien Gosselin convoque magistralement l’Histoire en une pièce qui présente de façon irradiante les maux de notre temps.
De la violence, donc. Tissée comme un fil rouge elle n’est jamais illustrée mais expérimentée pour traverser les trois romans (dont Gosselin garde les titres) de Don DeLillo. Spectateurs et comédiens sont à leurs places respectives poussés vers leurs limites : épuisement des corps, excitation de l’ouïe, perte de la notion de temps, sommeil, envoûtement. De quoi faire taire les idiots qui déclarent en sortant, furieux et peu inspirés, qu’ils ne vont pas au théâtre pour voir du cinéma.
Connu pour éprouver, questionner le théâtre, le metteur en scène phare de l’École du Nord, use ingénieusement de la caméra embarquée. Elle est sur le plateau un personnage en soi, prodigieusement maniée par Jérémie Bernaert et Pierre Martin (respectivement régisseurs et créateur vidéo). Outil mais pas seulement, le cinéma permet de raviver la question de ce que l’on montre ou pas dans une salle de spectacle. Et il ne faut pas moins d’une petite dizaine d’heures à Julien Gosselin pour cerner les contours, explorer les ressorts d’une mécanique actuelle : le terrorisme.
L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.
Quoi de mieux que l’Histoire pour rappeler à la salle que l’islamisme radical semé partout dans le monde n’a vraiment rien inventé ? Consumérisme des biens, des plaisirs, des désirs : une société malade de trop de facilités fabrique en son propre sein l’idée de sa destruction. Trop fin pour le déclarer sur un ton dogmatique, l’habile chef-d’orchestre compose une pièce très fine qui donne généreusement au spectateur les clés pour comprendre son époque. Un tour de force qui réside dans une capacité à faire digérer un festin de dix heures qui sert du terrorisme marxiste, de l’Amérique des expats, la funeste secte Moon et l’amour qui se meurt. Rien que ça, en effet ! L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.
Envie irrésistible de ne pas lâcher son siège. Fatigué ? Affamé ? Vous pouvez tout à fait sortir pour prendre l’air, griller une cigarette ou faire une petite sieste. Mais l’on ne veut pas souffrir de ces besoins triviaux tant on est accrochés par ce qui se passe sous nos yeux. Le seul risque encouru est d’en rater une miette. Une savante lumière propose des atmosphères toujours plus saturées d’une sensualité folle. Le corps est à l’honneur, sublime et tellurique. Tous les sens s’alertent aux vues des performance de monuments d’acteurs. Un espace temps théâtre puissant et manifeste.
« Joueurs, Mao II, Les Noms » d’après Don DeLillo. Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin Dates de la tournée sur : https://www.theatre-contemporain.net/
[Opéra] Billy Budd au Teatro Real, éclatante plongée dans les abîmes du mâle
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À l’occasion de son bicentenaire, le Teatro Real de Madrid accueille une création événement coproduite par l’Opéra de Paris (qui devrait donc la présenter pour la saison 2018-2019) : Billy Budd. Cet opéra en deux actes composé par Benjamin Britten, dont le livret est de Edward Morgan Forster et Eric Crozier, est l’adaptation du roman homonyme d’Herman Melville, aujourd’hui mis en scène de façon monumentale par Deborah Warner.
Enrôlé de force sur le navire de guerre « L’Indomptable », contre la France à la fin du XVIIIe siècle, William Budd est un jeune marin qui fascine par sa beauté et son éclat, pourtant le capitaine d’armes John Claggart souhaite le voir disparaître. Accusé à tort de préparer une mutinerie à bord du vaisseau et d’incarner l’esprit révolutionnaire qui secoue la France, alors grande ennemie de l’Angleterre, Billy Budd est fatalement condamné, et pendu.
Si l’issue tragique de cet opéra est donnée dès la première scène, Deborah Warner parvient à créer une ambiance dignement grandiose où tout y est sombre et haletant. Du calme renforcé par le dépouillement de la scène aux tumultes des échanges entre William Budd et le maître d’armes : une vague inquiétante prend corps grâce aux nombreux choristes présents, se mouvant toujours en harmonie, déploiement visuel d’une mer capricieuse. Tels une seule onde tous les hommes de cet opéra, caractérisé par l’absence totale de femme, donnent des frissons, que ce soit par la force tranquille qu’ils représentent constamment ou par la grave puissance de leurs voix qui n’en est qu’une, celle de Billy.
Grâce à d’incroyables possibilités techniques, la metteure en scène crée un espace cerclé de cordes et de lignes d’eau, marqué par une structure en bois imposante qui bouge au gré des remous de la mer, et de la foule d’hommes qu’elle supporte – plus de 90 figurants et chanteurs. L’esthétique proposée par Deborah Warner donne finalement une lecture classique de cet opéra, dont elle parvient à saisir toutes les tensions, aussi admirablement portées par la distribution des rôles et soutenues par la direction musicale d’Ivor Bolton. On ressort notamment marqué par la prestation de Jacques Imbrailo (Billy Budd), mais surtout par celle de Brindley Sherratt, le maître d’armes à la voix de basse saisissante.
Deborah Warner offre un noble retour au Teatro Real, qui parvient à s’affirmer sur la scène européenne par cette coproduction, renforçant l’attente de sa création en mai prochain : Le Testament de Marie, de l’irlandais Colm Tóibín, avec Dominique Blanc au Théâtre de l’Odéon.
Billy Budd, de Benjamin Britten, livret d’Edward Morgan Forster et Eric Crozier, d’après Herman Melville, direction musicale Ivor Bolton, mise en scène Deborah Warner. Production du Teatro Real, coproduction avec l’Opéra National de Paris. Durée : 3h15 (avec entracte). Jusqu’au 28 février à Madrid. Plus d’informations ici : http://www.teatro-real.com/
Une histoire des illuminations publiques et privées de 1790 à 2016
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« Paris entier brille d’une nouvelle illumination (…) et la ville est encore magnifiquement illuminée », cette remarque si actuelle est pourtant du député Cabet, qui en 1845 évoque une fête de 1790. Devenu ordinaire, garanti par la ville, en 2016 à Paris, l’éclairage public ne nous surprend plus sinon pendant les périodes de fêtes, où l’on admire les façades des Grands Magasins et où l’on arpente les Champs-Élysées que l’on ne fréquente pourtant guère le reste de l’année…
Associée à la célébration, l’illumination, d’usage public ou privé, est désormais liée à Noël et plus généralement à décembre sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. D’un autre côté, peut-on dater Noël tel que nous le fêtons aujourd’hui ? Alain Cabantous et François Walter dans leur ouvrage Noël : une si longue histoire (2016) esquissent des pistes pour répondre à cette question.
Les débuts de l’électricité
Aujourd’hui devenu rituel obligé, le sapin et les décorations (notamment en Europe et aux Etats-Unis depuis la fin du XIXème siècle), marquent Noël, une fête qui date pourtant de l’antiquité romaine ! Depuis quand ? Le sapin serait entré dans l’espace public dès le XVème siècle, et dans l’espace privé à la fin du XVIIIème. En cette même fin de siècle, Paris devient la « ville-lumière » : le temps de grandes fêtes, des rues entières se parent de décorations lumineuses qui ressemblent davantage aux décorations des siècles à venir qu’à celles du siècle passé, notamment de celles des fêtes royales de Versailles. Avant de parler de Noël, il faut faire un détour par la lumière…
Une gravure d’un dessin d’Armand Parfait Prieur montre par exemple des fêtes et lumières aux Champs-Élysées le 18 juillet 1790, date où le roi Louis XVI prête serment et accepte la Constitution, un jour particulier « où l’on se réunit spontanément au milieu d’une illumination spontanée et générale ».
La fin du XVIIIème siècle, qui correspond aussi à l’arrivée de l’éclairage dans des lieux très fréquentés comme les jardins ou les promenades publiques marque un tournant vers la démocratie. En effet, la lumière adopte des fonctions symboliques particulières : on ne saurait s’intéresser à l’histoire des illuminations de Noël sans évoquer la place que l’éclairage et l’électricité vont progressivement prendre dans les espaces de vie de chacun.
Simone Delattre, dans Les Douze Heures noires : La nuit à Paris au XIXème siècle, explique ainsi que l’éclairage et l’illumination des rues vont aller de pair avec l’idée « de civilisation, de souveraineté, de démocratie, de réjouissance, de luxe, de sécurité, de salubrité, de modernité », alors que l’obscurité est associée à la subversion. Alain Cabantous, à l’origine d’ouvrages sur Noël et l’Histoire de la nuit, mais aussi Daniel Roche dans l’Histoire des choses banales, rappellent que, dès 1763, le royaume de France lance un concours auquel participe notamment Lavoisier, afin de repenser l’éclairage public. Cette initiative donnera naissance au réverbère. Gage de sûreté, la lumière évolue donc rapidement : en 1766, 7000 lanternes à bougies éclairent la ville et dès 1830, 6000 lampadaires au gaz sont installés.
Cette arrivée de l’éclairage dans l’espace urbain est suivie de près par son usage privé. Dès le XVIIIème, un goût plus affirmé de la part des parisiens pour la lumière au sein même de leur logis, et l’éclairage à gaz, « fixe et régulier », va rapidement constituer un premier pas vers les grandes avancées que va connaîtra le XIXème dans l’investissement du lieu privé.
Le glissement se fait sentir lorsqu’on regarde des peintures comme Après le bal, de Jean-François de Troy où, en 1735, la bougie est encore présente dans l’espace privé, face à l’huile sur toile de 1840 de Prosper Lafaye représentant le pianiste Zimmermann dans son intérieur au Square d’Orléans, où la bougie a disparu de l’intérieur, remplacée par un lustre de lampes à huile suspendu au milieu de la pièce.
Car avant la seconde moitié du XIXe, l’utilisation quotidienne de la lumière est encore l’apanage des bourgeois et aristocrates qui illuminent leurs hôtels particuliers, ce qui opère un premier pas entre lieu public et lieu privé puisque l’intérieur est un lieu de représentations sociales.
La lumière est une fête
C’est le quartier de l’Odéon et le Passage des Panoramas qui, en 1830, sont les premiers lieux publics à être éclairés, sortant ainsi la lumière de son luxe. La ville s’embellit et c’est par ce lent contexte d’avènement de la lumière, dont s’emparent et profitent les lieux de commerce, que l’on peut comprendre le goût pour les illuminations au moment de Noël. Pour les boutiques, la lumière est un objet de publicité efficace : elle permet d’attirer le regard, le premier appât commercial ! Elle orne les vitrines et annonce bientôt les devantures des Grands Magasins. Sous le Second Empire, sur l’actuel Boulevard Haussman, s’imposent les fêtes de nuits rendues possibles par la lumière qui leurs sont alors associées.
En 1840, la place de la Concorde et les Champs-Élysées sont embellis, les contre-allées sont enfin éclairées et Victor Mabille, célèbre pour ses bals et le bal qui porte son nom, investit dans près de cinq mille becs de gaz : la lumière devient résolument festive.
L’exposition Internationale d’électricité
Pour autant, Noël et les illuminations n’est pas encore une association évidente avant la fin du XIXème siècle. Il faut attendre l’exposition internationale d’électricité de 1881, soit deux ans après que Thomas Edison a déposé le brevet de l’ampoule électrique, pour que l’électricité devienne un vrai service universel et que celle-ci bénéficie d’un réel tremplin. Lors de l’exposition et la mise en lumière du Palais de l’électricité, plus de 800 000 personnes se pressent pour venir admirer le spectacle, pendant que près de 1000 lampes sont installées par Edison en plein Paris. Inventeur de l’ampoule, en 1880 Thomas Edison mettait au point la guirlande électrique de Noël en 1882. La première guirlande de Noël est commercialisée en 1884, et les illuminations de Noël entrent dans l’histoire pour devenir une tradition. Si la guirlande illuminée se popularise d’abord aux États-Unis, qu’en est-il du sapin ?
Le sapin, cet illuminé
Martin Luther (1483-1546) aurait eu l’idée de décorer un sapin, l’arbre qui symbolise la vie éternelle parce qu’il est toujours vert, avec des bougies. Ce qui symbolisait alors la lumière du Christ avec au sommet, une étoile rappelant l’étoile de Bethléem qui avait conduit les rois mages jusqu’au lieu de la naissance de Jésus. Et avant les bougies, les dictionnaires du XIXème siècle évoquent le fait que l’on décorait les maisons avec des branches, et les sapins avec des bonbons ou des petits jouets pour les enfants.
Ensuite, on raconte qu’en 1738, Marie Leszczynska, mariée à Louis XV, aurait fait installer un sapin à Versailles. Il faut attendre près de 100 ans pour en entendre de nouveau parler : en 1837, la duchesse d’Orléans aurait fait décorer un sapin aux Tuileries. Le conifère le plus connu reste celui du prince Albert et de la reine Victoria qui, en 1841, l’auraient fait dresser au château de Windsor en Angleterre. L’ère victorienne aurait donc marqué un tournant dans l’histoire du sapin de Noël. Encore exceptionnels les sapins, jusqu’en 1880 sont rares ou du moins rarement représentés, et seules des bougies les illuminent.
Mais rapidement, grâce aux avancées électriques et au fait que les bougies deviennent dangereuses (elles sont à l’origine de nombreux accidents) l’Edison’s Illumination Compagny est créée afin de promouvoir l’industrialisation des décorations lumineuses aux Etats-Unis. Une démocratisation encore toute relative jusque dans les années 1920, puisqu’une seule guirlande lumineuse coûtait l’équivalent de 300 dollars, soit 2000 dollars en 2016 !
On comprend que l’un des premiers à acquérir ces guirlandes ait été le président américain Grover Cleveland qui, en 1895, installe le premier sapin de Noël illuminé à la Maison Blanche, avec de surcroît, des éclairages multicolores.
Dans les années 1920, la famille Sadacca décide de créer une entreprise de guirlandes lumineuses et domine le marché jusque dans les années 60. Elle est à l’origine de la vraie popularisation de ces décorations, à un moment où aux Etats-Unis, la tradition du sapin se pérennise à cause du « sapin national », éclairé de près de 3000 petites ampoules.
Et la France dans tout ça ?
Du côté français, l’influence américaine retentit en un rien de temps. À l’image des vitrines des magasins Macy’s à New York qui, en 1884, animent pour la première fois leurs vitrines pour Noël et dont la parade de Noël est encore l’un des plus attendues qui soit, les Grands Magasins français s’illuminent à leur tour. En 1883, c’est Le Printemps qui est le premier à être uniquement éclairé à l’électricité. Déjà, en 1860, Émile Zola s’émerveille des vitrines des ces immenses boutiques et de la fée électricité : dans Au Bonheur des Dames il évoque sa « la clarté blanche ».
Puis, les photographies de Léon Gimpel, qui travaille à l’invention de la photographie en couleurs avec les Frères Lumières dès 1904, donnent à voir les illuminations de Noël de Paris des années 1925-1930. Une série de clichés exceptionnelle à plus d’un titre : non seulement les décorations des Grands Magasins (Galeries Lafayettes, BHV Marais, Samaritaine, Le Bon Marché) impressionnent, mais après l’éclairage public et privé, les illuminations de Noël correspondent à nouveau à une avancée technique d’envergure, à savoir ici, l’autochrome !
Face aux Grands Magasins qui profitent des innovations pour se faire de la publicité et attirer le public, les monuments de la capitale ne sont pas en reste, on pense notamment à la Tour Eiffel. Construite en 1889 (en plein essor de l’électricité!) dès son inauguration elle est illuminée par 10 000 becs de gaz. En 1900 elle est ornée de 5000 ampoules, puis en 1978, à l’occasion de Noël, elle est décorée d’un sapin lumineux de 30 000 ampoules !
Paris, comme New York, est alors réputée au moment des fêtes pour ses Grands Magasins. La « ville-lumière », associée au luxe, utilise l’éclaire comme publicité, comme un signe d’opulence et de finesse.
Revenons-en au sapin : en somme, durant l’ère victorienne et pendant tout le XXème siècle jusqu’à nos jours, le sapin et ses illuminations ont investis l’espace public et privé au rythme du progrès électrique. Depuis l’intérieur cossu de la Maison Blanche et de l’Angleterre bourgeoise des années 1880 qui marquent le début d’un Noël commercial, les illuminations sont devenues un temps fort de nombreuses grandes villes.
Le sapin illuminé est devenu un tel symbole de Noël qu’on ne compte plus les photographies des années 40 et de guerre qui montrent des soldats fêtant Noël et parvenant, malgré tout, à se procurer un sapin et bénéficier pour un temps de répit, d’un peu de lumière.
De la même manière, les années 50, le baby boom, les trente glorieuses et l’avènement du capitalisme font monter en flèche les ventes de guirlandes de Noël et autres accessoires de décorations pour les fêtes. Comme en témoignent ces photographies d’époque mettant en scène des familles, on est bien loin des illuminations des premiers Grands Magasins du XIXème siècle, l’effet escompté par le rôle de celles-ci a atteint son paroxysme et les sociétés de vente de décorations font fortune. On ne spécule plus seulement sur le passage du Père Noël la nuit du 24 au 25 décembre. Plus qu’une fête : Noël est un business.
À l’échelle de la capitale française, la tradition s’est bien installée au cours du XXème siècle. Les rues se décorent et des lieux, comme les Champs-Élysées, font l’objet d’innovations perpétuelles pour séduire les parisiens et renouveler l’écrin lumineux des fêtes de fin d’année.
L’engouement est tel que des concours, plus répandus aux Etats-Unis qu’en Europe, sont organisés et font triompher ceux qui auront le mieux, et le plus décoré leur demeure. Certains vont jusqu’à illuminer leur maison pour qu’elle soit vue de l’espace. Il existe même une ville, en Virginie, où Noël est fêté comme au XIXème siècle.
Jusqu’où irons-nous ?
Ça ira (1) Fin de Louis : Pommerat fait sa révolution
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En 2015, il y a pile un an que la dernière création de Joël Pommerat s’est jouée pour la première fois sur les planches du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Après une tournée dans toute la France et à l’étranger, Ça ira (1) Fin de Louis se rejoue encore à Paris, avant de repartir sur les routes de France. C’est à n’en pas douter aux processus utilisés par Pommerat pour faire revivre la révolution française qu’il faut imputer le succès de la pièce qui, plus que jamais depuis, est entrée en écho avec notre actualité.
Dès le départ, le ton est donné, Pommerat renverse les codes et se joue de la frontière entre la scène et les gradins : le public sera acteur. En effet, c’est sous nos yeux et à côté de nous que se joue le processus révolutionnaire. Face à la scène, le public n’est autre que le peuple et cette habile subversion est d’autant plus magistrale qu’elle est renforcée par la présence de comédiens dans la salle et dans le public. De fait, par sa présence et souvent son silence ou ses applaudissements, le spectateur vote, prend parti et approuve les doléances ou décisions de l’assemblée constituée. Comme à son habitude, Pommerat propose une mise en scène qui repose sur une économie de moyens mettant en valeur le jeu des acteurs tous surprenant de spontanéité et de vérité. Habillés comme de nos jours, ils rejouent pourtant bien la révolution française avec ses peurs, ses inquiétudes, ses espoirs et ses hésitations.
À bien des égards la pièce semble se jouer de notre propre politique actuelle, alors qu’il est question d’exonération fiscale de l’Église et des finances de la Maison du Roi. Ancien Régime s’il en est, le temps a passé mais les discours politiques ne bougent pas. Sous nos yeux, un des moments historiques des plus marquants de notre passé national prend vie dans ses moindres détails paraissant tous plus vrais les uns que les autres, Pommerat s’est d’ailleurs fait assister pour ce qui est des recherches historiques. Véritable leçon d’histoire, Ça ira (1) Fin de Louis pose un regard renouvelé sur ce que, par exemple, le peuple pensait vraiment de Louis XVI, présenté comme instable et en contradiction avec ses intendants, bien plus apprécié que ce que l’on ne pense en vérité et dont la seule grave erreur fut la fuite de Varennes.
De bout en bout, les discours sont aussi convaincants que la mise en scène, les jeux d’ombres et de lumières dessinent l’espace révolutionnaire auquel aura pris part un public captivé par ce que le théâtre a encore à nous apprendre.
« Ça ira (1) Fin de Louis », création et mise en scène Joël Pommerat, jusqu’au 25 septembre 2016 au Théâtre des Amandiers, CDN Nanterre, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre cedex. Durée : 4h30. Plus d’informations et réservations sur http://nanterre-amandiers.com/.
« Escuela », une école de la Révolution
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Escuela est une pièce montée à l’occasion de l’anniversaire des quarante ans du coup d’état militaire ayant renversé Allende. Le spectateur est invité du côté des rebelles, dans une planque de révolutionnaires en herbe (ou terroristes, tout dépend du point de vue), pour apprendre les rudiments de la conspiration au moyen d’exemples concrets et de diapositives. Tous cagoulés, on devine deux hommes et trois femmes.
Ils vont dérouler leurs motivations, leurs rêves d’un pays nouveau, encouragés par une vision marxiste du monde où le bourgeois est forcément mauvais. Ils étayent leurs désirs de changement en dénonçant l’exploitation de l’homme par l’homme qui s’est construit un capital en volant les terres des Mapuches…
La vision binaire n’évoluera pas : on est dans un univers où l’antagonisme du pauvre est le riche, avec un appel fort aux « consciences de classes » mais où finalement, on se demande ce que l’on ferait si l’on avait le pouvoir.
La richesse du spectacle réside dans le texte et la justesse des acteurs qui l’interprètent. Les descriptions des sentiments, du maniement des armes, du monde dans lequel ils vivent, du pourquoi il est nécessaire de se révolter est d’une précision cynique, méticuleuse, médicale, qui pêche parfois en longueur. Mais la naïveté des questions des apprentis est d’un comique rare, on pense aux personnages du film We Are Four Lions de Chris Morris. Si l’absurde était un citron, Calderon le presserait jusqu’à l’écorce.
Le soir de la première (8 janvier 2015), l’auteur metteur en scène met en garde le public sur les rapprochements que l’on pourrait faire avec les attentats du 7 janvier à Paris. Une façon d’accompagner (un peu trop !) le public, mais aussi de ne pas le choquer. Or, le rapprochement avec tout type de fanatisme ne se fait pas entre les personnages de Calderon. Ils n’ont rien de barbares, il s’agit juste d’une bande de civils effrayés par une dictature militaire. Pas un instant les personnages ne nous font peur, on est naturellement et moralement du côté de ces idéalistes. Peut-être parce que le spectacle manque un peu de nuance, mais grâce au rire, on lui pardonne !
« Escuela » de Guillermo Calderon, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 17 janvier dans la petite salle du Théâtre de la Cité Internationale, Cité Universitaire (75014, Paris). Espagnol surtitré en français. Du lundi au samedi à 20 h 30. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.theatredelacite.com
Le spectateur en « Mission »
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La scénographie nous plonge dans le sombre d’un monde kafkaïen. Une croix géante transperce le sol et tourne, tourne sans cesse, avance, écrase, inexorablement. Le décor comme les lumières ou les costumes des personnages, seront comme autant de rappels à ce monument : noirs, gris et lourds. Seules quelques touches de rouge, de sang et de vin viendront colorer ce lieu sinistre. L’ambiance contribue à la création d’une organisation spatiale originale, dans cet espace volontairement très limité autour de la machine infernale.
Antoine a l’apparence d’un clochard pitoyable. Il est le premier à être mené sur scène par la croix. Un courrier lui parvient, rédigé à son agonie par l’un de ses camarades. Ce dernier l’informe que la « mission » a échoué. Très vite, on comprend que le drame se déroule entre la fin de la Révolution Française et le coup d’état de Napoléon Bonaparte. Claude Duparfait et Jean-Baptiste Anoumon clament la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, dont les phrases clés sont soulignées par des accords de guitare électrique. Résonnance trop évidente avec une actualité, résonnant avec le mode de vie des édiles de notre pays qui violent lesdites phrases impunément. Voilà pour la plantation du décor.
Antoine, déprimé par cet échec est rendu pitoyable. Autant que par la trahison qu’il a accomplie et que sa conscience lui rappelle sans cesse. Retour en arrière, on est projeté dans son souvenir. Mais quelle est cette mission ? Qu’est-ce qui a réduit l’homme à cet état de délabrement si poussé ? Il a abandonné ses camarades, aujourd’hui exécutés. Ensemble, ils avaient été envoyés par la Convention en mission secrète en Jamaïque, pour provoquer un soulèvement des esclaves. Lors du renversement du Directoire par Napoléon, la mission est naturellement terminée. Antoine abandonne ses deux camarades qui, eux, ne veulent pas laisser les esclaves à leur sort. « Napoléon ou Directoire, les esclaves n’en sont pas moins esclaves ». On assiste au tiraillement entre le devoir et les idées. Antoine ne se le pardonnera pas : il est sans cesse visité par l’ange du désespoir et ses anciens camarades lui apparaissent en rêve, ensanglantés.
Cette idée, séduisante sur le principe, est malheureusement très mal réalisée. La mise en scène utilise une multitude de stéréotypes du vieux théâtre dit d’avant-garde mais largement subventionné. Une avant-garde des années soixante-dix, aujourd’hui réactionnaire.
Pendant le spectacle, on se retient souvent de rire : « Ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », CLING (bruit de guitare). On voit aussi des répétitions de phrases censées porter une forte connotation symbolique, mais qui sont tellement ouvertes, que finalement, elles ne veulent plus dire grand-chose : « La Révolution est le masque de la mort », dit sur un ton qui frise le cours au Collège de France, est un sermon à l’église d’en face. Le thème de l’abolition de l’esclavage donne lieu à une analogie simpliste avec le monde dans lequel on vit. Rien n’est subtil, tout manque de finesse, jusqu’au jeu des acteurs. Les personnages montrent la colère, exhibent leur désespoir, baignant dans un sur-jeu permanent, assez fatiguant pour le spectateur.
La farce est amplifiée par l’arrivée d’un homme habillé en employé de bureau moderne, qui déclame un discours d’une quinzaine de minutes en allemand. Le rapprochement n’a rien de naturel ; pourquoi ne pas avoir traduit ce passage ? Encore une fois, on pense à une volonté d’intellectualisme mal placé. Le final, où le public est aveuglé par un énorme projecteur, termine d’inscrire le spectateur dans ce monde qu’on veut lui faire croire fin, mais qui est en fait très grossier. On assiste à une pièce de musée rendue poussiéreuse par des principes dépassés et qui voudrait nous faire croire, à tort, qu’elle témoigne du temps présent.
Judith Magre, activiste anti-solitude
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« Les Combats d’une reine » sont, en fait, une pièce biographique mettant en scène la figure de Gisélidis Réal – écrivaine, peintre et prostituée activiste – à trois âges de sa vie : 30, 50 et 70 ans. Trois périodes où le corps, mais aussi les idées et les discours subissent l’assaut du temps.
Pour raconter cette histoire, les actrices ont chacune leur espace sur le plateau – cellule de prison, secrétaire, trottoir – on passe d’une période à l’autre grâce à l’éclairage. La mise en scène de Françoise Courvoisier est assez simple, statique, laissant toute sa place aux voix. Parfois, les époques se croisent, le temps d’une danse ou d’une phrase. Ainsi réunies, les comédiennes créent un portrait vivant de l’icône, explorant et montrant son âme à divers stades de son existence. Une image du temps qui passe…
Idéaliste, rebelle à 30 ans, elle est enfermée dans une cellule et crie au monde son désir de liberté. A 70 ans, elle est profondément cynique et pourtant plus que jamais amoureuse de la vie. Ce dernier aspect est interprété par une Judith Magre captivante, au sommet de son art, portant les 70 ans de Gisélidis comme un charme (bien que, dans la vie, elle en ait 15 de plus !).
« Nous, les putes, on ira directement au paradis, parce que l’enfer, on a déjà donné ! »
Les textes de Réal sont une analyse de l’humain sans concession. Il existe dans sa plume un plaisir à choquer au moyen d’un franc-parler cru et grossier. Une expression aussi appelée par la nécessité, semble-t-il, de nommer les choses comme elles sont, sans éponger les angoisses de l’auditeur tranquille. Ce phrasé très imagé parvient également à rendre drôle les pires horreurs de cette vie de prostituée, qui finira par mourir du cancer. Un discours, parfois sordide, est aussi porté par des valeurs humanistes et libertaires capitales pour vivre.
Activiste, combattante, c’est elle qui mène à Paris la « Révolution des Prostituées » en 1975, se battant pour que ce métier soit désormais reconnu. Sur scène, on la voit se désoler de l’effroyable retour en arrière voulu par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur au début des années 2000, et du délit inventé de « racolage passif ». Elle fustige ainsi l’hypocrisie des politiques : difficile de ne pas faire de lien avec les discours du pouvoir en place aujourd’hui. Ce spectacle « manifeste » questionne aussi par le biais de son héroïne : « que faut-il mieux prostituer, son corps ou son âme ? », en référence aux gens qui pratiquent des métiers qui ne sont pas en accord avec leur être.
Terminant sur une touche d’espoir, cette déclaration universaliste nous rappelle enfin, qu’il n’est jamais trop tard pour vivre.
« Les Combats d’une reine », jusqu’au 18 octobre à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron (18e arrondissement), du jeudi au samedi à 21h. Dimanche à 17h. Durée : 1h10. Plus d’informations sur www.manufacturedesabbesses.com/.
Figaro fait un bon mariage
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C’est dans une Andalousie orientalisante (au son de Radio Tarifa !) que nous invite Henri Lazarini à assister au « Mariage de Figaro » pièce phare de Beaumarchais à qui la légende prête les prémices de la Révolution Française.
Mozart l’adaptera (toujours à la fin du XVIIIe siècle), pour en faire son célèbre opéra, « Les Noces de Figaro », œuvre parfois plus connue du grand public que la pièce elle-même, alors que le drame reste d’un intérêt évident aux oreilles du public moderne.
Les acteurs font tout pour cela, jouant le texte classique de manière très audible, les mots sont drôles, fins, bien maîtrisés par chaque acteur. Les relations entre les personnages sont pleines d’ironie, la plus importante (et la plus réussie), celle de Figaro et Suzanne, est d’une pimpante fraîcheur quadragénaire.
Les personnages évoluent dans une mise en scène qui, encore une fois, laisse toute la place au texte et à ses effets. Peu de mouvements (juste ce qu’il faut), pas d’effet de foules, tout juste quelques changements de lumières soutiennent l’intrigue qui n’aurait pas vraiment besoin d’autre chose qu’un plateau nu.
Figaro dans ce personnage de rebelle élégant, impétueux, désinvolte face à son maître, le comte, finalement tourné au ridicule de façon collégiale font mouche auprès du spectateur d’aujourd’hui. L’intelligence des domestiques face au pouvoir despotique est savoureuse. Autre richesse du drame de Beaumarchais : il nous rappelle l’incroyable amusement et source de réflexion qu’un auteur peut tirer de l’opposition homme / femme. Ici montrée par l’extraordinaire variété de sentiments qu’apportent l’opposition de nos différences, cette guerre salutaire qui peut conduire, à la Révolution ?
Pratique : Jusqu’au 13 janvier au Vingtième Théâtre, 7, rue des Plâtrières (75020, Paris). Réservations par téléphone au 01 48 65 97 90 ou sur www.vingtiemetheatre.com. Tarifs : entre 13 € et 25 €.
Mise en scène : Henri Lazarini
Avec : Stéphane Rugraff, Frédérique Lazarini, Denis Laustriat, Isabelle Mentré, Nicolas Klajn et l’Atelier Théâtre de La Mare au Diable
« Les Papis font de la Résistance » (L. Sepulveda)
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L’ombre de ce que nous avons été – L. Sepulveda
Coup de coeur en cette semaine de rentrée pour certains dont je fais partie. Ce court roman de l’auteur chilien paru en 2009 nous conte l’histoire d’anciens révolutionnaires de Santiago.
Réunis bien des années après leurs faits d’armes (ou d’idées), ils rêvent toujours de propager la révolution.
Et c’est bien ce à quoi ils comptent occuper leurs retrouvailles.
Dans la chaleur étouffante de la capitale chilienne, Arancibia, Salinas et Garmendia préparent un nouveau coup, avec l’aide du « spécialiste ». Hélas, ce spécialiste n’arrivera jamais, victime malgré lui de la chute d’un tourne-disque qui lui est fatale.
Citation 1 : « Concepcion Garcia fit alors une description assez cohérente et détaillée d’une vie ratée à cause des dettes, du manque d’espoirs et de l’indolence d’un mari qui, d’après ce que comprirent les deux policiers, était passé d’un radicalisme politique disparu dans les années quatre-vingt à une vie consacrée au septième art en qualité de spectateur domestique. »
En moins de 150 pages, Sepulveda arrive à transmettre à son lecteur un riche aperçu de l’histoire mouvementée qu’a connu son pays durant les deux derniers siècles.
Communisme, anarchisme, socialisme modéré, conservatisme, tous les courants politiques qu’a connus le pays sont dépeints à travers les luttes des différents personnages.
Citation 2 : « Ce fameux gendre est aujourd’hui un des hommes les plus riches du monde, il a fait fortune en achetant pour une bouchée de pain les industries nationales et les a revendues ensuite avec des bénéfices impossibles à évaluer.Ce doit être dur de dormir serré contre les jambes poilues d’une idiote, à titre de compensation il a donc reçu les forêts du Sud et en a fait du petit bois. »
A grand renfort d’un humour bien senti et de situations parfois absurdes, Sepulveda nous transmet l’ambiance qui pouvait alors régner dans ce pays.
Délation et espionnage alimentaient la peur quotidienne au ventre des habitants de Santiago.
Il n’y avait alors plus d’amis ou de voisins qui ne tenaient. Beaucoup étaient victimes d’une amnésie subite (et subie).
La chaleur n’arrange rien au sentiment d’étouffement face aux combats qui se déroulaient alors dans les rues, ou, plus secrètement, dans les arrière-salles des cafés, des bureaux ou encore des administrations. Elle est heureusement contrebalancée, dans le récit, par bien des répliques et des situations qui auraient fait pâlir de jalousie un des frères de Marx (non pas le socialiste … Groucho !).
Bref, vous l’aurez compris, un livre à lire et à relire ! Instructif, documenté, et terriblement (et peut-être aussi étrangement) drôle et loufoque.
L’Ombre de ce que nous avons été – Luis SEPÚLVEDA Titre original : La sombra de lo que fuimos
Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg
Ed. Métailié
Paru le 14/01/2010
160 pages, 17 €
ISBN 978-2-86424-710-4