[Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s’abat sur nous
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Le Théâtre de la Bastille accueille La Mouette, une pièce de Tchekhov mise en scène par Thibault Perrenoud, qui nous en offre une version décapante, saisissante de réalité et toujours en prise avec l’actualité.
Dans la pièce de Tchekhov, la mouette n’est autre que Nina, une jeune femme qui va périr d’amour. D’abord aimée de Constant qui lui écrit une pièce, la jeune actrice qu’elle est va s’enfouir avec l’amant de la mère de celui qui l’aime et qui lui abattra une mouette. Comme d’habitude chez Tchekhov, tous sont tourmentés, se cherchent, fuient mais reviennent confrontés à ce qu’ils sont. Dans la mise en scène signée par Thibault Perrenoud, les personnages sont ceux de Tchekhov mais comme actualisés, transposés à aujourd’hui et nos vies. Dès leur entrée sur un plateau où le public est installé dans un système en quadri-frontal, ils se révèlent proches de nous, ils jouent des sentiments que l’on connaît tous, ils sont assis parmi nous et dans une temporalité qui nous échappe tant cette pièce ainsi montée s’impose comme une évidence, on est balloté d’émotion en émotion, de la détresse de chacun à la mort annoncée de l’un d’eux.
Même s’il prend des risques avec le texte original, le metteur en scène crée un spectacle épuré, marqué par des fulgurances qui nous heurtent en plein vol si bien que l’âme de Tchekhov plane toujours au-dessus de nous, et ce malgré le choix d’un franc-parler déroutant au départ. Là où Thibault Perrenoud comme sa troupe d’acteurs excellent, c’est aussi dans ce qui n’est pas dit mais que l’on voit ou que l’on entend quand même. Car entre les répliques ou pendant, les situations semblent se vivre « pour de vrai », toujours il se passe des choses hors-scène, et toujours les frustrations de chacun – amoureuses ou artistiques – sont prégnantes.
En deux heures à peine, on éprouve les vies des personnages, leurs difficiles relations entre eux et avec le monde qu’il faut habiter. Par de multiples clins d’œil intelligents à notre actualité, le chômage, l’écologie, le terrorisme, le metteur en scène nous achève et montre qu’avec peu de choses il reconstitue tout un monde et un tissu social qui nous interpellent. Et plus le temps passe, plus comme cette mouette abattue, spectatrice constante abandonnée en bord de plateau, on y laisse quelques plumes.
« Les Trois Sœurs » est l’avant dernière pièce de Tchekhov, écrite en 1900, elle fait partie de ces textes paraissant toujours plus actuels, en résonance folle avec le temps présent. Dans cette pièce admirablement mise en scène par Victoria Sitjà sur le temps, l’amour et l’ennui – en somme la vie – Olga, Macha et Irina se retrouvent avec leur frère Andreï un an après la mort du Père, pour fêter l’anniversaire d’Irina. Fin du deuil, début d’une nouvelle vie ? Elles rêvent toutes de quitter leur demeure provinciale russe pour aller à Moscou, cet ailleurs, ce nulle part : l’autre nom du désir.
Dans un décor relativement dépouillé bien qu’extrêmement évocateur, les treize comédiens ont été dirigés avec dynamisme et une finesse appréciable. C’est autour de trois pans de tissu blanc que les éléments de décor ont été pensés, permettant d’incroyables tableaux vivants sublimés par la lumière et les ombres de ces vies que le théâtre perpétue. En fond de scène, une grande table sert de lieu d’échanges ininterrompus. Face au public, deux malles disposées sur un sol parsemé de livres interpellent par leur teneur symbolique. Posées de part et d’autre de la scène, du début à la fin, les personnages s’y attardent, les trois sœurs s’y asseyent pour fantasmer leur départ. Comme fatalement assises sur leur vie engluée là, dans ce présent qui retient, les remplissant de ces regrets qui alourdissent l’existence. Fuir vers Moscou devient alors le fantasme d’une vie vécue sans les détails, une vie faite d’amours transcendant le présent où l’attente n’existerait plus.
Dans cet espace émerge un jeu d’acteur d’une humanité bouleversante que la création sonore ponctue sobrement. Souvent accompagnés de musiques traditionnelles russes, les comédiens, vêtus tantôt comme au début du XXe, tantôt comme de nos jours, évoluent dans un présent trouble. Dans cet écrin sonore et habillé qui ancre la pièce dans un passé révolu, les personnages viennent pourtant heurter notre présent, celui des émotions d’aujourd’hui et de cette humanité qui ne change pas. Circulant au milieu du public, ils font tomber les frontières temporelles pour un résultat saisissant. C’est notamment le cas de Verchinine, incarné par Alexandre Risso, qui toise le public et philosophe sans retenue. Un pied dans chaque époque, c’est bien à la nôtre qu’il s’adresse lorsqu’il se demande de ce dont on se souviendra. Mais la vie ne change pas, elle est immuable et c’est à Macha, jouée par Ophélie Lehmann, d’une présence scénique effarante, qu’il revient accompagnée de ses sœurs, de vivre pour la vie dont elles ne seront pas. D’une certaine façon, croyant vivre pour un futur meilleur et plus éblouissant, les personnages tchekhoviens ainsi mis en scène nous déchargent nous spectateurs et futur fantasmé, de l’ennui de vivre. Bien présentes sans monopoliser le jeu, les trois sœurs sont renversantes. Olga jouée par Dorothée le Troadec a tout de l’aînée en deuil de sa vie, qui rêve d’un mariage et compile ses regrets dans un flot continu de larmes, elle renonce au départ, finissant comme ses sœurs tout de noir vêtu. Macha, présente même quand elle est absente, occupe les discussions, regrette son existence vide et son mariage ennuyeux. Décharnée, érotisée, alcoolisée, à bout de souffle, elle aime Verchinine le temps d’une danse, d’un baiser, de sa vie passée à s’égarer. Enfin Irina, portée avec beaucoup de fragilité et d’énergie par Mina Castelletta, n’en finit pas d’être touchante et sincère, croyant plus que les autres en Moscou et par extension, en la vie. Si chacun attire le regard par son talent, une phrase prononcée ou un geste esquissé, on pense à Natacha jouée par Elena Sukhanakova qui n’en finit pas de faire rire par ses attitudes détestables, c’est que la vie qu’ils restituent a tout de celle que nous vivons encore. Le jeu temporel marque jusque dans les détails, comme lorsqu’ils se photographient pour ne pas oublier ce moment qui les fixe et les englue. La vie est ainsi faite, à coup de solitude, d’années trop courtes faites de journées trop longues, elle a l’odeur du temps, de la misère de l’amour et de l’attente. À l’image du tableau final, elle passe et s’éprouve en un long soupir.
« Les trois soeurs », de Tchekhov, Cie Les Rivages, mise en scène de Victoria Sitjà, le 9 mai 2016 au Théâtre de Verre, 12, rue Henri Ribière, 75019 Paris. Durée : 2h15. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatredeverre.fr/
La déprime de Monsieur Tout-Le-Monde
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Ivanov est la première pièce créée du vivant Tchekhov. Drame complexe, moins joué que Platonov, Oncle Vania ou La Mouette, réputé difficile à monter, il n’en reste pas moins un texte captivant.
Nicolaï Alexeievitch Ivanov est un monsieur tout le monde de la Russie de la fin du XIXe siècle. Un temps joyeux, l’existence n’intéresse plus ce « vieil homme » de 35 ans. Bouc-émissaire d’une société de stéréotypes provinciaux tchekhoviens, sorte de braves gens de Brassens, tous l’accusent d’avoir choisi sa femme pour sa dot. Mais cette dernière n’a jamais été versée car, juive – elle s’est convertie pour lui –, les parents de la jeune fille l’ont reniée. Pour cette raison, il serait en train de la laisser mourir…
Micha Lescot est un Ivanov incroyable de naturel. Blasé, lassé, ennuyé de tout, il baigne dans une sorte d’oblomovisme où il avoue lui-même n’avoir « pas la force de [se] comprendre ». Il porte un regard impitoyable sur sa personne et, par extension, sur les autres. Si tant est qu’il soit encore nécessaire qu’il le prouve, Micha Lescot fait preuve d’un talent fou. Parfois introspectif, perdu au milieu du décor monumental de Richard Peduzzi, il peut en un instant, s’avancer sur le proscenium du théâtre et prendre le public à partie sur sa condition déplorable, façon one man show où les larmes tirées remplacent les rires forcés.
Celle qui tente de le sauver, Sacha, est incarnée par une Victoire Du Bois sublime. A la fois fragile et sensuelle, elle sacrifiera sa jeunesse à son amour pour Ivanov afin de lui redonner goût à la vie. Elle est la seule, devant Ivanov lui-même, à croire en lui.
Le reste de la distribution est très juste et bien marquée par différents caractères, et parce qu’on ne peut pas tous les évoquer avec précision, revenons simplement sur Ariel Garcia-Valdès qui incarne un comte Chabelski grandiloquent et sautillant, défenseur de l’orphelin de foi Ivanov. Marcel Bozonnet en papa gâteau imbibé d’alcool et soumis à son avare de femme, est aussi particulièrement excellent. Chaque personnage est une idéologie et toutes s’affrontent sans cesse entre elles.
Sous la baguette de Luc Bondy, le texte est limpide ; tout ce monde empeste la vodka et l’ennui. L’alcool devient un exhausteur de vie. Grâce à la scénographie mouvante, le décor peut être gigantesque ou intime, adapté à trois personnages puis à vingt, pour les scènes collégiales. On retiendra cette image superbe dans la deuxième partie où le cortège du mariage arrive agglutiné et chancelant de l’église vers la salle des fêtes.
Tout cela contribue à la création d’un grand spectacle, attendu, mais qui remplit très bien sa mission.
Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr
« Ivanov » d’Anton Tchekhov, mise en scène de Luc Bondy, jusqu’au 1er mars au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006, Paris. Durée : 3 h 30 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur theatre-odeon.eu
A Limoges, un Vania intime
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Pour son Oncle Vania créé au théâtre de l’Union (Limoges), Pierre Pradinas a placé Scali Delpeyrat dans le rôle titre et Romane Bohringer en Eléna Andréievna. Autour de ces deux grands noms, le metteur en scène réalise un travail classique et élégant, entièrement au service du texte.
Dans la pièce de Tchekhov, Alexandre Vladimirovitch Sérébriakov et sa femme, Eléna, viennent s’installer quelques temps dans la propriété familiale, loin de la ville. Celle-ci est occupée par la fille du premier et l’oncle de celle-ci, Vania. Cette réunion provoque inévitablement un choc des cultures où les sentiments bassement humains se mélangent pour créer une situation dramatique et à la fois banalement prévisible, où l’amour et le désir tiennent une place importante.
A l’action originelle se déroulant dans une grande propriété de province Russe, Pradinas situe le départ dans un jardin discret agrémenté de quelques buissons qui bordent une balançoire et où les oiseaux chantent. Il nous plonge ainsi dans un onirisme champêtre qui se prolongera durant toute la durée du spectacle. Onirisme maintenu notamment par les lumières superbes d’Orazio Trotta.
Du bocage, on migre vers l’intérieur de la demeure. Le décor y est composé de grands volumes d’aplats gris et les ornements y sont esquissés. Si l’éclairage zénithal illuminait intimement le jardin, à l’intérieur la lumière s’invite par les baies. Elle est douce, reposante et participe activement à la construction d’une ambiance intime, qui fait glisser cette lecture de Tchekhov dans des émotions bernhardiennes.
L’Oncle Vania de Pradinas n’est donc pas sombre, mais grinçant. Il y a une ambiance de vacances, on se dit que rien n’est grave, que tout passera. Scali Delpeyrat campe un héros plutôt sympathique, tenant plus du ravi de la Crèche que d’un Léon. Il voit la vie « telle qu’elle est » ; mais à la rancœur franche, ce Vania préfère l’espièglerie et l’abandon de l’idéalisme se fait au profit d’un plongeon dans une ironie désespérée.
Sa partenaire, Romane Bohringer, est dotée d’une voix incroyable. Quand elle parle, elle capte instantanément l’auditoire. Son corps accompagne sa finesse, elle a une démarche aérienne et la tension qu’elle entretien avec les hommes qui la désirent est presque palpable.
Par ces choix de mise en scène, on entend bien le texte et le propos est plus saisissant que chez Christian Benedetti, par exemple, qui en faisant dire les mots à une vitesse accrue, nous déconnecte de l’essence profonde de certaines situations qui demandent du temps. Pradinas prend les minutes nécessaires (et parfois un peu plus) quand celles-ci s’imposent. On pense notamment à la fin de la pièce, où le vide provoqué par le départ du couple de la ville est comblé par le retour instantané des personnages aux petites tâches qui occupent l’esprit et qui a pour seul intérêt de combler l’ennui profond.
Un seul regret dans ce spectacle : la musique choisie pour les changements de décor. C’est une sorte de world music aux accents pop. Elle n’entretient pas de rapport logique avec ce que l’on voit, elle ne prolonge pas l’onirisme et brise l’intimité créée par les acteurs et la lumière.
Cependant, la création est globalement réussie. Même avec ce parti pris édulcorant, Pradinas fait ressortir la désespérance d’une vie ratée, d’une existence mise de côté au service des autres pour des questions d’honneur. En filigrane, la situation nous questionne, sans nous brusquer, sur le sens même de l’existence moderne. On assiste à un doux manifeste théâtral, pour que chaque « vie ressemble à une vie ».
Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr
« Oncle Vania » d’Anton Tchekhov, mise en scène Pierre Pradinas, actuellement en tournée : jusqu’au 17 décembre au théâtre de l’Union (Limoges), les 14 et 15 janvier à la Comédie de Caen, du 20 au 23 janvier à La Coursive (La Rochelle), les 26 et 28 janvier au Bonlieu (Annecy), 5 février au Théâtre de la Princesse Grace (Monaco), du 11 au 14 février à Amiens, 24 et 25 février à Narbonne, du 3 au 6 mars à Nancy, 10 et 11 mars à Albi, le 15 mars à Ajaccio, 19 au 21 mars au théâtre du Jeu de Paume (Amiens). Durée : 2h.
« Platonov » en queue de pie et au vin rouge
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Platonov est une pièce qui pourrait se résumer assez simplement : dans une commune de la Russie rurale où tout le monde s’ennuie, un homme chamboule les habitudes des villageois à tel point que nul ne vivra plus jamais comme avant. Un héros créateur de scandale, critique des pères, provocateur qu’aucune convention n’arrête… Benjamin Porée respecte l’essence de la pièce et nous en propose une lecture très esthétique.
C’est le gigantesque espace des Ateliers Berthier qui sert de cadre au drame. Ce qui frappe avant même le début de la représentation, c’est l’utilisation de la scène par le décor. Cette sensation de profondeur nous habite du début à la fin. Elle est une composante essentielle de la mise en scène[1. Le spectacle a été créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves]. Benjamin Porée est lui-même l’auteur de cette scénographie dans laquelle il a orchestré ses acteurs. Le parti pris n’est pas au réalisme : la première action pourrait se situer dans un jardin du sud de la Russie comme dans la cours d’un mas de Provence. Chaque image qui compose les tableaux qui se succèdent est très réussie. La première partie du spectacle est collégiale : jusqu’à une quarantaine d’acteurs viennent occuper le plateau pour le bal. Puis, la cour d’école est occupée par une forêt de balançoires qui descendent du plafond. Enfin, le dénouement se déroule dans le salon du domaine familial, pièce meublée dans une ambiance Belle Époque déglinguée où une immense peinture abstraite fait office de toile de fond. Toutes ces images sont mises en lumière magnifiquement par Marie-Christine Soma, qui, avec ce qu’il semble être une simple ampoule, nous fais basculer de la liesse populaire à la tristesse intime des personnages.
Dans cette succession de décors, les comédiens évoluent et montent en puissance dans leur jeu tout au long du spectacle.
Un démarrage difficile pour une fin réussie
Car dans les premières scènes, les textes sont dit mécaniquement, les personnages (hormis Platonov) ne se démarquent pas les uns des autres, les actions sont molles et manquent de motivation… Mais après peut-être est-ce un choix de Porée pour représenter dans quel ennui ces villageois sont agglutinés. Si tel est le cas, le but est atteint : pendant la première heure, le public s’ennuie autant que les personnages.
Puis, le banquet arrive. D’une manière générale, cette scène bien composée mais manque un peu de folie : c’est très sage. La volonté d’une démarcation générationnelle ne ressort pas. Ici, la révolution des consciences se fait au vin rouge, pas à la vodka. On y voit Platonov comme une sorte de Valmont bas de gamme qui planifie ses conquêtes de la nuit à venir. Tout cela manque de naturel, de distance, et peut-être même d’une certaine grandeur. Néanmoins, on sent un changement à venir, une nouvelle étape de la montée en puissance grâce à la scène où la générale Anna Petrovna se déclare à Platonov.
À partir de cet instant, la suite de la pièce est sans faux-pas. On est véritablement surpris, Sofia Iegorovna (Sophie Dumont) fait enfin ressortir son talent face au héro, Sacha (Macha Dussart) est particulièrement touchante dans l’attente de son mari dont elle ressent la tromperie… Cette lancée se poursuit après l’entracte où la chambre du héros ressemble à la pièce d’un squat. Enfin ! Moins de sagesse, plus d’insalubrité. On gagne véritablement en profondeur de jeu : le contraste d’avec la scène d’exposition est surprenant. On ressent désormais la sensation des personnage : celle de n’être personne et la colère de ne rien pouvoir y changer. On ressent cette douleur dûe à désillusion collective, on partage cette prise de conscience générale de subir une vie de merde qui nous colle la peau, jusqu’à l’explosion finale.
Ce qui avait commencé comme un cauchemar se termine comme un joli rêve pour le spectateur, et si cette création n’est pas parfaite, elle a le mérite d’être réussie.
Pratique :
Jusqu’au 1er février 2014 aux Ateliers Berthier,
14 boulevard Berthier (75017 Paris).
Du mardi au samedi à 19h00. Le dimanche à 15h
Durée du spectacle : 4 h 30 [avec un entracte de 30 minutes]
Tarifs : de 6 à 30 euros.
Réservations au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu.
« La Mouette » et « Oncle Vania » mettent le turbo
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Ces deux mises en scène de Christian Benedetti avaient eu tellement de succès au Théâtre Studio d’Alfortville que l’Athénée les reprend pour une quinzaine de jours en alternance avant le départ de la troupe en tournée. La Mouette et Oncle Vania méritent l’engouement qu’elles ont engendré ces dernières années.
La Mouette dure 1 h 45, Oncle Vania 1 h 20. Cette brièveté n’est pas due à une découpe à la faux dans les phrases de Tchekhov, mais à un rythme vertigineux dans lequel nous plonge l’équipe. Pas le temps de s’ennuyer ! Dans les deux pièces, les personnages bondissent sur scène et parlent et piaillent jusqu’aux limites de l’inaudible (sans jamais s’y fourvoyer). Et afin de ne perdre personne en route, Benedetti a installé de longs moments de silence (parfois jusqu’à une minute) afin que chacun reprenne son souffle avant de repartir de plus belle.
Chaque comédien se plie au jeu sans le faire au détriment de la construction du personnage. Ils sont tous excellents. La doyenne, Isabelle Sadoyan (Marina dans Oncle Vania) en est la preuve (très!) vivante. On reste bouche bée par tant de maîtrise et d’humanité dans l’interprétation de chaque rôle. Chacun y allant de sa petite pointe de folie contenue, ou non … puisque la limite est franchie avec talent par Florence Janas dans La Mouette et Pierre Banderet dans Oncle Vania. Pour autant, la ruralité, l’esprit provincial des pères, l’idéalisme face au pessimisme (La Mouette), l’ennuie et la dureté de la vie poussant à un cynisme extrême (Oncle Vania) sont très présents et visibles dans les deux mises en scène.
Deux sujets différents et pourtant les deux pièces marchent avec force dans ces deux mises en scène très proches l’une de l’autre. Place est laissée à une scène presque vide. Quelques chaises, une petite estrade, quelques draps et la vodka font l’affaire. Un samovar indique le salon (Oncle Vania) et un tissu pendu sur un cadre indique la scène de théâtre (La Mouette).
Ce théâtre qui est utilisé dans son ensemble. Le hors champ est partie intégrante de la création. Et par ce procédé, le spectateur se sent au cœur de l’intrigue collégiale tchekhovienne. Grandiose.
Pratique : Jusqu’au 13 octobre (en alternance) au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur http://www.athenee-theatre.com / Tarifs : entre 12 € et 32 €.
Mise en scène : Christian Benedetti
Avec : La Mouette : Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Marie-Laudes Emond, Laurent Huon, Florence Janas, Xavier Legrand, Jean Lescot (ou Jean-Pierre Moulin) et Nina Renaux. Oncle Vania : Pierre Banderet, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Florence Janas, Judith Morisseau, Isabelle Sadoyan.
Tournée :
La Mouette
Du 12 novembre au 1er décembre 2012, Théâtre-Studio (en alternance avec Oncle Vania), Alfortville
Du 11 au 13 décembre 2012 au NEST-Théâtre, centre dramatique national de Thionville
Le 11 janvier 2013 au théâtre Jean-Marais, Saint Fons
Les 14 et 15 janvier 2013 au théâtre Gérard-Philippe, Champigny-sur-Marne
Du 23 au 25 janvier 2013 à la Scène Nationale de Cavaillon
Le 26 janvier 2013 au Centre culturel La Ferme des Communes, Serris
Le 1er février 2013 à Ermont-sur-Scènes, Ermont
Le 2 février 2013 au Centre culturel des Portes de l’Essonne, Juvisy-sur-Orge
Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre des Deux-Rives, centre dramatique régional de Rouen
Le 12 février 2013 au Tanit Théâtre / La Filature, Lisieux
Le 15 février 2013 au théâtre de Fontainebleau
Le 12 mars 2013 au théâtre de la Place, Andrézieux-Bouthéon
Le 2 avril 2013 au théâtre de Rungis
Le 4 avril 2013 au théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
Le 19 avril 2013 au Centre culturel Aragon-Triolet, Orly
Du 20 au 23 avril 2013 au théâtre de l’Ouest-Parisien, Boulogne Billancourt
Oncle Vania
Du 12 novembre au 1er décembre 2012 au Théâtre-Studio (en alternance avec La Mouette)
Du 24 au 27 octobre 2012 au théâtre de Beauvaisis – Scène nationale de l’Oise, Beauvais
Un vivant « Suicidé » au 65ème festival d’Avignon
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Le Suicidé est une pièce de Nicolaï Erdman écrite en 1928, puis censurée par le régime stalinien en 1932. L’auteur ne l’aura jamais vue montée. En 2011, mise en scène par Patrick Pineau, elle a été créée le soir d’ouverture du 65ème festival d’Avignon. Le public a pu découvrir que sous ce titre dramatique se cache une pièce drôle et intelligente.
Sur la scène des Carrières de Boulbon, la scénographie est faite de quatre blocs, qui composent les pièces d’un appartement collectif de l’ère soviétique. Aux premières minutes de la pièce, l’un d’entre eux s’ouvre et laisse apparaître un décor coloré et soigné. Sur le lit, un homme ne dort pas, il a faim…
Dès le dialogue initial, les mots servent une situation qui s’inverse aussi soudainement qu’elle a démarré : le mari veut manger, réveille sa femme pour qu’elle s’occupe de lui, et finalement se retrouve très vite à empêcher cette dernière de se lever pour qu’elle lui prépare un repas. Ce type de rebondissements fait de contradictions revient à de nombreuses reprises dans le texte, et ils sont, dans la mise en scène de Pineau, valorisés par un jeu d’acteur où la réaction des comédiens face aux mots est rapide et provoque de vifs changements d’expressions, tordants !
Ces mêmes mots se suivent tout en dissension, et ne sont pas étrangers aux drôles de relations qui nouent les personnages. Quand Maria Loukianovnapense que son mari, Sémione Sémionovitch, va passer à l’acte et se suicider parce qu’il se sent un moins que rien, le moment où elle confie son inquiétude à sa mère (la brillante Anne Alvaro), puis à son voisin, veuf depuis peu, sont des situations d’un comique rare.
Comique, pour nous public. Mais lorsque la belle-mère Sérafima Illinitchna essaye de faire rire son beau-fils pour éviter qu’il n’attente à sa vie, ses blagues font chou blanc. Par cet humour osé, l’auteur a réussi à faire ressortir le contexte politique qui le cernait, et le metteur en scène à nous en faire sentir l’écho évident que l’Histoire a sur la situation politique actuelle dans le monde occidental. Les personnages réduits à vivre dans des petites boîtes se questionnent sur leur désespoir, le travail à la sauce stakhanoviste et leur envie de voir changer les choses.
Leur principal espoir, ils le voient en Sémione Sémionovitch, cet homme pensant se tuer. Tour à tour l’intelligentsia russe, le représentant des commerçants, la femme jalouse ou le pope défilent à sa porte pour le convaincre de rejeter la faute sur le pouvoir en place, justifiant qu’« à notre époque, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire »et ajoutant « les gens qui se tuent aujourd’hui n’ont pas d’idées et ceux qui ont des idées ne meurent plus pour elles ».Chacun tente d’appâter le défunt, lui promettant un enterrement en première classe comme d’autres dans le monde actuel promettent quarante vierges contre un attentat-suicide.
Les situations improbables et drôles continuent de ponctuer l’action. Notamment au moment où le futur suicidé fait part de ses doutes sur la mort, c’est un sourd-muet qui l’écoute.
En seconde partie se met en place un banquet à la Tchekhov, scène de groupe où une quinzaine de comédiens sont sur scène et ça fonctionne plutôt pas mal. C’est l’occasion pour le « Suicidé » d’un dernier repas, il est 10 heures, à midi il devra se tuer. Condamné à mort par des idées. Léger bémol, car malgré la force du message qui prend tout son aspect concret, on ressent quelques longueurs et mollesse dans les interventions des personnages.
La pièce se termine avec les mêmes armes que l’introduction, faisant se côtoyer messages et situations extravagantes avec une touche d’absurde : le mort se réveille, et tous sont paniqués. La mise en scène de masse est très bien menée et sert à merveille l’ultime action comique. Un « Suicidé » bien vivant et réussi assurément.
Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :
2011
17 et 18/11 à la Maison de la Culture de Bourges
23 et 24/11 à l’Espace Malraux / Scène nationale de Chambéry
Du 29/11 au 3/12 au théâtre Vidy-Lausanne
Du 6 au 9/12 à la MC2:Grenoble
12 et 13/12 au théâtre de Villefranche
2012
Du 6 au 10/01 et du 12 au 15/01 à la MC93 Bobigny
Du 17 au 21/01 à la Scène nationale de Sénart
Du 24 au 28/01 au théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry
31/01 au théâtre de l’Agora d’Evry
4/02 au théâtre Louis Aragon / Scène conventionnée de Tremblay
7 et 8/02 au Volcan / Scène nationale du Havre
11/02 au théâtre Jean Arp à Clamart
Du 15 au 23/02 au théâtre du Nord à Lille
Du 29 au 4/03 aux Célestins / Théâtre de Lyon
Du 7 au 17/03 au Grand T à Nantes
20 et 21/03 au théâtre de l’Archipel à Perpignan
27/03 au théâtre de la Colonne à Miramas
30 et 31/03 au CNCDC Châteauvallon
Distribution
mise en scène Patrick Pineau traduction André Markowicz collaboration artistique Anne Perret, Anne Soisson scénographie Sylvie Orcier musique et composition sonore Nicolas Daussy, Jean-Philippe François lumière Marie Nicolas costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier accessoires Renaud Léon
avec Anne Alvaro, Louis Beyler, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein, Catalina Carrio Fernandez, Laurence Cordier, Nicolas Daussy, Florent Fouquet, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Manuel Le Lièvre, Renaud Léon, Laurent Manzoni, Babacar M’Baye Fall, Charlotte Merlin, Sylvie Orcier, Patrick Pineau
Et pour visionner (ou revisionner) la pièce, diffusée dimanche 10 juillet sur Arte: