Au Banquet d’Auteuil, Besset joue à « qui aura la plus folle ? »
En mai 1670, à Auteuil, c’est l’événement dans la maison de campagne de Molière. Chapelle, son vieil ami l’écoute encore une fois se lamenter sur les humiliations que lui fait subir Armande, son infidèle de femme… Mais ce matin-là, il se passe quelque chose de différent. Les angoisses de Molière ne sont pas seulement motivées par sa mésaventure maritale, car on apprend vite que Michel Baron est de retour après trois ans d’absence et qu’il a passé la nuit dans le lit du maître. Molière est donc pris entre les deux feux d’une tempête sentimentale, jurant sur sa femme et s’inquiétant que Baron ne parte de nouveau en quête d’une gloire qu’il ne pourrait pas lui donner ou pire encore : dans les bras d’un autre homme.
Avec « Le Banquet d’Auteuil », l’auteur ne suppose pas, il dépeint Molière comme étant homosexuel – ce qu’aucun élément historique n’étaye sérieusement. Jouissant de sa liberté d’artiste, Jean-Marie Besset dessine ainsi un pédéraste anxieux, fou amoureux de son jeune prodige. Michel Baron est un peu pétasse, à la fois muse et sirène, à la fois source d’inspiration et de destruction. Et parce qu’un homme seul dans ses angoisses ne suffit pas à faire une pièce, Chapelle a pris la liberté d’inviter quelques amis illustres (parmi lesquels Lully et Dassoucy), à dîner afin de deviser de façon plus ou moins discrète sur leurs mœurs coupables, avant de décider de mourir en groupe en se jetant dans la Seine. En monument d’érudition, Besset donne ainsi son interprétation des mœurs du Grand Siècle où tous les hommes de talent seraient des suiveurs – sexuels plus que littéraires – de Théophile de Viau.
Sur scène, dans un premier temps, on assiste à l’arrivée d’une bande de folles où chaque vieux pervers est accompagné de son mignon. Ils portent des noms illustres mais pourraient tout aussi bien être des inconnus libidineux. Ils semblent clairement là pour baiser tout ce qui bouge. Pour bien insister sur le plaisir d’être entre hommes, on les voit sombrer dans une misogynie omniprésente par le dialogue (« nos femmes, ces monstres », obsédées « par le désir de plaire »…), qui achève de placer ces légendes dans le rang des hommes comme les autres. Heureusement que le spectre de Cyrano de Bergerac vient apporter un peu de poésie.
Cette pièce est-elle un manifeste ? Très peu probable : les situations sont si grotesques et les répliques parfois si scabreuses, qu’il ne fait nul doute que nous sommes dans la farce ; et de ce point de vue, c’est très réussi. On pense notamment au disciple de Dassoucy qui confesse avoir été non seulement formé mais aussi « déformé » par son maître, devant une salle hilare.
On relève cependant de beaux moments de finesse, notamment dans le caractère de Molière que toute cette comédie excède : il voudrait juste être seul et tranquille avec Baron. Jean-Baptiste Marcenac qui tient le rôle titre est brillant de sensibilité et incarne avec talent, une personnalité austère et meurtrie, amoureux et jaloux que d’autres que lui puissent désirer Baron. La distribution est juste et bien dirigée. Soulignons cependant les prestations d’Hervé Lassince incarnant un Chapelle nihiliste aux faux-airs de vieille tante alcoolique et Alain Marcel, un Cyrano de Bergerac à la prestance de Dalida non dénuée d’une touchante finesse.
Mais la véritable révélation de cette pièce, c’est le talent de metteur en scène de Régis de Martrin-Donos qui fait ressortir toute la drôlerie du « Banquet » en ménageant de belles images poétiques aux moments clés du drame, soutenu par des lumières élégantes allant du clair obscur à l’ambiance spectrale d’un film de Tim Burton. Chaque scène est composée comme un tableau dynamique et la dizaine d’hommes ne paraît jamais de trop – exceptée pendant la scène d’arrivée, où ils semblent placés en rang d’oignions.
Alors, ne voyons pas le « Banquet » comme un drame d’une grande finesse, mais plutôt comme un moment burlesque bien mené où, pour une fois, ce sont les hommes que l’on dénude ! Aussi, et c’est l’élément le plus important, les personnages sacrifiés sur l’autel de la folie nous parlent à tous : « Le Banquet d’Auteuil » est, en somme, une forme de caricature, et on sait à quel point, de nos jours, il est important qu’elle continue à exister.
« Le Banquet d’Auteuil » de Jean-Marie Besset, mise en scène de Régis de Martin-Donos, jusqu’au 25 avril 2015 au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatre14.fr.