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Plongeon dans le coeur de la « Démocratie » au théâtre 14

Copyright : Photo Lot

Sous le nom de « Démocratie », le théâtre 14 fait revivre l’un des plus grand scandale politique du 20e siècle : « L’affaire Guillaume », du nom d’un proche assistant du chancelier Willy Brandt qui était en réalité espion de la Stasi. L’intrigue se déroule à la charnière des années soixante.

Le public est invité à découvrir une version théâtralisée de ce drame passionant, signée de l’auteur britannique, Michael Frayn (à qui l’on doit également Copenaghe). Cette retranscription romancée ne perd pas pour autant son intêret historique certain. Sur scène, pour tout décor, des tables et des chaises en ferronnerie, malléables à souhait par les acteurs. Elles forment tantôt un grand bureau, tantôt plusieurs petites pièces, voir un coin de bistro ou un train. La délimitation des espaces et des époques est (très bien) faite par des jeux de lumières. En fond de scène, le Mur, alors construit en 1961.

C’est dans ce Mur que Willy Brandt va s’acharner à ouvrir une brèche, sans savoir que la Russie soviétique est au courant de ses moindres gestes par le biais de Gunter Guillaume. Officiellement syndicaliste, brave type, un peu gigoteur, il est agaçant par son côté groupie naïve. Alain Eloy campe très bien ce personnage. Comme Jean-Pierre Bouvier EST Willy Brandt. Tous les autres protagonistes incarnent à merveille leurs rôles, avec une mention spéciale pour le directeur des lieux, Emmanuel Dechartre, qui joue un Helmut Schmidt complexe et manipulateur effroyable, affirmant que « la démocratie doit être contrôlée ».

Ce monde ainsi dépeint est terrible, on y voit les rouages d’une démocratie d’après-guerre qui fait face tant bien que mal aux luttes intestines qui rongent l’intérieur du parti au pouvoir. Une histoire qui ressemble en de nombreux points au fonctionnement du Parti Communiste Chinois aujourd’hui… C’est dire le chemin parcouru.

En suivant Brandt et Guillaume, on vit une campagne, assiste aux tentatives de coalition, partage les doutes du candidat sur lui même, lui-même envers son équipe. Mais aussi les interrogations du parti à propos de Guillaume qui sera surveillé étroitement pendant de longs mois sans que jamais ne puisse être prouvée sa culpabilité. C’est lui-même qui finira par avouer, tiraillé entre sa fidélité à l’Allemagne de l’Est, son épouse, sa vie d’avant, et cette Allemagne qu’il construit corps et âme aux côtés de Willy Brandt, personnage profondément charismatique et pourtant méprisant à l’égard du petit peuple dont Gunter fait parti.

 « L’Affaire Guillaume » peut sembler complexe et difficile au premier abord. Mais les choix faits dans l’adaptation donnent à voir une histoire simplifiée de ses aspects administratifs, pour ne pas dire abrupts, elle insiste sur la relation entre cette poignée d’hommes de pouvoir. Le public est guidé, accompagné à chaque minute par un dispositif de flashbacks centrés sur Guillaume. On le voit raconter son épopée à un agent de la Stasi (qui s’invite parfois directement dans le bureau du Chancelier), et à d’autre moment le syndicaliste plonge dans ses souvenirs. La mise en scène de Jean-Claude Idée, est juste et précise, soutenant avec élégance la dizaine d’hommes qui incarnent les dirigeants, souvent tous sur scène en même temps, sans pour autant être au même point de l’Histoire. Durant toute l’intrigue, il y a si peu de sorties, que lorsqu’un personnage quitte le plateau, un vide se créé. Ces personnages de tout âge dessinent l’ossature générationelle du pouvoir.

Le monde décrit dans « Démocratie » est excessivement masculin (il n’y a que des hommes sur scène). Aucune douceur ni aucune finesse féminine viens tempérer les ardeurs et les concurrences permanentes qu’entrainent invariablement la concentration de testostérone. Cris, haussements de voix, échanges musclés, petites manipulations ponctuées de rires gorgés de nicotine. Tout est très bien décrit, rythmé, jusqu’à la chute (sans suspens) de Willy Brandt. L’homme qui était récompensé d’un prix Nobel de la Paix en 1971, se retrouve en 1974, tournant dans son bureau, ne parlant plus que de « falaises et de pistolets »…

Cette pièce est un conte moderne riche, prenant et peu tendre avec l’envers du décor de ce qui nous est souvent décrit comme le meilleur système politique au monde. Courrez, prenez de l’élan et jetez-vous avec lui dans l’une de ses chutes.



Pratique : Mardi, vendredi et samedi à 20 h 30. Mercredi et jeudi à 19 h. Matinée le samedi à 16 h. Jusqu’au 27 octobre au théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 45 45 49 77. Informations complémentaires sur theatre14.fr / Tarifs : entre 11 € et 25 €.

Durée : 1 h 40

Texte : Michael Frayn (traduit par Dominique Hollier)

Mise en scène : Jean-Claude Idée

Avec :  Jean-Pierre Bouvier, Alain Eloy, Frédéric Lepers, François Sikivie, Frédéric Nyssen, Freddy Sicx, Emmanuel Dechartre, Xavier Campion, Alexandre Von Sivers, Jean-François Guilliet




« Antigone » de Jean Anouilh à la Comédie Française

Plus le temps passe, plus l’Antigone de Jean Anouilh perd de son aspect polémique au profit du mystère qui a poussé l’auteur à réécrire la pièce de Sophocle. Pureté déchue ? Antigone résistante face à la folie des hommes ? Et si Créon était le véritable héros de la pièce d’Anouilh ? Pièce éminemment politique, elle a été choisie pour être présentée par la Comédie-Française au théâtre du Vieux Colombier, grâce à une mise en scène de Marc Paquien.

Dès le départ, Paquien souligne l’aspect de dédramatisation de la tragédie se dégageant du texte originel en donnant à la pièce une narratrice forte (Clotilde de Bayser), autoritaire, plaçant la tête du spectateur où elle le veut, quand elle le veut. A chacun de ses passages, on a d’autre choix que d’acquiescer, de se laisser faire, de voir les choses qu’elle souhaite au cœur de cette scénographie monumentale changeant d’aspect selon la lumière. « Au moins c’est clair, dans la tragédie il n’y a plus d’espoir ».

L’espiègle Antigone (Françoise Gillard) se mue, sautille au milieu de cette histoire comme une souris se faufile entre les pièges, ne gardant qu’un seul but en tête : résister, tenir tête à son oncle, Créon (Bruno Raffaelli), quitte à mourir s’il le faut. Dans chacune de ses relations humaines, Françoise Gillard joue à merveille. D’avec Hémon se dégage une sensualité puissante, de la défiance surgit d’avec Ismène, un désir de vivre surgit de ses liens avec l’autorité. Des interactions menées par des comédiens tous brillants, notamment Raffaelli qui campe le tyran prisonnier du pouvoir avec une belle justesse.

Par contre, il n’est pas forcément évident (ni utile) de trouver une résonance actuelle à l’histoire, en comparaison, l’Antigone de Sophocle s’impose naturellement comme moderne en 2012, ce qui n’est pas le cas de celle d’Anouilh. Mais le recul, la langue sarcastique et ce regard noir sur le monde sont des composantes de la pièce dont on se délecte encore aisément, surtout quand ils sont présentés de façon si réussie. 

 

Pratique : Jusqu’au 24 octobre 2012 au théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier (6e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 0825 10 1680 ou sur www.comedie-francaise.fr / Tarifs : entre 8 € et 29 €.

Durée : 1 h 50

Texte : Jean Anouilh

Mise en scène : Marc Paquien

Avec :  Véronique Vella, Bruno Raffaelli, Françoise Gillard, Clotilde de Bayser, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Marion Malenfant, Laurent Cogez, Carine Goron, Maxime Taffanel.




Une « Anne Frank » aux airs de téléfilm

Copyright : Laura Cortès

Le journal d’Anne Frank, c’est des millions d’exemplaires vendus à travers la planète. Témoignage rare, il rapporte la vie clandestine endurée pendant deux ans par une jeune fille juive et sa famille à Amsterdam. Il est probablement l’un des journaux intimes les plus exposés aux yeux du monde. Évidemment, se lancer dans une création à partir de ce monument du souvenir tient du véritable défi. Une épreuve relevée par Eric-Emmanuel Schmitt, visible sur la scène du théâtre Rive-Gauche à Paris jusqu’en décembre.

Dans un décor et une mise en scène extrêmement réalistes, Francis Huster est Otto Frank, le père, seul survivant de la famille. La scène est divisée en trois espaces chronologiques, alternant entre temps présent et souvenir, au moyen de flash-backs, comme au cinéma, éclairés par une lumière à la Jean-Pierre Jeunet… On en oublie parfois (malheureusement) que nous sommes au théâtre. Toute la pièce baigne dans la recherche d’émotion : Eric-Emmanuel Schmitt, soutenu par Steve Suissa à la mise en scène, s’est mis en tête de faire pleurer dans les chaumières avec de grossières ficelles (la récurrence de l’Agnus Dei de Samuel Barber ou des discours d’Hitler soulignent cette intention), bien évidemment, ça ne fonctionne pas très bien. Il y a un petit côté téléfilm qui gêne comme un caillou dans la chaussure.

Les acteurs ont chacun un caractère bien marqué, à l’exception de Francis Huster qui manque souvent de justesse, notamment pendant les apartés où il revient à l’époque actuelle, seul face aux écrits de sa fille. La jeune Roxane Duran incarne bien Anne Frank, mais elle fait souvent aux yeux du spectateur, figure d’une petite peste insolente. La faute au texte de Schmitt, problématique quand on sait que « Le Fonds Anne Frank » qui a autorisé la diffusion de la pièce fait tant attention à ce que la mémoire de la petite fille ne soit pas entaché. Dans le texte, le désir et la joie de respirer, le bonheur d’être en vie qui caractérisent Anne passent quelquefois à la trappe au profit d’une sur-maturité (imaginée). Tout au long du spectacle, elle reprend les grands sujets qui la bouleverse (et qui sont sensés nous bouleverser ?) : l’arrivée des règles, de l’amour, la peur du noir et le désir d’apprendre, de vivre…

Vouloir évoquer la richesse des pages publiées d’Anne Frank était un pari difficile, allant de vérité historique à extrapolation, au final on est un peu perdu dans une éruption de bons sentiments à bon compte. Dommage.

Pratique :  Jusqu’au 20 décembre 2012 au théâtre Rive-Gauche, 6 rue de la Gaité (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 43 35 32 31 ou sur www.theatre-rive-gauche.com / Tarifs : entre 42 € et 47 € selon les catégories.

Durée : 1 h 45

Texte : Eric-Emmanuel Schmitt, d’après « Le Journal d’Anne Frank » et avec la permission du Fonds Anne Frank.

Mise en scène : Steve Suissa

Avec :  Francis Huster, Gaïa Weiss, Roxane Duran, Odile Cohen, Katia Miran, Charlotte Kady, Yann Babilee Keogh, Bertrand Usclat, Yann Goven




« L’Atelier Volant », Novarina met en scène sa première oeuvre au Rond-Point

 

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

1971, Valère Novarina a 24 ans quand il écrit L’Atelier Volant. L’oeuvre sera mise en scène une première fois en 1974 par Jean-Pierre Sarrazac. Aujourd’hui, c’est son auteur qui se la (ré)approprie. Pas une seule syllabe n’a changé en 40 ans, « on a juste fait quelques coupes », rassure l’écrivain.

L’auteur est connu pour sa recherche et ses prouesses rythmiques, musicales, chirurgicales avec la langue française. Les bases sont posées dans L’Atelier Volant, mais un sens de la narration plus évident habite la pièce. Une histoire qui aurait pu être écrite ces dernières semaines. Que ce soit chez Foxconn (sous traitant d’Apple) ou sur les chaînes de montages de PSA. Elle est une critique virulente, acide et enrobée d’humour de la société consommatrice. Ce monde qui fait fabriquer à des ouvriers payés le minimum des produits qu’ils s’achètent ensuite au prix fort.

A l’écrit comme à la scène, la création prend la forme d’une fable, dans une scénographie extrêmement colorée, les références enfantines sont nombreuses. Ce qui souligne de manière brillante la folie de la situation, on est effrayé. Puis bercé, menés, dans cet univers burlesque. On parcourt les ateliers à la suite de M. Boucot (O. Martin-Salvan) et on écoute les dernières fulgurances intellectuelles méprisantes de sa femme, Mme Bouche (Myrto Procopiou). Car du mépris (dénonciateur !) il y en a, face à la classe ouvrière, inculte, manipulée, bernée jusqu’à la moëlle. La situation retranscris à merveille cette histoire qui se répète encore aujourd’hui sur la question de l’asservissement du travailleur. « Pendant qu’ils jouent, ils ne se pendent pas », affirme M. Boucot, plein de bontée d’âme.

Le couple leader excelle dans son jeu et les nuances dans lesquelles le metteur en scène les place. Chaque employé incarne également à merveille ce théâtre peu évident de prime abord. Il est important de ne pas se mettre en tête de comprendre tout ce qui se passe sur les planches, il faut lâcher prise, savoir se laisser couler, ne pas chercher la cohérence. Pourquoi cette mobylette est sur scène en même temps que ce wagonnet de fête foraine ? Pour raconter une histoire d’amour construite sur chaîne de montage, tout simplement.

L’absurde englobe le tout : les consommateurs sont déjà avertis que si ils ne consomment plus, l’économie peut se casser la figure ! Que le spectateur se rassure, l’artisan ne sera pas toujours dupe. Un éveil de conscience en conclusion d’une crise mondiale ? Pourquoi pas ! Moderne, actuel et réussi cet Atelier Volant mérite largement une visite. 

Pratique : Jusqu’au 6 octobre 2012 au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (VIIIe arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr / Tarifs : entre 15 € (moins de 30 ans) et 36 € (plein tarif).

Durée : 2 h 15

Texte, mise en scène et peinture : Valère Novarina

Avec :  Julie Kpéré, Olivier Martin-Salvan, Dominique Parent, Richard Pierre, Myrto Procopiou, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci

 

Tournée :

  • Du 9 au 13 octobre 2012 au TNP, Villeurbanne
  • Le 17 octobre 2012 à la Scène Nationale de Mâcon
  • Les 23 et 24 octobre 2012 à La Coupe d’Or, Scène nationale de Rochefort
  • Les 7 et 8 novembre 2012 au Forum Meyrin (Suisse)
  • Du 14 au 24 novembre 2012 au Théâtre de Vidy Lausanne (Suisse)
  • Les 27 et 28 novembre 2012 à l’Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon sur Saône
  • Les 6 et 8 décembre 2012 au Théâtre du Grand Marché, Saint-Denis de la Réunion
  • Du 16 au 18 janvier 2013 à la Comédie de Saint-Etienne
  • Du 22 au 26 janvier 2013 au Théâtre de Dijon-Bourgogne
  • Le 7 février 2013 au Théâtre de l’Archipel, Scène nationale, Perpignan
  • Les 14 et 16 février 2013 au Théâtre Garonne, Toulouse
  • Les 6 et 7 mars 2013, Le Maillon, Scène Nationale de Strasbourg
  • Les 12 et 13 mars 2013, Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy
  • Du 19 au 22 mars 2013, TNBA, Bordeaux
  • Les 4 et 5 avril, Nouveau Théâtre – CDN, Besançon



« Julie des Batignolles », charmant hommage aux mots des années cinquante

Affiche du spectacle

Lors de son dernier passage au théâtre La Bruyère, Eric Métayer avait fait un carton, grâce à une pièce récompensée de deux Molières (à l’époque où ceux-ci avaient encore cours). C’était avec Les 39 Marches, d’après Alfred Hitchcock, qui a tenu l’affiche pendant un peu plus de 500 représentations.

Pour Julie des Batignolles, Eric Métayer choisit de mettre en scène la pièce d’un auteur presque inconnu (Pascal Laurent), qui est un modeste hommage, drôle et tendre, à Michel Audiard comme à Michel Simon, et plus largement à l’époque des « Tontons Flingueurs ».

L’histoire présentée sur scène est celle d’une bande de branques à l’argot jaillissant de la bouche comme l’eau d’une source, qui décident de réaliser un kidnapping contre rançon. Le projet est de récolter assez de thunes pour financer un coup plus dingue : casser la Loterie Nationale. Bien évidemment, rien ne se passe comme prévu : l’otage est prise de logorrhée permanente, le plus jeune de la bande a la vivacité d’esprit d’une brique et pour couronner le tout, la planque qu’ils pensaient sûre ne l’est pas tant que ça…

 

Toute cette histoire (un peu longue de temps à autre) est portée par les deux cerveaux de la bande (Philippe Lelievre et Viviane Marcenaro), très bons dans leurs rôles respectifs. Le spectacle est charmant, plein d’humour. C’est un plaisir d’entendre ces mots parigots vieillis en fût de chêne, avec la répartie et le sens de l’image qui les accompagne. Des paroles qui nous plongent dans une bonne intrigue à tiroirs au cœur des années cinquante, sans plagiat ni exagération.

Pratique : Depuis août 2012 au théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère (IXe arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 48 74 76 99 ou sur www.theatrelabruyere.com / Tarifs : entre 10 € (jeunes) et 40 € (1ère catégorie).

Durée : 1 h 50

Texte : Pascal Laurent

Mise en scène : Eric Métayer

Avec : Philippe Lelievre, Viviane Marcenaro, Thierry Liagre, Manon Gilbert et Kevin Métayer




« Six personnages en quête d’auteur » : Drame familial entre réalité et fiction

Copyright : Elisabeth Carecchio

Créée au festival d’Avignon, cette version de la pièce avec laquelle Pirandello a connu son premier succès auprès du public est bien construite, et heureusement adaptée à 2012. Ces dernières années, le drame pirandellien est souvent représenté de manière ennuyeuse. La faute ne vient pas du maître italien ni (forcément) de ses metteurs en scène modernes, mais du texte original. Souvent daté, poussiéreux, il ne correspond plus à notre époque, notre réalité.

Et pourtant, la question de la réalité est au cœur même de cette pièce écrite en 1921. Réécrite par Stéphane Braunschweig, elle ne prend pas un nouveau sens « actuel », mais retrouve tout simplement son intérêt universel, avec son lot de questions à la fois drôles et captivantes. La pièce est d’ailleurs présentée comme « d’après » Pirandello. Une nuance qui s’avère bienvenue.

Nous, spectateurs, assistons en catimini à la réunion d’une troupe en train de s’ennuyer pendant une séance de travail à table avec son metteur en scène (Claude Duparfait, brillant acteur !). Les comédiens sont perdus et entraînent leur directeur dans un questionnement sur le théâtre et l’intérêt du texte s’il n’est pas habité par l’acteur. Arrivent alors dans la pièce les six personnages. Visiblement, le drame les habite, mais l’auteur qui les a imaginés ne l’a jamais écrit. Ils ressentent le besoin impérieux qu’un écrivain s’en charge tout de même.

Le metteur en scène de la troupe n’accepte pas immédiatement la demande qui lui est soumise par cette étrange famille, mais à force de réflexion il s’engage à retranscrire l’horreur qui les hante, à condition que ce soit avec ses acteurs. Il est vrai que le théâtre se doit d’être une imitation et non pas la retranscription de la réalité… La scénographie qui accompagne la création est un beau clin d’œil en ce sens…

Quand les personnages commencent à jouer c’est très confus, conformément à la structure originale, ils veulent raconter leur histoire mais n’y arrivent pas par eux-mêmes. On ne comprend la toile du drame qu’à partir du moment où ils commencent à être guidés. Cette partie de la pièce est difficile à suivre, ce qui est logique puisque nous ne sommes pas censés être là (c’est une répétition). On accroche un peu plus quand, comme dans les contes pour enfants, on comprend que le personnage de théâtre est dans le même cas que le héros mythologique : tous deux ont besoin que nous croyions en eux pour exister.

Sauf que là, c’est un peu l’histoire du Dr. Frankenstein à l’envers : la créature (ici, la famille) a échappé au maître (le metteur en scène) avant même d’avoir été créée. Peu à peu, ce dernier dompte la réalité qu’expose la famille pour en sculpter un vrai drame théâtral.

Finalement, Braunschweig fait de ces « Six personnages en quête d’auteur » une intéressante pièce manifeste, en utilisant le corps de celle-ci pour pauser un certain nombre de questions sur le théâtre d’aujourd’hui. Quel est l’intérêt d’un texte figé ? Qu’en est-il de la possibilité de l’écriture collective ? Quelle part de l’inconscient de l’acteur joue dans une incarnation ? Jusqu’à quel point un acteur doit-il s’approprier le personnage ? Ici le comédien peut créer un fossé avec la personne qu’il interprète. Lui finit sa journée et sort du personnage, mais le personnage de son côté reste prisonnier de son drame comme Tantale de son supplice, condamné à le revivre chaque soir sur scène. N’est-ce pas là que réside l’horreur même ? 

Pratique : Jusqu’au 7 octobre dans le Grand Théâtre de La Colline – Théâtre National.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr / Tarifs : entre 14 et 29 €.

Durée : 1 h 55

Texte (d’après Pirandello) et mise en scène : Stéphane Braunschweig

Avec : Elsa Bouchain, Christophe Brault, Caroline Chaniolleau, Claude Duparfait, Philippe Girard, Anthony Jeanne, Maud Le Grévellec, Anne-Laure Tondu, Manuel Vallade et Emmanuel Vérité

Tournée :

  • Du 10 au 20 octobre 2012 au Théâtre National de Bretagne (TNB), Rennes
  • Du 24 au 26 octobre 2012 à La Filature, Scène nationale, Mulhouse
  • Les 8 et 9 novembre 2012 au Théâtre de L’Archipel, Scène nationale, Perpignan
  • Du 14 au 16 novembre 2012 au Théâtre de la Cité, Théâtre national de Toulouse-Midi-Pyrénées (TNT)
  • Du 22 au 24 novembre 2012 à la Scène nationale de Sénart, Combs-la-Ville
  • Les 28 et 29 novembre 2012 à La Passerelle, Scène nationale, Saint-Brieuc
  • Du 5 au 7 décembre 2012 au Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre
  • Les 12 et 13 décembre 2012 à la Comédie de Valence, Centre dramatique national
  • Les 20 et 21 décembre 2012 au Centre dramatique national de Besançon et de Franche-Comté
  • Les 10 et 11 janvier 2013 au Théâtre Lorient, Centre dramatique national de Bretagne (CDDB)
  • Du 16 au 18 janvier 2013 au Théâtre de Caen



Rentrée en légèreté à la Gaîté


Lorsque l’on sort rue de la Gaîté à Paris, c’est la légèreté et les réjouissances que l’on recherche (je fais ici allusion aux différents théâtres qui la jalonnent et non aux sex-shops). Cependant on ne sait jamais quel sort sera réservé à nos zygomatiques ?! Rira-t-on gras, jaune à la folie ou pas du tout ?
Avec la pièce Une semaine pas plus au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse on rit sans se forcer et on retrouve le pavé de la Gaîté, guilleret.

Un scénario prétexte à des débordements réjouissants

Le scénario est simplissime. L’un (Paul) s’est lassé de l’autre (Sophie), sa moitié, et souhaite s’en débarrasser. Non pas la zigouiller, on ne rejoue pas un épisode de « Faites entrer l’accuser », plutôt l’éjecter cordialement de l’appartement qu’ils occupent ensemble. Pour cela, Paul aurait pu agir seul et parler à cœur ouvert à celle qui fut sa dulcinée. Mais non, c’est une manière détournée que Paul va plébisciter en passant par l’entremise (non de sa tante Artémise*, mais celle) de son meilleur ami (Martin).

 

La mayonnaise prend doucement mais elle prend bien

Progressivement les éléments du subterfuge imaginé par Paul (Clément Michel) pour faire fuir Sophie (Maud le Guénédal) se mettent en place : le décor,  la dynamique et les rôles de chacun. La pièce mise en scène par David Roussel et Arthur Jugnot (le fils de Gérard) pâtit de certaines longueurs mais la mayonnaise monte joyeusement. Il faut dire que Clément Michel s’y emploie avec  fièvre et mouille la chemise. Faire-valoir agité de ses comparses, il besogne en Sganarelle contemporain pour mettre en place sa supercherie : un beau château de sable.

 

La théorie du château de sable.

Bien malgré lui, la troisième roue du carrosse, Martin (Sébastien Castro), est embarqué pour pourrir le quotidien du petit-couple. Mais c’est une bonne pâte ce Martin. Il est jovial, facile à vivre, bricolo et bien élevé…. Sauf quand on lui demande d’être « vilain ». Là, Sébastien Castro se lâche et comme un môme sur la plage, piétine le château de sable dans une interprétation récréative à souhait de son personnage. Le fauve est lâché. Quelle fripouille ce Sébastien Castro qui sait faire rire sans tomber dans le lourd ou la simplicité. Voici un acteur à suivre avec, à son actif, une série de pièces qui a très bien fonctionné.

 

Gage de la bonne humeur qui rayonne de la pièce, on sent parfois le fou-rire poindre entre les trois acteurs. A la ville on ne sait pas – ceci ne nous regarde pas- mais à la scène ces trois là s’entendent à merveille. Un trio bien huilé, on ne regrette pas son choix. Une semaine pas plus est une comédie fort sympathique.

 

Gaîté Montparnasse
2 rue de la Gaîté
75014 Paris
http://www.gaite.fr/actualite-theatre.php
Une comédie de Clément Michel
Mise en scène par Arthur Jugnot et David Roussel
Avec Sébastien Castro (Martin), Maud Le Guénédal (Sophie) et Clément Michel (Paul).

*Vous aviez évidemment reconnu les paroles de la chanson Le Telefon de Nino Ferrer !




Avignon 2012 – « La Nuit Tombe » grâce à Guillaume Vincent

Spectateurs, nous sommes invités à nous installer dans un décor de maison hantée, n’ayant rien à envier à celle qui contribue au succès de Disneyland Paris. La lumière étrange et la toile placée entre le public et la scène nimbent la salle d’étrangeté. Dans cet écrin débute alors une suite de contes s’entrecoupant pendant toute la durée du spectacle.

Ce rituel scénique est mystérieux, surtout, effrayant, parfois (surtout les trente premières minutes). Les histoires mettent en scène des rencontres étranges, baignées de ces angoisses qui habitent l’enfant quand « La Nuit Tombe ». Ici, une mère fuyant un mari violent pendant la période de Noël semble avoir l’air possédée. Deux sœurs se rendent à un mariage de leur père, mais l’une fini par étrangler l’autre. Un réalisateur psychopathe agit bizarrement avec son actrice… Une autre mère envoie son gamin à la recherche d’un frère mort dans un monde proche de celui d’« Alice au Pays des Merveilles », avec placard sans fond, clé et labyrinthe.

Techniquement, le spectacle est très bien construit. Les bruitages, les sons d’ambiances, les voix trafiquées prolongent la sensation d’angoisse qui nous habite, Guillaume Vincent s’inspire des maîtres de l’épouvante : la peur est dans la suggestion.

La scénographie et le dispositif sont très beaux : une chambre d’hôtel décorée d’une grande baie en fond de scène. Le ciel, visible au travers, change au fil de la représentation. Il pleut, il neige, parfois, le ciel se teinte d’un vert à la « Sleepy Hollow », parfois d’un grand bleu à la « Shrek ». Quoi qu’il en soit, cette lumière est toujours irréelle. Elle, comme tout le spectacle, taquine la réalité avec des pincées de fiction.

L’ombre de la mort en souffrance plane sur chaque scène, sans jamais frapper complètement. Elle est l’épée de Damoclès des personnages. « La Nuit Tombe » est un objet théâtral attrayant, étrange et très ludique, il faut le reconnaître. La profondeur des histoires passe au second plan derrière la technique. Une création qui ne manquera pas de plaire aux jeunes et aux publics peux enclins à fréquenter les salles de théâtre.

 

Tournée :

 

  • Du 8 janvier au 2 février 2013 au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)
  • Les 7 et 8 février 2013 au Théâtre de Beauvaisis – Scène Nationale de l’Oise
  • Du 13 au 15 février à La Comédie de Reims
  • Le 8 mars au Mail – Scène Culturelle de Soissons
  • Le 12 mars au Théâtre de Cornouaille – Scène Nationale de Quimper
  • Les 3 et 4 avril au Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre
  • Le 8 avril à Alençon – Scène Nationale 61
  • Les 11 et 12 avril au Parvis – Scène Nationale de Tarbes
  • Du 16 au 19 avril Théâtre des 13 Vents Centre Dramatique National de Montpellier
  • Le 30 avril à l’Espace Jean Legendre Compiègne – Scène Nationale de l’Oise

Texte & Mise en scène : Guillaume Vincent

Avec : Francesco Calabrese, Emilie Incerti Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, Susann Vogel et les voix de Nikita Gouzovsky, Johan Argenté et les visages de Thibaut-Théodore Babin, Io Smith.

La Nuit Tombe… a été créé le 10 juillet à la Chapelle des Pénitents Blancs en Avignon. 




Avignon 2012 – « Nouveau Roman », sauce Honoré

Christophe Honoré n’en est pas à son premier passage au festival d’Avignon. En 2005, il y présentait « Dionysos impuissant », en 2009 il revenait pour un drame d’Hugo, « Angelo, tyran de Padoue ». Cette année, trois de ses créations sont programmées, parmi lesquelles « Nouveau Roman », qui retrace l’histoire du mouvement littéraire éponyme avec ceux qui l’ont créé. Chronologie indissociable des éditions de Minuit dans la France de l’après-guerre.

Tous les acteurs sont sur scène en permanence. La scénographie mixe les attributs du tribunal et ceux du plateau télévisé. Bien que bourrée d’anachronismes (des téléviseurs à écran plat diffusent ponctuellement le témoignage d’auteurs actuels), l’ambiance des années cinquante est très parisienne. Le temps passe mais le papier peint ne se décolle pas.

Le Nouveau Roman est recréé devant le public, le temps qui passe est ponctué des prix gagnés par les  auteurs (Renaudot, Goncourt et Nobel), une horloge en fond de scène indique l’heure, le public ne perd pas la notion du temps.

On pense alors aux collectifs d’artistes et écrivains qui ont fait le foisonnement littéraire de la France, jusqu’à l’hisser comme la première nation en nombre de prix de Nobel en la matière. La pièce est riche, nostalgique, érudite, la radicalité habite les concepts énoncés.

Difficile de trouver des équivalents à notre époque. Que donnerait un cercle de réflexion réunissant Foenkinos, Levy et Musso ? L’idée même porte à sourire, la possibilité d’un mouvement baptisé la « Nouvelle Naiserie », « L’Amour Plat », ou tout simplement « La SNCF » ? Le collectif n’est pas dans l’air du temps, il n’a plus sa place, les auteurs sont seuls et le groupe du « Nouveau Roman » nous le rappelle.

Au premier abord très dense, l’humour fin, la salsa et les chansons apportent légèreté et respiration au texte, composé d’écrits et d’interviews. Des mots dits en majorité sous la forme du discours, un micro à la main. Les interventions des héros (Alain-Robbe Grillet et un Jérôme Lindon très matriarcal en tête) nous replongent dans les questions posées en cette période d’intense émulsion cérébrale, rare et réussie, sans pour autant n’être qu’une pièce-documentaire. Composée de dialogues aériens, intellectuels, vifs, on ne tombe pas la « private joke » pour public savant.

Les discussions de bureau (et quel bureau !), alternent avec les moments de solitudes des protagonistes où chacun raconte son expérience de la guerre, sa rencontre avec différents types de sexualité, ses remises en question.

Chacun des comédiens montre une maîtrise particulièrement impressionnante à habiter la psychologie de son personnage. Peu avant l’entracte, le public est invité à poser des questions à la bande. On peut questionner Jérôme Lindon, Nathalie Sarraute ou Claude Ollier comme si ils étaient face à nous. Ici, les réponses forcément improvisées sont déstabilisantes de justesse.

Le « Nouveau Roman » à la sauce Honoré n’est pas une pièce littérale où les extraits de livres donnent des indications sur la vie de leurs auteurs (ce qui aurait été dur pour cette bande en particulier). Rigoureuse sans se prendre au sérieux, à la fin de la pièce, Jérôme Lindon classe les auteurs par « importance ». Une importance dont le critères est le nombre de noms de rues, d’écoles et places publiques qui portent le nom de chacun. Pour le public, ils seront tous inoubliables.

Tournée :

– Du 10 au 12 octobre 2012 au CDDB-Théâtre de Lorient Centre Dramatique National

– Les 17 et 18 octobre 2012 au Théâtre de Nîmes

– Du 23 au 26 octobre 2012 au Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées

– Du 7 au 10 novembre 2012 à la Maison des arts de Créteil

– Du 15 novembre au 9 décembre 2012 à La Colline – Théâtre National à Paris

– Du 10 au 12 janvier 2013 au Théâtre Liberté de Toulon

– Du 17 au 19 janvier au Théâtre de l’Archipel à Perpignan

Mise en scène : Christophe Honoré

Avec : Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz, Benjamin Wangermee

La bibliographie du spectacle est téléchargeable sur : www.letheatredelorient.fr/nouveau-roman

Nouveau Roman a été créé le 8 juillet 2012 dans la Cour du lycée Saint-Joseph, Avignon.




Avignon 2012 – William Kentridge épris de temps

Dans l’opéra d’Avignon, théâtre italien situé sur la place de l’Horloge, William Kentridge partage avec le public ses interrogations sur le temps. Réflexion qu’il a entamée avec le physicien américain Peter Galison.

Kentridge est un artiste pluridisciplinaire. Il est homme de théâtre, plasticien et dessinateur (c’est à lui que l’on doit l’affiche du festival cette année). La scène est un reflet de sa personne. Elle est une sorte de fourre-tout créatif où le brouhaha d’un orchestre qui s’accorde accueille le public.

Pendant 1 h 30, acteurs, musiciens, chanteurs interrogent le temps qui passe, aidés par des vidéos surréalistes et autres machines silencieuses que les occupants des planches actionnent tout en dansant des chorégraphies contemporaines.

Le spectacle est une alternance entre chansons et réflexions lues par Kentridge. Tous les temps y passent, de la création à la destruction. Il est heure, destin, joie et mort. On commence par le mythe de Persée pour arriver à la frayeur des trous noirs interstellaires. Entre les deux on passe par le temps des colonies d’où le metteur en scène est originaire (Afrique du Sud).

Parfois amusant, souvent ennuyeux (il faut ajouter à la représentation le temps de la montre que l’on consulte), le rendu est assez brouillon tellement le sujet est vaste, même si l’aspect poétique et ironique sont intéressants. Une mention particulière à cette vocaliste qui réussit la prouesse de chanter en reverse.

Au final, ce « Refuse the hour » ne convainc pas part son sujet, mais plutôt par la manière, un peu à la Tim Burton, dont il est traité. Une (petite) victoire de la forme sur le fond.

Jusqu’au 13 juillet à l’opéra-théâtre d’Avignon

Tournée :
– 15 au 18 novembre 2012 au Teatro Argentina de Rome dans le cadre du
festival RomaEuropa
– 22 au 25 novembre 2012 à l’Onassis Cultural Center d’Athènes

Mise en scène : William Kentridge

Avec : Joanna Dudley, William Kentridge, Dada Masilo, Ann Masina, Donatienne Michel-
Dansac, Thato Motlhaolwa, Bahm Ntabeni.

Musiciens : Waldo Alexander, Adam Howard, Tlale Makhene, Philip Miller, Vincenzo
Pasquariello, Dan Selsick, Thobeka Thukane.

Spectacle créé le 18 juin 2012 au Holland Festival (Amsterdam)




Week-end – De cendres et de papier

Dans un pays en guerre, deux fossoyeurs sont chargés de brûler les morts. Avec les cadavres, ce sont les paumes de leurs mains qui s’échauffent, leurs cheveux qui grésillent, les illusions du nettoyage qui s’envolent un fumée. Une femme, laissée pour morte, se relève et se joint à eux. Elle se met à travailler à leurs côtés mais à sa manière. Les morts, elle les recoiffe, leur caresse les joues, déplie leurs membres et leur parle. D’ailleurs, elle ne parle qu’à eux.

Cette pièce de théâtre de Laurent Gaudé, publiée dans la collection « Papier » d’Actes Sud, est une grotesque tragédie qui donne à lire l’indicible. Le savon, la chaux, la fumée pour dire la douleur, l’horreur et le néant. Inspiré par le témoignage d’une réfugiée kosovare, Laurent Gaudé prouve ici que les tragédies du 21e siècle n’ont rien à envier aux drames antiques.

J’ai longé des routes,

Traversé des terres que je ne connaissais pas.

J’ai fait saigner mes pieds.

J’ai erré longtemps jusqu’à atteindre, un jour, le haut de la colline.

Je me suis arrêtée.

A mes pieds,

Sur des kilomètres, à perte de vue, se tenait un campement.

Un amas immense de tentes et d’abris.

Une ville entière d’enfants pieds nus et de réfugiés.

Je suis restée là, à les contempler.

J’ai embrassé du regard cette foule qui se tenait serrée.

Et je suis descendue, lentement, au milieu des miens.

 

Cendres sur les mains
Laurent Gaudé
Actes Sud-Papiers
42 pages, 7,50 e

 




Le Bourgeois Gentilhomme … perd la boule

Si certains ont un grain de folie, un petit grain de sable alors la troupe qui se produit au théâtre de la Porte Saint Martin, a tout le Sahara dans la tête … François Morel est tout à son aise sur scène et il fait ce qu’il fait de mieux, le pitre. Affublé d’un déguisement de derviche tourneur, il tourbillonne et  lévite un air ahuri pétrifié sur son visage si enclin à la mimique. Ah ça pour sûr, peu de comédiens interprétant Monsieur Jourdain ont fini l’acte IV en slip à la lumière polaire d’un néon trop blanc. La grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf façon Molière est ici électrisée par une mise en scène chamarrée et sous acide. Lâchez le « Des »chiens !  

Catherine Hiegel nous propose une mise en scène déroutante, frôlant le grand n’importe quoi. Elle aurait pu tomber dans la facilité qui aurait consisté entre autre à glisser quelques références à l’actualité adjointes de fortes œillades bien senties au public mais non, Catherine Hiegel ne fait pas dans le prévisible. La sociétaire et doyenne de la Comédie-Française offre au public du théâtre de la porte Saint Martin une mise en scène surprenante de la célèbre comédie-ballet de Molière, « Le Bourgeois Gentilhomme ».

Le ballet parlons-en : aux pas de menuet  et pantomimes traditionnels en petits collants succèdent danses tribales, hakkas et entrechats très contemporains. Paradoxalement ça ne jure pas tant que ça avec le texte de Jean-Baptiste Poquelin et c’est certainement ce qu’il y a de plus plaisant dans cette interprétation.

Le chant assez présent dans Le Bourgeois Gentilhomme est quant à lui, assez pénible. Les passages sont longs, trop en décalages avec les costumes et l’interprétation modernisante. Rendons tout de même à  César ce qui lui appartient, Morel quoi que piètre chanteur et danseur est particulièrement cocasse dans son interprétation de « Jeanneton ».  Ce qui nous renvoie à la comédie.

La diction des comédiens est très travaillée et participe pleinement de la dynamique comique de la pièce sans en perturber la destinée. Le maitre à danser (David Migeot) est rudement précieux et  Dorimène (Héloïse Wagner) a cet accent furieusement contemporain de la parisienne bêcheuse de la rive droite.

La prestation des acteurs  est sympathique, Gilian Petrovski est un Cléonte touchant,  Marie-Armelle Deguy est éructante en volcanique Madame Jourdain,  Emmanuel Noblet perfide en Dorante et Alain Pralon excellent en grand charlatan / maître de philosophie.

Cependant il n’y a bien que Jourdain et Covielle (David Migeot encore) pour avoir cette folie lunaire. Aussi, les autres acteurs semblent au service de l’éblouissante révélation scénique de François Morel.

Dans son costume de lumière François Morel est bigrement drôle mais s’il faut concéder le caractère innovant de l’interprétation, on regrettera un hic dans la mise en scène. Un petit quelque chose manque avant l’entracte (peut-être trop classique ?) mais après, il y a un gros quelque chose de trop. Trop provoc’ ou peut-être trop loufoque pour emporter pleinement notre adhésion sans restrictions.

Au-delà de cette nouvelle mise en scène, il est remarquable de voir avec quelle force les thèmes de la pièce trouvent aujourd’hui encore un écho des plus d’actualité. Argent vs Art, Naître vs Paraître, Origines vs Ambitions, … Les thèmes sont là, les absurdités subsistent … Tour d’horizon des maux qui ont traversé les âges, sans vieillir pour autant !

L’art(gent)

« … son argent redresse les jugements de son esprit; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées » (I, 1, Maître de Musique)

La délicate relation de l’art et de l’argent peut sembler poussée à la caricature au travers de cette tirade du Maître de Musique. Et pourtant, dans des temps plus proches, les débats autour de l’art contemporain, des mécénats d’entreprise, des placements de capitaux dans toutes sortes oeuvres d’art ne lui confèrent-ils pas une justesse indéniable ?

Que serait l’art sans les soutiens financiers qui l’accompagnent ? Aurait-il pu traverser les âges comme il l’a fait ?

Sans aucun doute y a-t-il bien un substrat indiscutable, fondement de toute forme d’art, sur lequel se base notre discernement du beau. Mais ce fondement n’est-il pas en train de disparaître au profit de pures transactions financières de haut vol, assurant des placements sans risque, au-delà de toute notion de raisonnable (prenons en exemple les montants atteints par les toiles de maître qui se négocient aujourd’hui dans les plus grandes maisons de ventes aux enchères) ?

L’art a besoin de l’argent pour vivre. C’est un fait.
Mais n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une déviance à l’extrême de ce rapport incestueux ?
Je vous en laisse juge …


L’être et le devenir, aveuglante ambition

« Monsieur Jourdain. – Est-ce que les gens de qualité en ont ?
Maître de Musique. – Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain. – J’en aurai donc. … » (II, 1)

« Monsieur Jourdain. – Madame ! Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener … Ah ! impertinent que vous êtes ! voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité. » (IV, 2)

« Monsieur Jourdain. – Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l’on vient de me faire Mamamouchi. » (V, 1)

Au travers de ces trois passages du Bourgeois Gentilhomme, on voit nettement se distinguer les pouvoirs ravageurs d’une ambition démesurée, insensée.

Qui la qualifieraient d’un aveuglement sans faille, qui encore d’un reniement sans scrupule de sa propre famille .

N’est pas Gentilhomme qui veut, vous l’aurez compris. Tout le monde n’a pas la « chance » (?) d’avoir du sang royal couler dans ses veines.
Ou si vous me permettez cette extension, tout le monde n’a pas la chance de connaître le phénomène de starisation, de peoplisation, de succès médiatique, …

Mais que ne ferait-on pas pour l’atteindre ?
Se mettre à dos, femme, enfant, amis …
Se couvrir de ridicule, sans vergogne aucune.
Si vous aussi, vous voyez poindre des « Loft Story », « Nice People », … alors vous voyez de quoi je veux parler.

Et bien sûr, ces nouveaux nobles modernes, ces stars en devenir, ou plutôt « devenues », et déjà loin dans l’oubli, réclament le respect. Leur faire ouvrir les yeux est la plus ardue des tâches que l’on puisse se voir attribuer, tant le scintillement de l’or qui brille dans leur horizon les aveugle !

Peut-être serait-il bon pour notre société de convoquer des Etats Généraux modernes … 


Auteur : Molière
Artistes : François Morel, Marie-Armelle Deguy, Emmanuel Noblet, Alain Pralon, Stephen Collardelle, Héloïse Wagner, Camille Pélicier, Gilian Petrovski, David Migeot, Géraldine Roguez, Eugénie Lefebvre, Anicet Castel, Frédéric Verschoore, Joss Costalat, Romain Panassié, Olivier Bioret + 5 musiciens
Metteur en scène : Catherine Hiegel

 

Théâtre de la Porte Saint-Martin
Du 12 janvier 2012 au 27 mai 2012

 

 




Week-end – Jacques et son Maître

« Jacques et son maître. Hommage à Denis Diderot en trois actes » de Milan Kundera est incontestablement le plus beau moment de théâtre que j’ai vécu à Paris.

Trois ans que je cherchais à rire autant sur des sujets aussi grave que l’amitié, la trahison, le bonheur et le plaisir.

Kundera avait la réputation de détester toutes les mises en scène proposées de son texte jusqu à celle-ci (de Nicolas Briançon).

L’ayant moi-même trouvé rigoureuse et fine, j’approuve son choix et vous invite à aller juger par vous-mêmes ladite pièce.

La pépinière Théâtre,
7 rue Louis le grand
75002 Paris
0142614416

Du 20 janvier au 30 mars 2012
Du mardi au samedi à 21h, et le samedi à 16h15.
Tarifs : de 12 à 19,50€

Mise en scène Nicolas Briançon
Collaborateur artistique à la mise en scène Pierre-Alain Leleu
Décor et Costumes Pierre-Yves Leprince
Assistante costumes Christine Bernadet
Lumière Gaëlle de Malglaive
Avec : Yves Pignot, Nicolas Briançon, Nathalie Roussel,
François Siener, Patrick Palmero, Philippe Beautier,
Alexandra Naoum, Sophie Mercier, Hermine Place,
Yves Bouquet




Rencontre avec J. Malkovich, Y. Landrein et L.H. Macarel – Les Liaisons Dangereuses

Lorsqu’on rencontre John Malkovich, on se demande tout d’abord comment le saluer.

Une tape sur l’épaule du metteur en scène Molièrisé de la pièce de théâtre « Good canary » ?
Un bisou esquimau à Osbourne Cox l’agent de la CIA de Burn After Reading ?
Une accolade à Athos mousquetaire du roi dans L’Homme au Masque de fer?
Un baisé russe à Valmont dans la version de Stephen Fears des Liaisons Dangereuses?
Un grand salut à la cantonade en direction de John Malkovich jouant son propre rôle dans Dans la peau de John Malkovich ?
Une petite bise au réalisateur de Dancer Upstairs ?

Et si nous commencions plutôt par une poignée de main ?
Une poignée de main ferme et directe qui laisserait entendre que l’on n’est pas des « bénis oui-oui » mais que tout de même « On aime beaucoup ce que vous faites » !?

Parce qu’avec 50 pièces de théâtre et plus de 60 films à son actif, John Malkovich est une vedette, un dinosaure de la culture, en France et à l’étranger.
Mais pas un de ceux qui traînent des casseroles embarrassantes. Plutôt un des « happy few » en orbite de notre XXIème siècle. Il a joué avec les plus grands mais toujours avec une humilité et une dérision toutes « malkoviennes » et n’a sur la conscience que sa soif insatiable de créativité.

En définitive John Malkovich est un dinosaure dont,  à l’instar de « Denver », on aimerait qu’il soit « notre ami et bien plus encore ».

Et autant dire que l’on n’en mène pas large quand le dinosaure entre dans le foyer du théâtre de l’Atelier, où a lieu la rencontre avec les quelques blogueurs retenus.
Les discussions se font plus silencieuses, les postures se figent, les sourires s’esquissent … et les chuchotements peuvent commencer. Et puis très rapidement, l’atmosphère se détend.
Le metteur en scène s’installe à un tabouret, entame un premier verre de vin et commence à se prêter aux interviews.
Tout simplement.
En français.
En prenant le temps de répondre à chacune des questions posées.
En prenant le temps de discuter avec chacun.
En prenant le temps de remercier chacun de l’intérêt dont il fait l’objet.
Une file se met en place pour aller poser les quelques questions pensées, préparées, pesées des jours durant …
Essayer d’être original, ne pas commettre d’impair, ne pas lui demander son plus grand moment de cinéma, son meilleur souvenir de tournage, son meilleur film …
Eviter l’attendu … « Bonsoir Monsieur de Valmont » !
Et puis, le moment arrive … Plus personne devant nous … C’est là que l’on comprend ce qu’il nous arrive. Il est temps de la jouer faussement détendu, et de démarrer l’interview tant attendue.

Cela ne vous démangeait pas de reprendre le rôle de Valmont ?
Oh non, cette fois je m’occupe de la mise en scène!
De plus le rôle de Valmont occupe certes une grande place dans la pièce mais ce n’est pas tout, il y a tous les autres personnages et l’histoire surtout, ainsi que tous les éléments techniques.

Selon vous, les valeurs qui sont dénoncées par le couple Merteuil – Valmont sont-elles toujours d’actualité aujourd’hui en 2012 ?
Les valeurs oui, la religion certainement pas en France mais ailleurs, oui !
Aux Etats-Unis par exemple la religion est plus forte.

Comment concevez-vous la création théâtrale dans notre société moderne ?
Y a-t-il de nouveaux « grands classiques » qui pourraient émerger parmi nos auteurs contemporains ?
Les « grands classiques » sont devenus des classiques pour de bonnes raisons. Ils sont très beaux ! Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il y a véritablement de grands écrivains de théâtre français depuis quelques siècles.
Des « ok », des biens, des intéressants, il y en a eu mais des grands non.
Depuis Molière, non.
Intéressant c’est sûr, mais si l’on compare avec l’Angleterre et l’Allemagne, non.
Je ne peux même pas en citer un seul.

Alors pas de confidence sur une éventuelle adaptation à venir au cinéma ou au théâtre d’une œuvre française ?
Oh non, je n’ai pas dit ça, je ne parle pas des écrivains, mais des auteurs de théâtre.
Les auteurs de théâtre sont certes bons, mais il y a sans doute une raison s’ils sont si rarement joués mondialement.
Jean Genet oui, Ionesco qui n’était pas français mais qui vivait là, Beckett qui a écrit en français, eux m’intéressent beaucoup mais tout ça remonte déjà à 40 ou 50 ans.
Tout cela m’amène à vous dire que finalement les grandes pièces ne vont jamais disparaître.

Et même avec les tablettes, e-books et autres smartphones, vous prédisez à ces pièces encore un long avenir ?
Votre génération écrit beaucoup plus que la mienne.
Quel est le problème ? La technologie et tout ça ? Ça m’est égal.
Moi par exemple j’écris 20 fois plus qu’il y a 20 ans.
Non, toute cette technologie, ça n’est pas du tout une mauvaise nouvelle.

D’où vous vient cet amour pour les français et pour la langue de Molière ?
Oh Molière ! C’est surtout que j’ai une maison ici depuis très longtemps.
C’est une longue histoire d’amour avec la France !

 

Et voilà …
Viennent ensuite le tour de Yannick Landrein (Monsieur de Valmont) et Lazare Herson Macarel (Azolan).

 

Bon je sais on a déjà du vous la faire mais qu’est-ce que ça fait de passer après John Malkovich ?
Yannick Landrein : Rien du tout, c’est facile…. Rires
Non au début c’est assez impressionnant et puisque tout le monde pose la question cela m’a renforcé dans l’idée que c’était quand même un truc énorme.  Mais au bout du compte John est quelqu’un de très humble et de très modeste et il n’a jamais ramené son expérience professionnelle en me disant « Moi quand je l’ai joué je l’ai fait comme ça ». Il a toujours beaucoup composé à partir de ce qu’on proposait et de la compréhension universelle du texte. Il n’a jamais cherché à me montrer comment il fallait jouer Valmont, nous avons simplement cherché ensemble à savoir comment l’interpréter le mieux possible à partir du texte de base. Il s’est comporté comme un metteur en scène et pas comme un passeur et il ne m’a jamais dit « Allez !! Y a une grosse charge sur toi… ». Au contraire il a toujours cherché à me simplifier la vie.

Quelle est la part d’improvisation car la mise en scène  est atypique ?
Y.L. : Ce n’est pas un texte classique puisque l’interprétation théâtrale a déjà trois ans je crois. Le livre est classique mais l’adaptation est contemporaine et faite en tentative de langue ancienne, en vieux français.
John est un metteur en scène contemporain, il a un univers particulier et qui est un peu déjanté, il aime bien le… comment dit-il déjà, le « fatras ». Il aime bien quand c’est drôle, quand c’est con, quand c’est décalé, il adore le théâtre et il n’a pas envie de le cacher.
En toute logique l’improvisation est un des éléments sur lequel on a travaillé très très vite. Il fallait que l’on comprenne très vite le texte et ce qu’on jouait pour pouvoir avoir la liberté par la suite de s’adapter aux envies et humeurs de chacun, ce qui fait que ça laisse la pièce dans un état de vivant enfin beaucoup plus vivant que ce que l’on peut voir dans d’autres pièces plus classiques.

Lazare Herson Macarel : Ce qui fait qu’on a dû, petit à petit, se faire à l’idée que l’on faisait du théâtre et qu’on montrait du théâtre en train de se faire : comme une répétition.

C’est justement ce qu’on a bien aimé, à savoir un texte classique mais une interprétation un peu dérangeante.
Y.L. : John Malkovich aime bien déranger un peu les gens, il aime bien les faire sortir de l’histoire pour les faire rentrer un peu dans le théâtre.

Quel est le rôle de la tablette et des téléphones portables à part prendre des photos à la volée sous la jupe de Madame de Volanges?
Regards complices : Ah bon, t’en avais un toi de portable?
Y.L. : C’est une idée qu’a eue John avant même d’avoir choisi les comédiens il y a plus d’un an et demi.
Il est vrai qu’au début on nous avait dit que nous allions beaucoup téléphoner, que l’on écrirait beaucoup de lettres et qu’il y aurait des écrans derrière nous avec les messages qu’on enverrait et il s’est avéré que dans le travail on a un peu oublié cet aspect conceptuel et c’est devenu une anecdote.
Aujourd’hui on communique par ces moyens-là : l’ordinateur, les sms, le téléphone donc on ne va pas faire comme si on ne le faisait pas mais ça n’est pas l’idée principale. Le centre de tout c’est vraiment le théâtre et pas le téléphone portable.

Une dernière question : Pensez-vous finir entiers toutes les représentations ? Qui a déjà des bleus …
Y.L. : On en a tous un peu mais c’est normal et on est tous très bienveillants les uns vis-à-vis des autres !

Une soirée toute en simplicité, en puissance et en émotions que Pierre & Stef ne sont pas près d’oublier.
Pour rappel, toutes les informations sur la pièce :

Un court billet rédigé par Stef & Pierre qui ont assisté à la Générale pour Arkult

Les Liaisons dangereuses ,Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24. Horaires: 20 h du mar.  au sam., mat. sam. et dim. 16 h. Places: de 10 à 38 €. Durée: 1  h  55. Jusqu’en mai.
Twitter :@LesLiaisonsD
Facebook : la page fan
Distribution :
Mise en scène: John Malkovich
Équipe technique:
décor : Pierre-François Limbosch
costumes : Mina Ly
lumières : Christophe Grelié
musique : Nicolas Errèra
maître d’armes : François Rostain
Avec: Sophie Barjac, Jina Djemba, Rosa Bursztejn, Lazare Herson-Macarel, Mabô Kouyaté, Yannik Landrein, Pauline Moulène, Julie Moulier, Lola Naymark.

 




Quand Valmont s’attaque aux Liaisons Dangereuses …

Une invitation pour une Générale des Liaisons Dangereuses, ça ne se refuse pas me direz-vous … John Malkovich à la mise en scène qui plus est. Et frappée du sceau du théâtre de l’Atelier pour couronner le tout. Il faudrait être timbré pour dire non à une telle soirée.
Et pourtant, le doute est là, tapi dans un coin de notre esprit : comment faire oublier au spectateur le film de Stephen Frears et ses interprètes légendaires ? Quelle création envisager et quelle originalité apporter ?
Mais voilà, c’est sans compter le talent créatif de John Malkovich. Et dès les premières répliques, on se trouve bien plongé dans d’autres Liaisons Dangereuses, plus modernes, plus décalées, mais tout aussi puissantes.

Le thème des Liaisons Dangereuses avec ses personnages emblématiques a été traité par Les Inconnus et d’illustres réalisateurs, au théâtre, sur grand/petit écran et même sous forme de comédie musicale. Mais, aujourd’hui en 2012 …
  • L’introduction des tablettes et des téléphones portables ne dénature-t-elle pas le caractère épistolaire de l’oeuvre originale ?
  • La version portée par John Malkovich sort-elle du lot ?
  • Est-il possible de retranscrire au théâtre la complexité mystique des personnages de Choderlos De Laclos déclinée dans une œuvre de 500 pages ?
  • Pourquoi le duo Valmont-Merteuil fascine-t-il encore et toujours?


Acte 1

La pièce s’ouvre avec un rideau métallique brinquebalant sur un acte sobre, un peu lent à se mettre en place. On y retrouve les lettres que l’on connaît bien et petit à petit on entre dans le monde de l’énigmatique et flegmatique Malkovich. Les rouages de la machine infernale des Liaisons Dangereuses nous semblent soudain plus visibles, plus purs. Le texte, lui, est toujours aussi fort.Pourtant ce n’est pas le texte qui porte les jeunes interprètes, c’est plutôt eux qui le portent et qui se l’approprient avec une fraîcheur de ton saisissante. Tablettes et téléphones portables côtoient vieux français, robes « crinolinesques » et redingotes de style. Et pourtant ça ne sonne pas faux.Ces appareils technologiques devenus banals dans notre quotidien s’introduisent avec un naturel déconcertant dans le XVIIIème siècle originel du texte. On aurait même pu s’attendre et souhaiter qu’ils soient plus présents. Les smartphones notamment permettent un second degré qui restitue parfaitement le caractère libertin et joueur de Valmont, sans éclipser les méandres de l’intrigue et le poids de l’écrit.

Acte 2
Après l’entracte dans le chaleureux foyer du Théâtre de l’Atelier, c’est une autre dimension des Liaisons Dangereuses qui nous est comptée. Finies la frivolité et la comédie, « bas les masques » : voici venu le temps du drame mais toujours avec une mise en scène un peu décalée.Il y a plus de mouvements, les costumes changent, le décor bouge, les jeux de lumière se font omniprésents, contrastant férocement avec le premier acte.
C’est une fracture sauvage par rapport au théâtre classique. Les fauves sont lâchés, les acteurs sautent ou agonisent et se démènent dans un excès libératoire.Valmont et Danceny se battent à l’épée avec force fougue et renfort de ketchup. En somme, l’interprète de Saint-Pierre dans la série de publicités fortes de café est ici un bon berger, notre Noé qui nous embarque tous à bord de son arche. Le final très émouvant des acteurs sur un large plébiscite de l’audience en est témoin.

La mise en scène
Le décor, ou l’absence de celui-ci est assez déstabilisante, surtout dans le premier acte.
Les acteurs sont tous sur scène.
Tout le temps.
Tous les 9.
Assis sur des chaises contemporaines et dépareillées à se désaltérer et picorer des des clémentines.
On se sent comme à une répétition dans l’intimité de la troupe.Les costumes sont dessinés par John Malokivch, revêtant ici sa casquette de dandy styliste. Ils sont ancrés dans le passé mais bel et bien dans le présent car il y a fort à parier que la Comtesse de Merteuil ne portait pas de pantalons et que Valmont ne traînait pas son spleen dans un jeans.
Astucieuse éloge des corps, ils sont évolutifs et résolument aux services de l’évolution du caractère des personnages. Si « l’amour est enfant de bohème »*, alors on aime cette pièce bohème chic qui parle d’amour et de stratagèmes sans que le bon Choderlos ne se retourne dans sa tombe.

Les acteurs
Une histoire, des décors, une mise en scène. Oui, certes. Mais sans acteurs valables, avouez que ça sonnerait un peu creux.

Autant dire que M. John n’a pas ménagé ses efforts pour le casting … Ce n’est pas moins de 300 prétendants qui ont défilé devant la directrice de casting, puis une soixantaine devant le metteur en scène en personne. Plusieurs mois d’essais pour parfaire le choix final.
Et le résultat est là.

Yannik Landrein en Vicomte de Valmont face à Julie Moulier en Madame de Merteuil. L’humour pince-sans-rire et la légèreté de caractère face à la perversité manipulatrice et la rancoeur amoureuse.
L’étonnante maturité des comédiens, âgés de moins de 30 ans pour la plupart, contribue à déstabiliser le spectateur. Notre société moderne voit en effet les mariages devenir de plus en plus tardifs, et la maturité sentimentale reconnue une fois la quarantaine passée.

La pièce nous plonge dans un entremêlement entre figures parfois tout juste sorties de l’adolescence, digital natives armés de tablettes et smartphones, et jeunes adultes soumis aux impératifs familiaux et maritaux en vigueur au XVIIIème siècle.
Entre les deux époques … nos coeurs balancent encore !


Une nouvelle mise en scène peut-être, mais les Liaisons n’en sont pas devenues moins Dangereuses. La modernité et l’immédiateté ajoutent à la violence des mots, l’immédiateté de leurs conséquences.

De subtiles touches de technologie, un savant saupoudrage d’inattendu, de décalé, parfois même d’absurde. La recette que nous présente John Malkovich sur la scène du théâtre de l’Atelier est savoureuse. Avec pour brigade, des talents jeunes et moins jeunes, reconnus ou en passe de l’être dans les jours à venir.
Alors, n’hésitez pas, succombez à la tentation, et goûtez aux fruits défendus des Liaisons Dangereuses !
 
 
Les Liaisons dangereuses ,Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24. Horaires: 20 h du mar.  au sam., mat. sam. et dim. 16 h. Places: de 10 à 38 €. Durée: 1  h  55. Jusqu’en mai.
Twitter :@LesLiaisonsD
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Distribution :
Mise en scène: John Malkovich
Équipe technique:
décor : Pierre-François Limbosch
costumes : Mina Ly
lumières : Christophe Grelié
musique : Nicolas Errèra
maître d’armes : François Rostain
Avec: Sophie Barjac, Jina Djemba, Rosa Bursztejn, Lazare Herson-Macarel, Mabô Kouyaté, Yannik Landrein, Pauline Moulène, Julie Moulier, Lola Naymark.

Note * « L’amour est enfant de bohème »  : Georges Bizet Carmen