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Actu : La Comédie-Française lance « Les Journées Particulières » au Théâtre du Vieux Colombier

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La Comédie-Française lance ses « Journées Particulières », pour la 1ère, Claude Mathieu nous fait revivre quelques événements artistiques et historiques du 1er décembre 1778 !

Journée particulière, le 1er décembre 1778

samedi 3 décembre 2016 à 15h au Théâtre du Vieux-Colombier

Lancée la saison dernière, cette série propose de prendre place dans la machine à remonter le temps du répertoire. À partir d’une date « particulière », des lectures d’extraits des deux pièces du jour et une mise en contexte offrent un nouveau regard sur des événements théâtraux et historiques.

À la Comédie-Française, il y a 238 ans…

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Le 1er décembre 1778, la Troupe doit se dédoubler en jouant à Versailles pour le service de la Cour, mais aussi à Paris à la salle des Tuileries, pour son public. À quelques jours de la naissance du premier enfant du couple royal, la Cour est en émoi et les spectacles s’y succèdent. Période charnière pour la France qui voit son destin suspendu à la possible naissance d’un dauphin, elle l’est aussi pour la Troupe qui doit se relever de la mort de son plus grand auteur, Voltaire, et de son plus grand comédien, Lekain. La Reine Marie-Antoinette influence alors fortement le répertoire et l’activité de la Troupe qui joue provisoirement aux Tuileries en attendant la construction de son nouvel édifice, au Faubourg Saint-Germain. Cette situation inconfortable perdure depuis 1770. Très sollicitée également dans les résidences royales, elle ne sait parfois plus où elle en est, ni comment répéter les nouvelles pièces…

louis_de_carrogis_dit_carmontelle_scene_du_philosophe_marie_de_philipp_d5605048hCe jour-là à Versailles, on décide de reprendre deux pièces qui ont fait leurs preuves : Le Philosophe marié ou le Mari honteux de l’être de Destouches et Les Trois Frères rivaux de Joseph de La Font, tandis que les camarades de Paris joueront du Regnard et du Molière, là encore deux valeurs sûres. C’est à ce quotidien schizophrénique que nous vous invitons à assister.

Responsable artistique : Claude Mathieu
Organisation et coordination : Agathe Sanjuan
avec Claude Mathieu, Alexandre Pavloff, Françoise Gillard, Nâzim Boudjenah, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Anna Cervinka

PROCHAINES JOURNÉES PARTICULIÈRES

7 janvier 2017 – À la Comédie-Française, il y a 126 ans… Le 24 janvier 1891, Thermidor de Victorien Sardou Responsable artistique Sylvia Bergé – 4 mars • 10 juin 2017 (programmations en cours)

Prix des Places : 10 € • 8 €

THÉÂTRE DU VIEUX-COLOMBIER

21 rue du Vieux-Colombier. Paris 6e

Plus d’informations : mardi-samedi 11h30-13h30 et 14h30-18h aux guichets, au 01 44 58 15 15, sur : www.comedie-francaise.fr

(Source : Dossier de Presse)




Actu : 2ème édition du Festival du Jamais Lu au Théâtre Ouvert à Paris

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FESTIVAL DU JAMAIS LU – PARIS
2ème édition
vendredi 2 | samedi 3 | dimanche 4 décembre

Il y a un an, le Festival du Jamais Lu débarquait à Paris avec une idée en tête : hacker la dramaturgie française !
De cette gentille intrusion est né un échange entre deux cultures cousines, qui n’ont pas eu assez d’une édition pour tout se raconter (coproduction Festival Jamais Lu – Montréal)

LES AUTEURS : Jérémie Fabre, Marilyn Mattei, Grégo Pluym, Sonia Ristic

LES METTEURS EN SCENE : Sophie Cadieux, Martin Faucher, Benoît Vermeulen, Catherine Vidal

LA TROUPE : Hélène Gratet, Dominique Laidet, Thomas Matalou, Guillaume Mika, Marie-Ève Perron, Nelson Rafaëll-Madel, Sarah Tick, Nanténé Traoré
Et deux apprentis comédiens du Studio d’Asnières – ESCA : Maïka Louakairim et Étienne Bianco

Qui a dit qu’il n’y avait pas d’auteurs en France ?

==> Plus d’informations ici : Festival Jamais Lu au Théâtre Ouvert <==

(Source : Dossier de Presse)




Au Théâtre de l’Œuvre : Isabelle Carré ravive Audrey Hepburn comme elle le peut

Photo : Pascal Victor/ArtComArt
Photo : Pascal Victor/ArtComArt

Seule en scène au Théâtre de l’Œuvre, Isabelle Carré incarne une Audrey Hepburn fragile, en marge des clichés qu’on en garde, mise en scène par Jérôme Kircher d’après la biographie romancée que Clémence Boulouque a consacrée à la légendaire actrice, intitulée « Un instant de grâce » où elle s’est intéressée aux zones d’ombres de la vie de la « fiancée de tous les américains ».

Sur scène, Isabelle Carré fait son entrée vêtue d’un long manteau qui ne rappelle pas directement une quelconque tenue mythique d’Audrey Hepburn, avant de s’en dévêtir pour prendre place dans un lourd et confortable fauteuil, élément de décor imposant, disposé au cœur de ce qui semble être une chambre d’hôtel.

Pendant un peu plus d’une heure, Isabelle Carré, dont les traits n’ont pas été poussés à la ressemblance avec l’icône hollywoodienne, nous livre une longue confession adressée à son père qui l’a abandonnée étant jeune. Par de nombreux regrets et quelques larmes exprimés à ce père disparu mais néanmoins toujours présent pour elle, Isabelle Carré incarne une Audrey Hepburn au sourire fragile. Tout dans ce spectacle est élégant, délicat, et l’on ne peut qu’apprécier la proximité, voire même l’intimité qui s’établit entre la comédienne et le public. Pour autant, le texte de Clémence Boulouque est sans intérêt c’est davantage le plaisir de la voir Isabelle Carré aussi proche de nous qui nous captive, bien que l’intrigue,aborde le rêve de carrière de danseuse de l’actrice, la collaboration de son père et son intimité, il ne présente pas de tension dramatique particulière. Les problèmes évoqués ne sont qu’esquissés, là où l’on s’attendait à un vrai travail d’introspection face au passé nazi du père de la star, on assiste à un discours flottant.

Si l’icône tant adulée qu’était Audrey Hepburn est ravivée dans ce qu’elle pouvait avoir de plus candide et d’élégant avec beaucoup de sobriété et une certaine recherche de poésie, le texte condamne le jeu à rester en surface, dévoilant alors quelques longueurs. N’en demeure pas moins qu’Isabelle Carré s’en sort avec autant de classe que la femme légendaire qu’elle incarne.

« Le sourire d’Audrey Hepburn », auteure et adaptatrice Clémence Boulouque, mise en scène de Jérôme Kircher, du 2 novembre au 8 janvier 2017 au Théâtre de l’Œuvre, 55, rue de Clichy, 75009 Paris. Durée : 1h15. Pour plus d’informations : http://www.theatredeloeuvre.com/




Au Théâtre de l’Odéon, Dom Juan fait trembler les dames

Photo : Jean-Louis Fernandez
Photo : Jean-Louis Fernandez

En 2013, déjà sur les planches de l’Odéon, Jean-François Sivadier proposait une mise en scène punk se jouant des codes de la théâtralité du Misanthrope de Molière, dans laquelle Nicolas Bouchaud jouait Alceste. Alors qu’il incarne aujourd’hui un Dom Juan qui ne se contente plus de rire de tout ni de ne croire en rien, Bouchaud s’entiche des femmes du public, leur offrant même des fleurs. Son personnage veut des « Marie, des Fatima », il veut plus encore si bien qu’à nouveau, le metteur en scène parvient à relever le défi de renouveler Molière et plus précisément, de réveiller Dom Juan.

Éternellement suivi d’un Sganarelle ici incarné par Vincent Guédon, Dom Juan, pour qui le plaisir de l’amour réside dans le changement, n’en finit pas de séduire dans une scénographie très esthétique constitué de boules suspendues qui nous font penser à des astres voire même d’énormes boules de Noël. À cela vient s’ajouter un décor toujours éclaté, déglingué, qui vient régulièrement faire trembler la salle. Dans son rôle de Dom Juan toujours plus transgressif, Nicolas Bouchaud séduit et performe. Tout dans sa diction et ses mimiques laisse à penser qu’il est fait pour le personnage, désinvolte au possible, la transgression est portée à son comble lorsqu’il nous lit un extrait de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, comme si, un siècle plus tôt, il annonçait le Valmont des Liaisons dangereuses.

Jean-François Sivadier, en plus d’actualiser son Dom Juan au point de lui faire chanter « Sexual Healing » de Marvin Gaye en se déchaînant sur scène, a pris le parti d’insister sur des scènes de charmes notamment entre Charlotte et Pierrot. D’autres moments émergent tout autant comme la scène où Dom Juan tente de faire blasphémer un pauvre, assisté d’un Sganarelle qui ferait tout pour racheter son âme. Enfin, quelques farces émergent par leurs habiles ressorts scéniques mis en œuvre, on pense par exemple à un combat que mène Dom Juan face à; non pas trois acteurs jouant les bandits, mais face à trois piñatas qui rendent la situation des plus comiques.

Ce Dom Juan finalement très empreint de magie nous interpelle : jusqu’au bout il défie ce ciel qui paraissait de prime abord si calme et si serein.

« Dom Juan », de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier, jusqu’au 4 novembre 2016 au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris. Durée : 2h30. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-odeon.eu/fr




Ça ira (1) Fin de Louis : Pommerat fait sa révolution

Photo : Elisabeth Carecchio
Photo : Elisabeth Carecchio

En 2015, il y a pile un an que la dernière création de Joël Pommerat s’est jouée pour la première fois sur les planches du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Après une tournée dans toute la France et à l’étranger, Ça ira (1) Fin de Louis se rejoue encore à Paris, avant de repartir sur les routes de France. C’est à n’en pas douter aux processus utilisés par Pommerat pour faire revivre la révolution française qu’il faut imputer le succès de la pièce qui, plus que jamais depuis, est entrée en écho avec notre actualité.

Dès le départ, le ton est donné, Pommerat renverse les codes et se joue de la frontière entre la scène et les gradins : le public sera acteur. En effet, c’est sous nos yeux et à côté de nous que se joue le processus révolutionnaire. Face à la scène, le public n’est autre que le peuple et cette habile subversion est d’autant plus magistrale qu’elle est renforcée par la présence de comédiens dans la salle et dans le public. De fait, par sa présence et souvent son silence ou ses applaudissements, le spectateur vote, prend parti et approuve les doléances ou décisions de l’assemblée constituée. Comme à son habitude, Pommerat propose une mise en scène qui repose sur une économie de moyens mettant en valeur le jeu des acteurs tous surprenant de spontanéité et de vérité. Habillés comme de nos jours, ils rejouent pourtant bien la révolution française avec ses peurs, ses inquiétudes, ses espoirs et ses hésitations.

À bien des égards la pièce semble se jouer de notre propre politique actuelle, alors qu’il est question d’exonération fiscale de l’Église et des finances de la Maison du Roi. Ancien Régime s’il en est, le temps a passé mais les discours politiques ne bougent pas. Sous nos yeux, un des moments historiques des plus marquants de notre passé national prend vie dans ses moindres détails paraissant tous plus vrais les uns que les autres, Pommerat s’est d’ailleurs fait assister pour ce qui est des recherches historiques. Véritable leçon d’histoire, Ça ira (1) Fin de Louis pose un regard renouvelé sur ce que, par exemple, le peuple pensait vraiment de Louis XVI, présenté comme instable et en contradiction avec ses intendants, bien plus apprécié que ce que l’on ne pense en vérité et dont la seule grave erreur fut la fuite de Varennes.

De bout en bout, les discours sont aussi convaincants que la mise en scène, les jeux d’ombres et de lumières dessinent l’espace révolutionnaire auquel aura pris part un public captivé par ce que le théâtre a encore à nous apprendre.

« Ça ira (1) Fin de Louis », création et mise en scène Joël Pommerat, jusqu’au 25 septembre 2016 au Théâtre des Amandiers, CDN Nanterre, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre cedex. Durée : 4h30. Plus d’informations et réservations sur http://nanterre-amandiers.com/.




« Politiquement correct » : L’amour au front

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« En 2017, Marine Le Pen devant François Hollande au second tour, selon un sondage », cette phrase n’est pas issue du dernier spectacle écrit et mis en scène par Salomé Lelouch à la Pépinière, mais des derniers gros titres du journal l’Express. Se saisissant volontairement de l’actualité et de l’entrée en campagne de plusieurs candidats à la présidentielle de 2017 en France, l’auteure et metteure en scène a imaginé ce scénario somme toute inquiétant d’une extrême droite au second tour face à la gauche, non pas en débats, mais autour de Mado et Alexandre, amoureux en dépit de leurs partis pris politiques divergents.

Le soir de l’annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles, une heure avant le moment fatidique, Mado et Alexandre se rencontrent par le plus grand des hasards dans un bar de la capitale dans lequel ils avaient tous deux bu un verre la veille, et où leurs téléphones portables y ont été maladroitement échangés par un serveur qui devait les recharger. Le lendemain, ayant seulement convenu de se rendre leur portable, ils décident de boire une bière, puis deux, et sans parler politique, ils terminent la soirée ensemble à l’hôtel. Si la rencontre avait tout pour être romantique et déboucher sur une histoire d’amour, leurs orientations politiques vont vite faire entrave à tout futur à deux. Alors qu’Alexandre, un catholique proche du Front National où il devrait bientôt prendre des responsabilités avait fouillé dans le portale de Mado, de gauche et professeur d’Histoire au Lycée Jules Ferry, il s’était bien gardé de lui parler de ses idéaux. Resserrée autour de ces deux personnages et de leurs meilleurs amis ainsi que le serveur – Cupidon fautif de l’histoire – l’action sert pourtant un discours très politique ancré dans des problématiques actuelles dépassant le couple d’amants. Du début jusqu’à la fin, le rythme va crescendo tandis qu’Alexandre s’enlise et fait tout pour dé-diaboliser son parti avant que Mado ne découvre son vrai visage. Vaste quiproquo ayant toujours lieu dans le même bar parisien, la pièce regorge de situations cocasses et délirantes, comme lorsque leurs meilleurs amis font tout pour enrailler leur relation. Piquants, plein d’humour, certains échanges sont attendus mais très bien portés par les acteurs, notamment par la meilleure amie marxiste, féministe et féminine de Mado, Andréa, jouée par Ludivine de Chastenet.

En quête d’un compromis pour s’aimer, la jeune femme et son amant, le Front National et la gauche sont pourtant irréconciliables, le politique l’emporte sur la belle rencontre. Si la mise en scène est fluide et les comédiens bien dirigés dans leurs rôles, le contenu du texte est assez ambigu et Salomé Lelouch prend des risques. À plus d’une reprise le Front National est défendu et longuement présenté comme un parti comme un autre. Alexandre est si convaincant dans sa tentative de séduction de Mado, jeune femme plutôt à l’ouest et peu encline au débat, que l’effet produit sur le spectateur est dérangeant tant il se trouve séduit par des propos qui œuvrent à la dédiabolisation d’un parti qui scandalise et bénéficie en ce moment de beaucoup d’attention médiatique. Car derrière le personnage d’Alexandre se cachent bien de vraies personnalités politiques dont les propos ne devraient peut-être pas aussi explicitement se voir être adoucis sur une scène de théâtre. Pour autant, le théâtre est  là pour faire sortir le spectateur de sa zone de confort, le bousculer et l’interpeler, mais la pièce bien que divertissante, ne se présente pas comme une leçon de politique et le texte n’est pas aussi saisissant qu’un texte comme celui de « Le Projet Poutine », de Hugues Leforestier, récemment mis en scène au théâtre des Béliers Parisiens.

« Politiquement correct », écrit et mis en scène par Salomé Lelouch, à partir du 2 septembre 2016 à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis le Grand, 75002 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatrelapepiniere.com/




« Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles » : trio explosif au Lucernaire

Photo : Franck Harscouët
Photo : Franck Harscouët

Dans un genre de salon de jazz qui plonge le spectateur dans une atmosphère cosy et feutrée, fauteuils en cuir et instruments de musique laissés ça-et-là, un trio sérieusement déjanté s’empare de l’espace et des textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard dans une mise en scène signée Laurent Serrano. Entre sketchs drôles ou questions sérieuses sur la vie portés pas un univers poétique, de bout en bout le spectacle est cocasse, loufoque et hilarant.

Alternant entre des moments chantés en chœur et vives discussions entre amis, les trois hommes, Jean-Edouard, Jean-Christophe et Jean-Marc, n’ont de cesse de faire de situations banales des moments fantaisistes, à tel point que les dialogues semblent avoir été créés lors d’un cadavre exquis, sinon d’après un recueil de poèmes de Prévert. Des malheurs de l’ex-compagne de l’un à la certitude d’un autre d’avoir croisé Verlaine assis devant chez lui, tout s’enchaine sans temps mort et avec beaucoup de dynamisme. En costumes et toujours un verre d’alcool à la main, tout ce qui est promesse de sérieux et d’élégance s’envole vers l’absurdité lorsque l’un propose aux autres de leur vendre son bout d’arc-en-ciel, ou qu’un autre soutient que les lampadaires sont des dromadaires morts. Avec sincérité, une impression de spontanéité et de facilité déconcertante, les comédiens nous livrent un spectacle aussi drôle que touchant. Une scène muette en particulier marque les esprits quand seulement avec la contorsion de ses mains devenues petit couple d’amoureux, un des acteurs parvient à jouer plus d’attitudes amoureuses et de sentiments que les mots n’auraient pu en exprimer.

Touchante et poétique, l’histoire veut finalement que certains soient faits pour agir et d’autres pour commenter l’action, sur scène l’action est multiple, décalée, chantée, muette, jouée et commentée tout à la fois, avec un élan qui séduit.

Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles, textes de Frédéric Rose et Vincent Jaspard, adaptation et mise en scène Jean Serrano, avec Pascal Neyron ou Laurent Prache, Emmanuel Quatra et Benoît Urbain. Jusqu’au 6 novembre au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris, 01 45 44 57 34, durée 1h10, plus d’informations et réservations sur : http://www.lucernaire.fr/theatre/631-les-elans-ne-sont-pas-toujours-des-animaux-faciles-.html




Avignon IN 2016 « Truckstop » : polar en bord de route

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Dans un relais routier, un truckstop, une mère et sa fille essayent fébrilement de faire fonctionner l’entreprise familiale jusqu’à ce qu’un jeune camionneur ne vienne ébranler l’affaire. Derrière la vie intimiste de ce trio porté par des acteurs remarquables, un discours bien tissé est brossé de notre société actuelle et des inquiétudes qu’elle fait naître.

Blessés, comme oubliés de la vie, c’est ainsi qu’apparaissent les personnages dès leur entrée sur scène dans un décor qui a l’air d’une boîte qui les enferme. Tout y est gris à l’exception des rideaux en dentelle crochetée, vestiges d’une époque où le relais routier était, pour les camionneurs, synonyme d’oasis de paix dans une journée passée sur les routes. Recluses dans cet espace vide cruellement étouffant, mère et fille font équipe, bien que rapidement la mère apparaisse comme ayant une emprise inébranlable sur sa fille manifestement malade. Tout semble montrer qu’elles aiment et tiennent à cet endroit qui prend des couleurs le jour où Remco un jeune homme porté avec justesse par Maurin Ollès – révélation de ce spectacle – offre à Katalijne une petite lampe en verre coloré qui va donner lieu à de vives réactions.

Alors que tous semblent solitaires, l’entrée de Remco dans la vie de la jeune fille doublée de son accession à la majorité et de fait, à son compte épargne, morcelle l’équilibre familial. Animé par l’espoir d’échapper à l’entreprise de ses parents qui font dans la viande d’autruche, le jeune homme rêve de s’acheter un camion pour aller sillonner les routes d’Europe et du monde, mais il lui manque l’argent que Katalijne, qui se met à espérer un départ à ses côtés, découvre posséder. Pour la mère, c’est un affront, comment survivre sans l’argent de sa fille qui pourrait sauver le bar routier qui nécessite de multiples rénovations pour prétendre attirer de nouveau les clients. En effet, dans une société mondialisée qui consomme de plus en plus et exige tout de suite incarnée par des enseignes telle que Mc Do, le truckstop et ses fameuses boulettes de viande ne peut plus se targuer d’offrir l’hospitalité quand les gens voudraient la rapidité déshumanisée. Si l’intrigue monte en puissance jusqu’au crime final, dès le début l’ambiance laisse place au mystère et chacun des personnages semble porter en lui de l’étrangeté. Alors que Claire Aveline et Maurin Ollès sont tout à la fois décapants et délicats, Manon Raffaelli manque davantage de nuance dans son jeu bien qu’il faille lui reconnaître des attitudes sombrement humoristiques dans son rôle de jeune femme imprévisible et intenable.

De bout en bout la pièce est bien orchestrée, lorsqu’on comprend que les personnages nous parlent du côté des morts, le portrait social qu’ils dressent monte encore d’un cran. Coincés dans ce truckstop et pris entre l’idée de parcourir le monde ou le faire venir à eux, ils semblent destinés à revivre inlassablement leurs espoirs déchus, la fougue liée à leur jeune âge aura eue raison d’eux, leur quête d’idéal en devient bouleversante et tragique.

Truckstop, de Lot Vekemans, mise en scène Arnaud Meunier, avec Claire Aveline, Maurin Ollès et Manon Raffaelli

Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, Place de la Principale, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 16 juillet, à 11h et 15h, durée 1h20.

Tournée : du 7 au 11 février 2017 à La Comédie de Saint-Etienne Centre dramatique national, du 8 au 10 mars au Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national de Lyon, du 14 au 17 mars à la Comédie de Béthune Centre dramatique national Nord – Pas de Calais – Picardie, du 4 au 6 mai au Préau Centre dramatique Normandie de Vire.




Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste

Photo : Jean-Erick Pasquier
Photo : Jean-Erick Pasquier

Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante.

Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme.

Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéo-chrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie.

Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon).

Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15.




Avignon OFF 2016 : « Les escargots… » : tous singulièrement multiples

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Pour Juliette, neuf ans, dans la vie le premier drame a été d’être une fille. À travers son autofiction « Les escargots sans leur coquille font la grimace », Juliette Blanche, en duo avec Andy Cocq et aidée de Charles Templon pour la mise en scène, s’inscrit dans une actualité des gender studies pour un spectacle touchant sur la quête identitaire.

Avant l’entrée du duo sur scène, le spectateur est confronté à une grande toile blanche sur laquelle est reproduite la photographie d’une femme androgyne tatouée arborant une coupe à la garçonne que Juliette Blanche s’empresse de déchirer pour lancer le jeu. Une fois la masculinité comme anéantie par ce premier acte scénique violent, commence le récit de la vie de Juliette qui, au grand désespoir de son père, fit l’erreur de naître fille. Puisqu’on « ne naît pas femme, on le devient », tout le spectacle restitue la quête de genre de la jeune fille avant d’enfin réussir à se dire femme. En duo avec un Andy Cocq drôle à souhait, tous deux s’attachent tour à tour à jouer différentes personnes qui ont traversé la vie de Juliette, sans jamais tomber dans le stéréotype. Grâce à une jeu de lumières mis au service du propos avec finesse et des accessoires bien choisis, Andy Cocq se retrouve à singer les sœurs de Juliette, son premier amoureux, Johnny Depp, une secrétaire etc. dans un rythme frénétique et un jeu de mimiques bien mené et amusant. De son côté, Juliette reste dans son personnage tiraillé par un premier désir d’être garçon pour plaire à son père, et celui d’être une fille pour écouter sa mère. Qu’à cela ne tienne, la vie n’est pas si simple et derrière des airs légers, des thèmes graves sont abordés avec beaucoup de justesse. De fait, à quel moment sait-on que l’on est une femme ou que l’on est homo ou hétérosexuel ?

D’un questionnement sur l’identité qui part d’abord des prénoms en passant par le premier jour des règles de la jeune fille à une exploration de la sexualité qui ne tombe jamais dans la vulgarité, ce spectacle empreint de sincérité n’apporte pas de réponses sinon une invitation à la tolérance. L’un des temps forts de cette création reste la découverte de l’homosexualité du père de Juliette laissant sa femme dans une détresse sentimentale jouée et chantée par le partenaire de Juliette Blanche, car que faire face à « un homme qui condamne le fait d’être une femme » ? Si le spectacle souffre de quelques changements abrupts et de manques de cohérence dans la mise en scène, l’énergie des comédiens est communicative au milieu d’un décor réduit à trois panneaux et miroirs rotatifs servant ce grand thème qu’est celui du genre. Destiné à un public large, le duo gagnerait à se produire devant un public adolescent pour sensibiliser autour de questions loin d’être réductibles à l’idée que les hommes viennent de mars et les femmes de vénus. Que l’on soit homme, femme, transgenre, hétéro ou bisexuel, le théâtre, ne serait-ce que par les changements de rôles dépassant le sexe ou le genre du comédien proposés dans ce spectacle a une réponse : célébrons les identités multiples. Elles sont loin d’être la minorité que l’on croit, peut-être que nous sommes souvent singuliers en acte, mais chacun est multiple en puissance.

Les escargots sans leur coquille font la grimace, écrit par Juliette Blanche, mise en scène de Charles Templon assisté de Florian Jamey, avec Andy Cocq et Juliette Blanche.

Festival d’Avignon, Théâtre La Luna, 1, rue Séverine, 84000 Avignon, 04 90 86 96 28, jusqu’au 31 juillet, 11h45, durée 1h05.




Avignon IN 2016 : « Alors que j’attendais » : le théâtre comme acte de résistance

Photo : Didier Nadeau
Photo : Didier Nadeau

Si cette année le Festival d’Avignon revendique son caractère politique, la pièce « Alors que j’attendais » mise en scène par le syrien Omar Abusaada met le focus sur le Moyen-Orient et sa brûlante actualité. À partir d’un fait réel, à savoir la mort en 2013 d’un jeune syrien battu après deux mois passé dans le coma, le metteur en scène qui était allé à la rencontre de la famille au moment des faits, a construit son spectacle sur ce moment d’inconscience qui éclate, qui rapproche les familles et fait émerger des sentiments inavoués que seul un contexte mêlant si brutalement espoir et deuil peut faire émerger. Avec Mohammad Al Attar qui est à l’origine du texte, Omar Abusaada s’inscrit alors dans un théâtre documentaire résistant.

Les événements se déroulent à Damas où Taim a été admis à l’hôpital après avoir été retrouvé inconscient à un checkpoint, gisant dans son sang sur le siège de sa voiture dans des circonstances inexpliquées. Depuis, il est dans le coma, allongé sur un lit d’hôpital au milieu d’une scène vide, surmontée d’une structure métallique imposante sur laquelle l’esprit du jeune Taim va s’élever pour surplomber et le public, et le checkpoint familial qu’est devenue sa chambre d’hôpital. En effet, depuis son coma le jeune homme entend tout et croit pouvoir se déplacer au milieu de ses proches venus se recueillir, se rencontrer et souvent, se heurter. Face à l’incompréhension de cet accident, sa mère, sa sœur, sa compagne et d’autres proches apportent leur version des raisons qui auraient pu le conduire là. Autour de l’inconscient, la famille fractionnée depuis longtemps se trouve bouleversée par des silences enfin levés, comme ce qui avait poussé Salma, la sœur de Taim, à partir pour Beyrouth. Avec quelques touches d’humour qui rendent le spectacle moins difficile d’accès qu’il n’y paraît au début, des sujets d’actualité comme la situation de la Syrie, et graves comme la peine de cette famille sont abordés.

Au-delà de leurs émotions respectives face au corps inanimé, c’est une réflexion sur la situation de Damas, sur Bachar el-Assad et l’islam radicalisé qui traverse le spectacle. Grâce à une création sonore réalisée à partir de bruits de bombardements, d’appels à la prière, de « soupirs de ceux qui font encore l’amour » et de circulation routière, l’ambiance créée saisit l’imaginaire du spectateur déjà plongé dans la langue des comédiens qui parlent en arabe. À cela, viennent s’ajouter des images de manifestations auxquelles aurait participé Taim qui préparait un film sur Damas au moment de l’accident – jamais la violence n’y est montrée. Le spectacle réussit à parler d’actualité à travers aussi bien le prisme d’images réelles ne montrant pas le sang que les médias nous ont déjà trop diffusé, et les sentiments singuliers de la famille de Taim où tous incarnent à leur manière une façon de résister, que ce soit dans le renoncement au niqab de sa sœur à l’avortement tant remis en question de sa compagne.

En explorant le chaos d’une ville qui n’évoque plus pour les occidentaux que le sang, l’auteur et le metteur en scène syriens assistés d’une troupe de jeunes comédiens talentueux parviennent à dire l’horreur d’une cité sans la montrer, et faire de la peine et l’égarement de ceux qui y vivent encore un acte de résistance.

Alors que j’attendais, de Mohammad Al Attar, mise en scène Omar Abusaada, avec Mohamad Al Refai, Mohammad Alarashi, Fatina Laila, Nanda Mohammad, Amal Omran, Mouiad Roumieh.

Festival d’Avignon, Gymnase Paul Giéra, 1, rue Paul Achard, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 14 juillet, relâche le 10, 18h30, durée 1h40.

Tournée : 18 au 20 août 2016 au Theater Spektakel (Zürich), 26 et 27 août au Festival Noorderzon de Groningen (Pays-Bas), 31 août et 1er septembre au Theaterfestival Basel (Suisse), 4 et 5 septembre à La Bâtie Festival de Genève (Suisse), 8 au 10 septembre au Schlachthaus Theater Bern (Suisse), 29 et 30 septembre au Vooruit de Gent (Belgique), 12 au 15 octobre au Tarmac dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, 26 et 27 octobre ay Onassis Cultural Center (Athènes), 18 et 19 novembre à Bancs publics – Festival Les Rencontres à l’échelle (Marseille), 24 au 26 novembre au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais.




Avignon IN 2016 : « Ceux qui errent… » : quand la démocratie éclabousse

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Sur une scène noire de laquelle n’émergent que des isoloirs blancs faisant office d’écran, une élue zélée entre et installe méticuleusement une urne en attendant l’arrivée du maire. À la capitale le bureau 14 est prêt, c’est jour de vote ! Alors que tout le monde prend place, les heures défilent et, toujours aucun électeur en vue, les isoloirs n’isolent personne : est-ce à cause de la tempête de pluie battante ? Les responsables du bureau aimeraient s’en convaincre, tous se mettent à appeler leurs proches à voter et deviennent fous à la vue du seul électeur venu, ce qui donne lieu à des scènes pleines d’humour au milieu du chaos. Lorsqu’enfin les électeurs se déplacent, le résultat est édifiant : le pays a enregistré un taux d’abstentionnisme record, 80% de votes blancs.

De là, tout s’accélère, les politiques sur-réagissent et la pièce s’emballe. Maëlle Poésy construit alors une comédie noire sur le monde politique et la démocratie. En effet, elle met tour à tour en scène un petit groupe de ministres reclus, tous stéréotypés et appelant à la comparaison avec notre propre paysage politique. Que se passerait-il si demain, un tel scénario avait lieu ? Dans la capitaless, un état d’inquiétude est proclamé, des cellules de crise, des collectifs d’infiltration pour la vérité sont créés et plutôt que de tenter d’écouter le peuple, on assiste aux revers du pouvoir et au recentrement des ministres sur leur petite personne. Pour eux, gouverner c’est mettre ses sujets hors d’état de vous nuire, qu’advient-il alors des libertés fondamentales de la démocratie une fois les « gens radicalisés » et devenus « nuisibles » ?

Finement orchestrée, la pièce met en lumière le fossé existant entre les politiques et le peuple et entre en écho direct avec le contexte actuel. Si l’on regrette quelques longueurs et que le spectacle aurait gagné à être plus ramassé pour ne pas souffrir de coupures de rythme, la scénographie est hypnotique, l’ambiance sonore et lumineuse est très réussie. Le chaos, signifié par la pluie qui envahit le plateau pour laisser place à une ambiance lourdement tropicale, laisse imaginer une capitale ravagée, irradiée par les actes fous des ministres. Prêts à sortir des lance-flammes pour réprimer un peuple inactif, ils se disent en état de siège bien que pour certains, les souvenirs du siège remontent à des cours de latin du collège.

Tournée en dérision avec lucidité, la soit disant franchise des politiques perd toute sa crédibilité dans ce spectacle, les mises en scène successives de discours télévisés achèvent de les rendre risibles. Bien assis, le public s’y retrouve d’autant plus invité à une remise en question qu’il est considéré comme ce peuple qui, rassemblé, détient le vrai pouvoir : la république est morte, vive la république !

Ceux qui errent ne se trompent pas, de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après « La Lucidité » de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poésy, avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.

Festival d’Avignon, Théâtre Benoît XII 12 rue des Teinturiers, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 10 juillet.

Tournée : 5 novembre 2016 au Théâtre Firmin-Gémier (La Piscine), 8 novembre 2016 au Rayon Vert (Saint Valéry en Caux), 17 au 19 novembre 2016 au Théâtre du Gymnase-Bernardines (Marseille), 26 novembre 2016 à la Ferme du Buisson (Marne-la-Vallée), 1er et 2 décembre 2016 au Granit (Belfort), 5 au 18 décembre 2016 au Théâtre de la Cité Internationale (Paris), 10 et 11 janvier 2017 au Théâtre de Sénart, 18 et 19 janvier 2017 au Théâtre de Sartrouville, le 26 janvier 2017 au Phénix (Valenciennes), 31 janvier 2017 au Rive Gauche (Saint-Étienne-du-Rouvray).




Tchernobyl : le problème du monde

Anne-Charlotte Compan
Anne-Charlotte Compan

Le 26 avril 1986 à l’intérieur de la centrale Lénine dans l’ancienne URSS, durant la nuit aux alentours d’1h23, la plus grosse catastrophe nucléaire mondiale du XXe siècle a lieu : les réacteurs de la centrale explosent. 30 ans plus tard, sur des terres que la Seconde Guerre mondiale et les nazis avaient déjà détruites, une personne sur cinq vit encore dans des régions contaminées. Une nouvelle guerre a commencé, encore plus cauchemardesque pour la vie, une guerre nucléaire. Mais comment se protéger de ce que l’humanité ne connaît pas ? En ce sombre anniversaire de la catastrophe, Stéphanie Loïk adapte et met en scène sous le titre de « Tchernobyl Forever » le Carnet de Voyage de Alain-Gilles Bastide. Du théâtre documentaire pour ne pas oublier.

Comme dans ses précédentes mises en scène autour de Tchernobyl, ou du moins, des textes de Svetlana Alexievitch comme la « Supplication » dont le présent spectacle est marqué, Stéphanie Loïk propose un spectacle choral où trois comédiens se font la voix de l’enfer, pour préserver les faits. Vêtus de noir sur un plateau sans décor lourdement enfumé, plongé dans des lumières allant du vert au rouge vif en passant par un blanc éblouissant, les trois comédiens rejouent des témoignages, des reportages et des moments de vies irradiées. Comme dans « La fin de l’homme rouge » monté sur la même scène par Stéphanie Loïk l’an passé, le spectacle est admirablement chorégraphié. De même, les chants acappella du chœur de comédiens marquent l’esprit. A trois, et en canon, ils sont la voix d’un peuple et de ses victimes. Ils disent l’horreur de cette mort qu’on ne connaît pas, de l’air que l’on ne respire plus. Ils disent et jouent ce déchet atomique qu’est devenu l’homme de Tchernobyl, de ses environs et bien au-delà. Pour les irradiés, les 700 000 enfants nés après Tchernobyl et le déficit de natalité enregistré, impossible de vivre sans oublier la catastrophe. Plus que des corps malformés et des vies arrachées que les comédiens jouent avec force et beaucoup de sensibilité, Tchernobyl est devenu ce lieu d’abondance dont parle la Bible, où l’homme ne peut plus enfanter. Stéphanie Loïk propose une adaptation maîtrisée, très visuelle et malgré tout empreinte de beaucoup de poésie de ce qu’est encore Tchernobyl aujourd’hui.

Alors que l’homo sovieticus lui, est mort, que l’URSS est tombée, au tour de l’humain de mourir ? La faute de qui ? En guerre la mort est incompréhensible, encore plus quand cette guerre n’est pas comme toutes les guerres. Aveuglé par des lumières créant une ambiance maladive et forcé de respirer cette épaisse fumée diffusée sur le plateau, le spectateur ressort éprouvé par l’Histoire et ce que le théâtre peut encore en dire.

« Tchernobyl forever », d’après le Carnet de Voyage de Alain-Gilles Bastide, adaptation et mise en scène de Stéphanie Loïk, jusqu’au 30 avril 2016 au théâtre Le lieu de l’autre/Anis Gras, 55 Avenue Laplace, 94110 Arcueil. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.lelieudelautre.com




Amour irradié : comment revivre ?

valentina

La « Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse » du prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch est de ces livres encore interdits en Biélorussie, l’un de ces livres d’où l’histoire irradie. Loin de relater ce que les médias se sont évertués à relater à propos de la catastrophe nucléaire du 26 avril 1986, Alexievitch s’est intéressée aux oubliés de la grande Histoire pour construire son ouvrage autour de centaines de témoignages de survivants. « Valentina-Tchernobyl, née pour l’amour » mis en scène par Laure Roussel est un spectacle qui a été pensé à partir de l’un de ces témoignages, adapté librement, que le temps ne doit peut oublier.

C’est sans nul décor et seule en scène que Coralie Emilion-Languille vêtue de noir et de rouge mène de bout en bout la représentation, et récite la supplication. Tout en sobriété et dans l’économie de mouvements. Dans le rôle de Valentina, la comédienne mise tout sur les mots pour heurter. Voix solitaire, ne pouvant trouver de réconfort dans son travail devenu si fade, Valentina est de ces survivants de l’ombre. Dans un pays où on ne songe pas, elle était de ceux qui, malgré tout, avaient des rêves. Mais c’était avant Tchernobyl. Sur scène, les yeux humides, comme débordant de souvenirs, elle raconte cet avant. Elle parle avec beaucoup d’émotion de son mari, né homme, mort tchernobylien. De cette génération où l’on pouvait encore naître exempté de radioactivité. De la gorge serrée, résonnent les mots si justement abandonnés à un silence que la comédienne se force à maintenir comme ponctuation, elle se fait témoin là où le théâtre devient lieu de mémoire. Le cancer de Tchernobyl ? Elle le décrit, sous nos yeux elle dessine l’horreur et l’agonie vécues par l’homme qu’elle épousa à la vie à la mort. Très proche du texte, la comédienne s’en est emparée avec beaucoup de sincérité mais surtout d’humanité, sans jamais verser dans le pathos ni même le froid témoignage de ce que la vie de Valentina à l’épreuve de la mort a pu être.

« Je ne sais pas de quoi parler, de la mort ou de l’amour ? Oui c’est égal… » écrit Alexievitch en ouverture de son ouvrage. Parce que l’Histoire qu’elle transmet dont le spectacle se fait écho, c’est celle des petits gens, de leurs vies aussi modestes soient elles, et de leurs amours, aussi grands fussent-ils. Si au départ l’intérêt théâtral de cette supplication n’était pas évident, la fin ne peut que susciter les applaudissements, ne serait-ce que pour contrer la censure et enfin briser un si long silence historique.

« Valentina-Tchernobyl », texte librement adapté de « La supplication » de Svetlana Alexievitch avec Coralie Emilion-Languille, mise en scène de Laure Roussel, jusqu’au 14 mai 2016 à la Manufacture des Abbesses, 7, rue Véron, 75018 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur www.manufacturedesabbesses.com




Amour, nm : passe-temps millénaire de l’humanité

Copyright : Pierre Sautelet
Copyright : Pierre Sautelet

Au Théâtre de la Colline, Julie Duclos et sa compagnie L’In-quarto reviennent avec « Nos Serments », créé en 2015 à partir du film « La Maman et la Putain » de Jean Eustache alors qu’il y a peu, sur les mêmes planches était joué « Scène de la vie conjugale » mis en scène par Nicolas Liautard là encore à partir d’un film, d’Ingmar Bergman. Tout se passe comme si le théâtre était devenu plus que jamais à la fois une voix et un lieu de réponse à Roland Barthes, qui voyait le discours amoureux parlé par des milliers de sujets mais solitaire, sans jamais n’être soutenu par personne. 

En s’emparant de ce film culte, Julie Duclos a monté son spectacle en grande partie sur des improvisations sur le plateau qui se ressentent tant les échanges des comédiens ont l’air vraisemblables. Au cœur de cette pièce : François. En couple avec Mathilde, il ne travaille pas, elle si. Un soir alors qu’elle rentre du travail, elle réalise qu’il ne l’attend plus, puisqu’aimer, c’est attendre l’autre pour le plaisir normal d’être ensemble ; elle se demande où est passée la personne dont elle était tombée amoureuse. Incarnée par Maëlia Gentil, Mathilde est saisissante le temps de vomir son cœur avant d’un jour aimer à nouveau, et se marier. De son côté, François, l’éternel amoureux qui n’aime jamais pour l’éternité, travaille à faire durer l’amour mais avec Esther, sa nouvelle relation. Joyeuse, ouverte d’esprit, apparemment désinvolte, de François elle accepte tout, à commencer par son passé et une « relation libre », tant qu’il la choisit toujours elle. Vient alors le jour – inattendu ? – où il tombe amoureux d’Oliwia, une infirmière polonaise qu’il suivra jusqu’à Lisieux, pour finir par revenir, et écrire. Et si l’amour durait ? Oui, mais jamais avec la même personne. Dans le rôle de François, David Houri est très juste, il est surtout le point d’entrée d’un questionnement sur le couple et de la dissection de cette entité tout autant décortiquée par Gilles, incarné par Yohan Lopez, l’ami artiste, philosophe et riche de François. De ces épisodes successifs de vie de couples, Gilles est assurément un des personnages que l’on retient, brillant de simplicité, déconcertant de tant de snobisme, se disant lui-même amoureux dans sa solitude ambiante. Dans un intérieur d’appartement laissant à vue l’arrière du décor ainsi qu’un écran géant qui diffuse des images filmées de scènes extérieures au plateau et au studio, certaines scènes sont d’une grande beauté. Lorsque François et Oliwia passent une nuit ensemble, les corps nus, derniers survivants de la journée, sculptés par la lumière chaude d’un moment passé à attendre plus et croire en l’unicité de cette rencontre, le temps s’arrête.

« Nos serments » s’impose alors comme une pièce qui, loin de prétendre apporter des réponses, se veut le miroir d’une génération qui se cherche. Un reflet peut-être à nuancer dans la mesure où les personnages tous jeunes trentenaires parisiens, et particulièrement François, semblent consacrer tout leur temps à l’amour, détachés de toute autre nécessité vitale ou contingence matérielle. Le discours amoureux qui parcourt ce spectacle doit sans doute beaucoup au fait que la troupe a déjà joué et adapté des textes de Barthes. Tous hallucinent l’être aimé, l’analysent, le regrettent, le façonnent ou l’attendent. François, entouré successivement de femmes en tous points différentes ayant toutes en commun de penser « Normalement je suis heureuse », est l’épicentre d’intenses moments d’un vécu qui heurte le public. Vaut-il mieux s’aimer moins mais s’aimer longtemps ou beaucoup s’aimer et accepter une fin ? Les personnages, à vouloir trouver leur jumeau et vivre chaque instant de rencontre comme découverte dans l’autre d’un morceau d’eux-mêmes, se retrouvent face à leur propre changement et leurs contradictions. Dès lors, le temps essuie les promesses, et l’avenir trahit forcément les serments.

« Nos serments », par la compagnie L’In-quarto, mise en scène de Julie Duclos, jusqu’au 22 avril 2016 au Théâtre de la Colline, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Durée : 2h45 avec entracte. Plus d’informations et réservations sur www.colline.fr