1

Marylin Monroe, VDM

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

« Marylin, intime » est une œuvre biographique très romancée, écrite et interprétée par Claire Borotra. L’actrice y montre la vie personnelle difficile de la star hollywoodienne, en partie à travers une correspondance imaginée avec sa mère, de ses 8 ans à sa mort en 1962.

Ce spectacle est une performance. Seule en scène, l’actrice montre une orpheline sensible et touchante : toujours souriante, ingénue, malgré les épreuves. Sa fragilité et ses failles sont palpables, troublantes de sincérité. Tout tient sur le jeu.

Elle raconte son histoire atroce : abandonnée à de multiples reprises, elle enchaînera les échecs affectifs comme un intermittent doit courir après les cachets. La métamorphose de Norma-Jeane en Marylin n’étant que la partie émergée de l’iceberg. De cette icône retenant sa robe en passant au-dessus d’une bouche d’aération, Claire Borotra en fait une femme.

Après une enfance chaotique, ponctuée d’attouchements et de meurtres d’animaux, elle est abandonnée par une mère schizophrène. À 16 ans, en 1942, elle se marie pour divorcer en 1946. Si une chance folle la propulse dans les couloirs de la 21th Century Fox, Marylin pense en premier lieu que c’est une chance inespérée pour retrouver son père qu’elle n’a jamais connu. Dans la perpétuelle quête de reconnaissance d’une fille reniée, elle égrène les amants, et lorsqu’elle en aime un et qu’elle se marie avec, l’abandon en est inévitablement l’issue de la relation.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Un autre aspect de la dureté mis en avant ici réside dans le fait que Marilyn soit consciente de ses échecs, et tout au long du spectacle, on la voit repartir à l’assaut de la vie avec la meilleure volonté du monde. Était-elle comme cela ? Peu importe, encore une fois, c’est l’interprétation qu’en fait Claire Borotra qui suscite tout l’intérêt de « Marylin, intime ».

La lumière très soignée de Jean-Philippe Viguié vient ponctuer les époques et les brusques changements d’émotion de la star. Faisant crépiter les flashs lors de ses sorties publiques, l’éclairage peut-être celui d’un hôpital ou d’une prison l’instant d’après, avant d’être celui d’une chambre au crépuscule. Ces variations accentuant ainsi les soubresauts de la vie discontinue qui s’étale face à nous. Tout au long de la représentation, l’espace rangé d’une chambre est de plus en plus jonché d’objets divers : vêtements, literie, chaussures. Autant de symboles des cicatrices qui viennent à chaque fois alourdir un peu plus l’âme de la star, jusqu’à sa mort, provoquée par le poids trop lourd d’une véritable VDM.




« Perdues dans Stockholm » : épopée burlesque et folle magie

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Sur scène défilent un mobile home, une gare, un casino… Tant de lieux construits avec le même décor à tiroirs : trois caisses de bois montées sur roue. Des boites accompagnées de trois acteurs auxquels Pierre Notte a insufflé son jeu, sa musique et sa folle magie. Tout fonctionne pour emporter le spectateur dans une épopée burlesque, allant de surprise en surprise, faisant mouche dans nos esprits toujours au moment où on l’attend le moins.

Avant que la lumière ne s’éteigne, Lulu (Brice Hillairet) bondit sur scène, se change pour ne pas qu’on le reconnaisse, tel un malfaiteur qui a fait une énorme bêtise… Et c’est le cas : il vient d’enlever la présidente du Festival du film américain de Deauville (Juliette Coulon), croisée par hasard au rayon primeur du Monoprix ! Grâce à la rançon qu’il va en tirer, il va pouvoir enfin se payer son opération de transformation et devenir la femme qu’il est vraiment. Très vite, il s’avère que l’actrice n’est qu’une comédienne mineure ressemblant vaguement à la présidente en question, elle qui passait par là dans l’espoir de plaire à un directeur de casting américain. Tata Yoyo (Silvie Laguna), rentrant du casino complètement ruinée vient compléter le groupe de personnages qui, bien que nichés dans le plus profond désespoir Trouvillais, n’ont pas abandonné l’espoir de réaliser leurs rêves.

Le syndrome de Stockholm agit alors sur la kidnappée, bien décidée à rester avec les deux tendres loosers pour qu’ensemble, ils s’offrent la vie qu’ils méritent : ouvrir la première école de Geisha en Haute-Normandie.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Toutes les situations, les actions et les gestes – notamment ceux de Brice Hillairait qui se lâche complètement et nous montre ainsi toute l’étendue de son talent – sont tirés vers l’absurde comme deux aimants. Notte ne suit que ses codes, il est un roi en matière de quiproquo entre ses acteurs et le public : durant les premières minutes de la pièce, le personnage de Lulu, bien que transsexuelle, a tout d’une bigote hystérique sortie tout droit de Saint-Nicolas du Chardonnay : en enlevant la présidente d’un festival de film, on pense assister à l’obscurantisme qui kidnappe la culture. Métaphorique ! Et bien sûr, la situation s’avère ne pas être ce qu’elle semble. Ce procédé revenant de manière incessante est mené de main de maître.

Le texte est cinglant, rapide, truffé de gags. Les clins d’œil à la société moderne abondent et l’on retrouve les citations qui font la marque de fabrique de Notte : la référence aux grandes actrices, notamment Catherine Deneuve.

Entre les personnages, le cloisonnement délie les langues, en filigrane, chaque protagoniste se questionne sur son identité, ce qui fait qu’elle est unique, sur l’ignorance des autres de leur personne puisque ce ne sont pas des gens connus… Et finalement, malgré tout le rire découlant de ces situations d’un comique certain, on ne peut s’empêcher d’être touché, parfois ému et évidemment conquis par ces trois femmes formidables.

Pratique : « Perdues dans Stockholm », jusqu’au 29 juin au théâtre du Rond-Point (8e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatredurondpoint.fr et par téléphone au 01 44 95 98 21.




Un Goya décousu, fou et faux au théâtre de l’Atalante

caprices

Peu à peu, le festival de Caves, qui se tient au mois de mai dans la région de Besançon, tente de s’exporter à Paris. Pour l’occasion, le petit théâtre de l’Atalante accueille un spectacle créé sur un texte contemporain de José Drevon, lui-même écrit d’après l’œuvre du peintre espagnol Francisco de Goya (1746 — 1828).

C’est en fait une interprétation émotionnelle des célèbres gravures (Los Caprichos) qui nous est montrée ici. Devant le spectateur, très proche, Francesco de Goya (Maxime Kerzanet) est allongé sur une table, sorte d’espace de dissection mentale. Il est en pleine crise d’angoisse. Jamais il ne quittera ce territoire délimité. L’homme souffle, se parle, tente de contrôler sa douleur psychique en ce lieu extrêmement prégnant. À l’abri des regards, il rejette en bloc la société espagnole du roi Charles IV : le clergé, les femmes, les manières aristocratiques, avec une grande force. Les images qu’il emploie dans ce but sont claires. Nous voyons alors un peintre seul face à sa feuille, exorcisant, par le dessin, ses démons.

Malheureusement, malgré une performance d’acteur notable, une belle lumière (de Christophe Forey) et une mise en scène fine (de Guillaume Dujardin), le spectacle ne nous saisit pas. En cause ? La partition, le texte, assurément. L’auteure fantasme Goya comme s’il était Baudelaire écrivant Spleen IV, or, bien que reconnu en tant que peintre de l’horreur, de la violence et d’une certaine folie, Goya n’est pas celui du délire. Ses Caprices sont en fait bien réfléchis, pesés, et font l’objet de nombreuses études dont l’une d’entre elles a montré dernièrement que tout était calculé : même la date de sortie dans le commerce des Caprices est prévue au moment précis de la dernière pleine lune d’un cycle astronomique important de la fin du XVIIIe siècle. Alors qu’ici sur scène, le texte montre un Goya fou, à moitié nu, prisonnier d’une cave afin d’expurger sa folie dans la solitude, mais ses Caprices avaient pour but d’être diffusés à un public très large, rien n’était enfoui, rien n’indique que c’est le résultat d’un délire nocturne du peintre.

caprice1

Bien sûr, José Drevon fait ici un choix extrêmement libre, et sa vision n’est pas mauvaise, puisque c’est celle d’une artiste, son cri. Mais cela ne suffit pas à lui donner la contenance nécessaire à susciter un intérêt : il est décousu, passant du coq à l’âne sans logique, sauf celle de la démence, encore. Mais le délire, s’il ne mène nulle part, à quoi bon l’exhiber ? L’acteur termine dans la même position que celle par laquelle il nous est apparu, montrant ainsi qu’il est cloisonné dans une crise répétitive, ce qui est en plus en contradiction avec la sortie de ses démons sur le papier montrée quelques minutes avant. Tous ces mots ne semblent que style au détriment d’un véritable fond.

Du coup, le beau dispositif scénique et l’écrin particulier dans lequel on essaye de plonger le spectateur ne fonctionnent pas. À quel public s’adresse-t-on ? Le spécialiste ne verra pas Goya, l’amateur en aura une image saugrenue, et si la destination n’est pas d’apporter un témoignage biographique, ce qui semble être le cas ici, l’ennui guette et surgit plus vite que les brûlantes angoisses vécues par le personnage évoluant sur scène.

Pratique : « Caprices », jusqu’au 24 juin au théâtre de l’Atalante (18e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-latalante.com et par téléphone au 01 42 23 17 29.




Cyrano : il est tout, avec trois fois rien

Cyrano de Bergerac

Rarement, une création fait autant parler d’elle. Fin 2012, en pleine « affaire Depardieu », Philippe Torreton prend parti et assaille le premier dans une longue tribune dans Libération. Un texte truffé de références à Cyrano de Bergerac. Quelques semaines plus tard, Torreton incarne lui-même Cyrano, ce rôle qui colle tant à la peau du grand Gérard. La comparaison se fera forcément. Heureusement, les premiers commentaires seront unanimes : Torreton ne se ridiculise pas, il est Cyrano, un personnage puissant, solitaire et brutal incarné à merveille. Un Cyrano enfermé dans un hôpital psychiatrique construit sur la scène de l’Odéon jusqu’à la fin du mois de juin.


Une pièce commune glauque, éclairée au néon. Des tables et des chaises de-ci de-là parsèment l’espace. Torreton est déjà sur scène, dos au public. Un défilé de malades délirant s’opère pendant qu’un juke-box crache de la musique. Rien dans les premières minutes ne laisse présager que nous allons assister à une représentation de Cyrano. Les plus sceptiques se poseront la question de savoir si, comme au cinéma, ils ne se sont pas trompés de salle. Puis, peu à peu, on se surprend à imaginer les salles d’asiles auxquelles chacun a pu être confronté. On se questionne alors : peut-être que ceux qui nous semblent fous habitent un monde parallèle dans lequel ils jouent les plus grands drames de la langue française ? Doucement, l’imaginaire se créé.


Enfin, la pièce débute. Montfleury (Jean-François Lapalus) monte sur une scène faite de tables en formica. Tous autour s’amusent et parient pour savoir si Cyrano viendra interrompre la représentation, ce qu’il fait. Torreton une fois debout efface les autres tant il rayonne, tant son incarnation est pleine de force et de justesse. La transposition dans ce monde en blouse blanche où lui est habillé dans un vieux survêtement Sergio Tachini n’empêche pas le texte d’être limpide et particulièrement bien dit. Rostand est l’un des ancêtres de Pagnol et Audiard en matière de textes imagés.


Bien que l’épée soit remplacée par un fer à repasser et que la scène du balcon devienne une conversation Skype, la dramaturgie est très respectueuse des situations rostandiennes : toutes existent et aucune ne perd en force. Celles-ci sont soutenues dans une mise en scène volontairement déséquilibrée qui met particulièrement en valeur le héros et son nez, au détriment des personnages secondaires.  L’organe de Cyrano parle, il est le prolongement parfait de l’acteur. De profil, il accuse, de face, il touche, de dos, il nous manque. Seule Roxanne (Maud Wyler) trouve sa place au-devant de la scène. C’est elle qui rend le Gascon tout chose, plus faible, en un mot amoureux. Monde moderne et monde baroque se confondent lorsqu’on vit cette situation douloureuse d’un amour par procuration.


L’enfermement dans le monde psychiatrique renforce d’autant plus le climat de tristesse de la situation dans laquelle se trouve Cyrano. Cet homme seul, bon et courageux cloisonné dans sa laideur avec ce nez qui « d’un quart d’heure pourtant [le] précède », vit dans un monde imaginaire. Le drame gagne en noirceur et la vie de cet homme fou en devient profondément désespérante, après une scène finale grandiose, on sort du spectacle bouleversé.


Pratique : Cyrano de Bergerac, jusqu’au 28 juin au théâtre de l’Odéon (6e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 01 44 85 40 40.




Affreux, terrible, dramatique Tartuffe !

(c) Thierry Depagne
(c) Thierry Depagne

Luc Bondy fait ici le choix de nous montrer un Tartuffe moderne. Moderne de par son cadre : la pièce se déroule dans le salon d’un grand appartement froid au carrelage en damier noir et blanc (symbolique de la dichotomie de perception dont bénéficie Tartuffe de la part des membres de la famille ?). Moderne aussi de par son caractère : ici, le faux dévot (joué par Micha Lescot) ose et adopte un comportement de cadet de famille mal élevé qui fait tout pour faire punir ses frères et sœurs. Par exemple, lorsque le fils Damis (Pierre Yvon) vient se plaindre du comportement de Tartuffe, celui-ci se mortifie face au père Orgon (Gilles Cohen), et lorsque ce dernier à le dos tourné, Tartuffe fouette le fils de sa cravate. Ce comportement de « sale gosse » dure jusqu’à la fin de la pièce et prend de multiples formes, jusqu’aux dernières minutes du drame où Tartuffe, arrêté par les autorités, pleure comme un enfant à qui on vient de taper sur la main, après qu’il ait été pincé à la tremper dans le pot de confiture.

Ce comportement gestuel abondamment ajouté par Bondy, donne une dimension dramatique presque œdipienne : Tartuffe séduit le père (adoptif) et le conduit de façon perverse à sa perte pour pour pouvoir coucher avec la mère. Sous cet angle, une sensation d’étrangeté nous capte tout au long de la pièce. Les coups accompagnant les paroles déjà chargée de sens font ressortir la dimension profondément dramatique de ce qui est, à l’origine, une comédie satyrique. Tartuffe est ici un monstre, on rit, oui, mais pas de sa personne ou d’Orgon mené en bateau : on rit pour ne pas compatir au supplice qu’endurent les personnages.

Non, tout n’est pas sombre pour autant, le rire est aussi provoqué sincèrement par les gags de mise en scène. Notamment par la présence récurrente d’une servante muette (Léna Dangréaux), craintive et semblant tout faire pour être discrète : c’est admirablement joué et profondément drôle, elle semble créée à partir d’une fusion entre un personnage de Walt Disney et Tim Burton. Dès son entrée en scène, elle nous capte. D’autres artifices s’ajoutent au fil de la représentation : les bondissement de derrière les rideaux ou le peignoir ringard enfilé par Tartuffe lorsque la mère feint de céder à ses avances pour mieux le piéger fonctionnent très bien… Le drame resurgit néanmoins puisque la scène entre le dévot et Elmire (Clotilde Hesme) va jusqu’au viol quand certains metteur en scène se contente d’un baiser. Bondy pousse la pièce jusque dans ses retranchements tragiques.

Ce texte, qui ciblait les dévots qui truffaient alors Versailles à la fin des années 1660, avait fait scandale à sa création car Tartuffe était habillé comme eux. Elle est encore maintenant l’une des pièces les plus justes par son analyse de l’hypocrisie. Aujourd’hui, lorsqu’on écoute ces vers avec notre sensibilité contemporaine, « le ciel » loué par l’antihéros est le système en place, Orgon fait partie des « braves gens », qui ne voient que ce qu’ils ont envie de voir. On pense à ces parents qui laissent sombrer leurs enfants dans les paradis artificiels et qui refusent d’y voir leur part de responsabilité : ici, Orgon détruit sa fille en la promettant à Tartuffe alors qu’elle aime Valère. Peu à peu, on la voit sombrer dans une affliction touchante. À la fin, lorsque l’huissier vient pour saisir la maison, on se demande si Orgon ne va pas aller jusqu’au suicide.

Dans le programme du spectacle, Bondy aborde justement cette question du « voir et ne pas voir » […]. Tartuffe nous interpelle, que choisissons-nous de voir ? Face à quoi, dans la vie moderne, nous masquons nous délibérément la vérité ? Chacun y trouvera sa réponse personnelle, Tartuffe mis en scène comme l’a fait Bondy, s’adresse à tout ceux-là.

 Pratique : Le Tartuffe, jusqu’au 6 juin au théâtre de l’Odéon (Salle Berthier, 17e). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 06 44 85 40 40.

 

 




La nuit des piranhas au Café de la Gare – Triste réalité …

Bas les masques. Ainsi pourrait-on résumer la pièce qui se joue en ce moment au Café de la Gare. Un lieu chargé d’histoire pour le théâtre et la comédie moderne. Rien de moins que Coluche y a fait ses débuts sur scène. Et, à l’instar de Coluche, les auteurs de « La Nuit des Piranhas » (Philippe et Cédric Dumond) nous offrent leur vision de notre société moderne. Balancée entre révoltes, injustices, jeux de pouvoir et quête de transparence. Les personnages, au prime abord, répondent à des clichés bien définis dans l’imaginaire commun.

Homme politique véreux qui cherche tous les passe-droits possible.
Prostituée, outrageusement maquillée, tombée pour racolage.
Jeune étudiant altermondialiste en quête d’un monde meilleur, d’une fraternité universelle et développant le même amour pour les forces de l’ordre que ses prédécesseurs soixante-huitards.
Maton irascible, petit chef, n’hésitant pas à user de la force pour faire taire toutes les voix qui pourraient remettre en cause ses convictions.

Puis, petit à petit, dans une pièce bien rythmée, aux assauts des manifestants (c’est jour de révolte nationale), les masques tombent. Les préjugés laissent place à des vérités bien inattendues, et parfois au goût tristement amer pour le spectateur, car tellement proches des histoires de notre quotidien. La société dépeinte dans les médias nous apparaît là dans sa désolante simplicité, et ses valeurs parfois douteuses.

Heureusement, la légèreté du ton et l’engagement des acteurs rendent cette vérité plus supportable, et permettent aux spectateurs de mieux s’indigner des travers et des aberrations contemporaines. La Nuit des Piranhas pourrait concourir à de belles récompenses comiques, si ce n’était ce fond de vérité tragique toujours présent dans les textes. Une belle leçon de société moderne, d’humilité et … d’espoir malgré tout !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pratique :
Auteurs : Philippe et Cédric Dumond
Artistes : Julie Cavanna, Benjamin Bollen, Bernard Bollet, Hubert Drac
Metteur en scène : Hubert Drac
Durée : 75 minute
Du mardi au samedi à 19h
Adresse : Café de la Gare – 41, Rue du Temple – 75004   PARIS

 




Girardot et Schneider, un couple évident

ROMEO ET JULIETTE (Nicolas Briancon 2014)
Copyright : Victor Toneli

Dans toutes les professions, dans chaque domaine, chez les communautés de passionnés, il y a des problèmes récurrents. Celui des amateurs de Roméo et Juliette, c’est de savoir si le couple de héros va (pour faire court) tenir la route. Selon les mises en scène, on a pu entendre que la différence d’âge était trop grande, que Juliette était trop vieille (dans la pièce, elle est censée avoir bientôt 14 ans), que le courant passait mal entre les comédiens, que ces derniers sont trop inexpérimentés, etc… Bref, de tous les Roméo et Juliette montés ces dernières années (il y a en a au moins un par saison), celui joué par le couple Ana Girardot et Niels Schneider est certes le plus glamour, mais aussi le plus juste et le plus beau.

Nicolas Briançon transpose l’action de la Vérone du XVIe siècle à ce qu’il semble être le monde de la Prohibition des années trente à New York, et où les Montaigu et les Capulet deviennent deux gangs rivaux (sans pour autant nous faire penser aux Sharks et aux Jets) et le Prince le grand parrain. Ce décalage juste, apporte une certaine modernité visuelle à l’action, tout ce monde évolue dans une scénographie en grisaille et la troupe, nombreuse, est bien orchestrée. Elle donne à voir des scènes collégiales (du bal aux bagarres) dynamiques et brûlantes. La mise en scène est truffée de gags et farces qui font mouche, et les moments plus calmes atteignent même une certaine poésie, car un soin particulier a été apporté à chaque tableau et l’effet s’en ressent sur la vue générale que l’on a du plateau.

La relation nouée entre les deux héros est joliment innocente, sincère. On peut avoir quelques difficultés avec la diction de Niels Schneider (il est québécois), mais lorsque les héros tombent amoureux, cela nous paraît une évidence. Les deux comédiens sont pour la première fois au théâtre et inutile ici de chercher une bonne prise comme au cinéma : la magie opère dès qu’ils se tiennent la main. À la fois rêveurs et conscients du monde dans lequel ils vivent, ici, la plus dramatique, mais aussi la plus belle de toutes les histoires d’amour ne perd rien de sa valeur universelle.

Quelques accents volontairement exagérés sur les seconds rôles et leur présence bien mise en valeur par les coupes du texte nous font également remarquer la très belle prestation de la Nourrice (Valérie Mairesse) et de Frère Laurent (Bernard Malaka). Les autres comédiens soutiennent bien l’action, sans faire d’ombre au couple légendaire.

Un Roméo et Juliette qui fonctionne, c’est une représentation où le public espère que Roméo ne tuera pas Tybalt, où l’on espère à chaque fois que le messager du frère Laurent atteindra Mantoue, où l’on prie pour que Juliette se réveille à l’arrivée de Roméo. Même si l’on connaît la pièce par cœur on est happé, et cette version est une totale réussite, parce que tout l’essentiel y est représenté.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée : 2h15
Tarifs : 10/52 €
Réservations au 01 42 08 00 32 ou sur http://www.portestmartin.com/




« Les uns sur les autres » à la Madeleine : premier raté pour Confino

lesuns

Depuis la fin du mois de janvier, le théâtre de la Madeleine accueille la pièce « Les Uns sur les Autres » dans une mise en scène de Catherine Schaub. Ce drame comique, de Léonore Confino, raconte la vie d’une famille banale, de la scène quotidienne du « à table ! » incessamment répété par la mère de famille à celle du fils qui joue aux Doom-likes, en passant par le père toujours pressé d’aller au travail. Bien sur, au théâtre, ce n’est pas ce qu’on raconte qui constitue l’intérêt de la pièce, mais la manière dont cela est dit. Et c’est bien là tout le problème…

Pourtant, l’histoire de cette création débutait comme l’une des nombreuses success story que connaît la scène privée parisienne. Une jeune auteure sur la route ascendante est mise en scène dans un beau théâtre, celui de la Madeleine. Pour ajouter du piquant à l’événement, le rôle principal sera tenu par Agnès Jaoui en personne, elle qui n’avait pas foulé les planches depuis la dernière de Un air de famille en 1994 qui avait connu un succès unanime. Mais voilà, le texte, l’histoire, ces mots qui font l’essence même d’un spectacle, ne sont pas à la hauteur de l’événement.

Le propos de Leonore Confino se veut universel. C’est d’ailleurs cela qui a touché Agnès Jaoui et qui lui aurait donné envie de remonter sur une scène. Malheureusement, cette universalité espérée n’est qu’un pale reflet des problèmes que subit au jour le jour la famille bourgeoise de classe moyenne, plutôt supérieure. Non, tous les maris ne rêvent pas de quitter leur femme le matin en allant au travail, non, toutes les femmes ne sont pas apeurées à l’idée d’être en retard chez l’ostéopathe ou l’acupuncteur parce que la pièce de 1 euro est restée coincée dans le cadis à Intermarché. Et si l’on prend un peu de distance sur le propos : non, toutes les femmes ne sont pas maltraitées, obligées de rester chez elles pour tenir la maison. C’est néanmoins le cas du personnage joué par Agnès Jaoui, et ce jusqu’à la caricature la plus vulgaire de la fin de la pièce où maman qui en a marre raconte à son fils qu’elle avait « le vagin large comme une autoroute » après l’avoir mis au monde et qui confesse à sa fille qu’elle arrive à garder papa à la maison parce qu’elle « taille des pipes d’enfer ».

Le procédé d’écriture est pourtant amusant. Il mélange phrases construites et nuages de mots devenus lieux communs sur la vie de notre siècle, où les gens sont toujours pressés. Mais là aussi, on tombe vite dans l’idée reçue et très vite, l’humour disparaît.

Soulignons le risque qu’ont pris Jean-Claude Camus et Jean Robert-Charrier de mettre dans cette grande salle une jeune auteure, pas ou peu connue du grand public. Leonore Confino a rencontré son premier véritable succès que très récemment, avec Ring, au Petit Saint-Martin. Ce texte sur l’amour, le couple, ses succès et ses problèmes était juste, drôle, triste et joyeux. Il était porté par deux interprètes pour qui ces saynètes semblaient taillées. Coup de chance ? Ou trop d’ambition trop vite ? À La Madeleine, ça ne prend pas.

Les comédiens pourtant s’accrochent. Mais, comme un grand musicien à qui l’on donnerait une partition médiocre, on est bien obligé de voir qu’ils font ce qu’ils peuvent. Nous pourrions évoquer la belle scénographie, les procédés de mise en scène ingénieux (notamment le moment où l’adolescente anorexique atteint enfin un IMC négatif et donc devient invisible). Mais rien n’est suffisant pour sauver la pièce, à qui l’on souhaite de tomber rapidement, pour éviter à Léonore Confino que son nom soit associé trop longtemps à cet échec.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Madeleine
13 rue de Surène, 75008 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Matinée le samedi à 16 h
Durée : 1h25
Tarifs : 20/52 €
Réservations au 01 42 65 07  09 ou sur http://www.theatre-madeleine.com/




Fanny … Ardente à la Gaité Montparnasse

Ardent comme le désir qu’elle porte à son fils, désir incestueux, désir maternel, désir œdipien
Ardents comme les coups portés, au coeur et au corps de son fils
Ardente comme la colonie qu’elle quitte pour retrouver ce fils aimé, ce fils haï, ce fils désiré, ce fils repoussé.
Un fils parmi quatre autres enfants.
Un fils unique dans le cœur de sa mère.
Un fils en marge de la société.
Loin des Messieurs de ce monde.
Avec pour seul amour sa mère, et pour seul désir la fuite.
Loin des hommes du monde, recherchant la proximité (et l’argent) des femmes du monde.
Et il y a la sœur, absente de scène, mais omniprésente dans la bouche de la mère et dans celle du fils.
La sœur Mimie, pourtant bien laide.
Porteuse de tous les secrets. D’elle viendront toutes les révélations. Tous les déclins. Toutes les déceptions.
Mademoiselle Marcelle fait pâle figure au milieu de ce portrait de famille. Venue de nulle part, n’allant nulle part. Jamais regardée, jamais consultée. Toujours rabrouée.

Affiche "Des journées entières dans les arbres"

En ce 60e anniversaire de la parution de la nouvelle éponyme de Marguerite Duras, Thierry Klifa fait le pari d’une mise en scène classique, austère, légèrement modernisée grâce aux sonorités d’Alex Beaupain (mais en gardant l’original d’Hervé Vilard !). Et c’est une réussite. Quatre acteurs seulement sur scène, aucune fioriture, la salle est conquise, les spectateurs se prennent même à vouloir eux aussi leur part de choucroute lors du repas familial … Et à rêver d’être les enfants de Fanny Ardant (ou à défaut de prénommer leurs enfants Fanny, en hommage … ). Sa prestance, sa présence, l’incroyable mélodie de sa voix nous entraînent à sa suite tout au long de la pièce, dans les méandres des histoires et des drames familiaux.

Après « Oh les beaux jours » en 2013, avec Catherine Frot, c’est Fanny Ardant dans cette nouvelle version de « Des journées entières dans les arbres » qui relève le défi de reprendre un rôle jusqu’alors complètement acquis à la divine Madeleine Renaud. Et à l’instar de Catherine Frot, ça marche ! Alors, n’attendez plus, courez à la Gaité ! 

Pratique :
Des journées entières dans les arbres
Théâtre de la Gaité Montparnasse, jusqu’au 30 mars 2014
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30
Tarif : de 20€ à 40€

Avec Fanny Ardant, Nicolas Duvauchelle, Agathe Bonitzer, Jean-Baptiste Lafarge
Texte de Marguerite Duras
Mise en scène de Thierry Klifa
Musique d’Alex Beaupain
Photos : Carole Bellaiche




« Comme un arbre perché », amitié transcendantale

Copyright : Photo Lot
Copyright : Photo Lot

Douze ans après leur dernière dispute, Louis (Francis Perrin) vient rendre visite à Philippe (Patrick Bentley) dans sa chambre d’hôpital. Le second, universitaire et écrivain, a été victime d’un AVC dont la séquelle est un « Locked-In Syndrome ». Cet anglicisme désigne une paralysie totale du corps, mais une pleine conscience de l’esprit. Pour s’exprimer, Philippe bat des cils, un pour oui, deux pour non. D’abord effaré, Louis renoue peu à peu le dialogue avec son ami, jusqu’à la mort.

Francis Perrin est ici presque seul en scène. Le spectacle tient sur ses épaules. Les quelques petits dialogues sont ceux de Louis et la belle infirmière (Gersende Perrin). Philippe, lui, est placé de dos, proche de l’avant-scène. Le public se confond avec le mourant et devient, au même titre que l’alité, l’interlocuteur des introspections de Louis. On assiste à l’évolution du personnage principal devant à son ami immobile tout au long de la pièce. D’abord effrayé, au fil de ses visites il arrive à dépasser la maladie pour considérer le paralysé comme son camarade de toujours. Il partage sa solitude, sa tristesse, ses regrets qui jalonnent une vie déjà bien derrière lui. C’est une histoire sincère, simple et humaine à laquelle on participe émotionnellement.

Sans être pathétique, le texte de Lilian Lloyd allie la tristesse d’une mort imminente et l’humour juif le plus caractéristique, où les moments les plus sombres font naître les meilleures blagues. Des larmes montent, mais une fois sorties des glandes lacrymales, elles peuvent tout aussi bien couler de rire.

Face à « Comme un arbre penché », on pense aussi au « Père » de Florian Zeller avec un autre ancien du Français[1. Francis Perrin est entré à la Comédie-Française en 1972 et il en est parti en 1973] : Robert Hirsch. Cette dernière pièce connait un beau succès public et critique au Théâtre Hébertot depuis 2012. Les deux textes partagent une thématique commune : la chute médicalisée d’un homme vers sa tombe et la réaction de son entourage. Les points de vue divergent, mais des questions d’une importante modernité émergent : la fin de vie, l’intérêt de son accompagnement… En ce sens, « Comme un arbre penché » est une pièce modeste et touchante, mais elle s’inscrit pleinement dans l’un des enjeux politiques de notre époque.




« Le Canard Sauvage », dramatique liberté

Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

Ce n’est pas le premier Ibsen que monte Stéphane Braunschweig, c’est même plutôt une récurrence dans son travail. À chaque fois, il fait ressortir de ce théâtre toute la modernité qu’il possède 150 ans après son écriture. La traduction certes, mais aussi le décor et les costumes y sont pour beaucoup.

C’est l’histoire d’une retrouvaille entre deux hommes : Gregers et Hjalamar. Le premier apprend que son père paye toute sa vie au second. Il se met en quête de lui montrer que tout cela est un gigantesque mensonge dont il est la victime. Une sorte de Truman Show avant l’heure, qui confronte les idéaux humains avec la réalité la plus sordide, mais sans être dénuée d’une certaine ironie.

Le drame se déroule dans deux espaces, tous deux intérieurs à leur manière. Le premier est un immense écran descendu sur l’avant-scène où Gregers discute avec un père de 8 mètres de haut (on décrypte aisément la symbolique !) ; le second est un intérieur qu’on imagine être celui d’une famille modeste du nord-ouest de l’Europe qui offre une belle profondeur sur le grenier du logement. Un grenier transformé en forêt. La scénographie est très réussie, douce et mobile. Elle est un espace de jeu qui soutient les acteurs à merveille et les place, au besoin, dans un déséquilibre autant mental que physique. En même temps, le décor joue avec la perception du spectateur, en se penchant vers lui, on en étant très proche de l’avant-scène. C’est selon…

Dans cet univers, les comédiens campent des personnages très marqués par leur caractère. Tous sont justes, instables : on perçoit l’indicible dualité des êtres en chacun d’eux, l’étrangeté plane sur leurs êtres, ils sont une sorte de Famille Adams Norvégienne et lumineuse. Parfois, ils peuvent être très drôles. C’est le cas pour Claude Duparfait dans le rôle de Gregers, fils mystique et psychopathe, prêt à ruiner la vie de son ancien ami dans une croisade pour sa vérité. Parfois bouleversants, comme le sont les deux rôles féminins principaux joués par Suzanne Aubert et Chloé Réjon.

Ce spectacle est un vrai drame théâtral moderne, prenant, esthétique et vivant qui fait se rencontrer le pathétique et le sublime. Il remet au cœur du spectateur cette question récurrente de l’humain : ne faut-il pas vivre dans le mensonge pour, à défaut d’être heureux, mener une vie paisible ? Chacun doit pouvoir faire son choix.

Pratique :
Jusqu’au 15 février 2014 au théâtre de la Colline,
15 rue Malte-Brun (75020 Paris)
Le mardi à 19h30. Du mercredi au samedi à 20h30. Le dimanche à 15h30.
Durée du spectacle : 2 h 30
Tarifs : de 14 à 30 euros.
Réservations au 01 44 62 52 52 ou sur www.colline.fr

 




Vivre, par défi ou par dépit

 

Photo : Pierre Dolzani
Photo : Pierre Dolzani

C’est dimanche dans cette ville de l’est de la France. La dernière mine de charbon a fermé. Elle sera désormais un parc d’attractions. De cet événement naissent neuf histoires (qu’on imagine parmi tant d’autres) qui vont se dérouler devant nous. Neuf « tranches de vies » dans un pays sinistre, délabré, oublié par le monde moderne et le capitalisme financier. « Entre-temps j’ai continué à vivre » expose les blessures des habitants de cette bourgade. Mais la pièce montre aussi comment la vie suit son cours, que ce soit par désir ou par dépit.

Deux sœurs se retrouvent, l’une est partie de sa ville natale depuis longtemps. Elle ne s’est pas donnée la peine d’accompagner son père, mutilé par la poussière âcre des galeries, jusque dans sa tombe. L’autre le lui reproche et refuse de voir en elle une personne qu’elle aime. D’anciens collègues se retrouvent, parlent d’histoires d’amour, de vieilles rancœurs en sortent… Ces espèces de contes qui pourraient nous faire penser à des « Strip-tease » des années quatre-vingt-dix sont soutenues par des comédiens au jeu très réaliste (bien que la scénographie propose un décalage : c’est une sorte de carré pentu trônant au cœur de la scène dont les acteurs font tour à tour un mur, une pente de jogging ou le sol d’une chambre).

Mais attention, ce n’est pas qu’une suite de sombres drames auxquels nous assistons. Le texte contient de nombreuses touches d’humour et de cynisme, de l’amour raté et une mise en dérision des conventions sociales dans lesquelles sont souvent représentées (et caricaturées) les classes populaires.

Entre chaque scène, la lanterne rouge de l’ancienne mine scintille, comme un fantôme, un souvenir obscur qui a marqué l’âme des personnages au fer et qui plane au dessus de leur vie, inexorablement. Et nous, spectateurs, on explore les souvenirs comme les mineurs des galeries, à la recherche d’une matière pour se réchauffer, ou dédramatiser.

 Pratique :
Jusqu’au 2 février 2014 dans la salle Rouge du Lucernaire,
53 rue Notre-Dame-des-Champs (75006 Paris).
Du mardi au samedi à 21h30. Le dimanche à 17h
Durée du spectacle :1 h 10
Tarifs : de 15 à 30 euros.
Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur www.lucernaire.fr.

 




Bonne nouvelle, Frédérick Sigrist refait l’actu !

Un soir d’hiver. Le Funambule Théâtre à Montmartre.
Et funambule, Frédérick Sigrist en est un.
Pas de filet de secours.
Une heure et demie de numéro d’équilibriste.
Droite, gauche, et même centre.
Tout le paysage politique y passe.
Et personne n’est épargné !

Humoriste.
Acteur.
Imitateur.
Sportif (si si!).
Mime.
Il nous dévoile toutes ses personnalités.
Et même un peu de son intimité.
Sa famille (réelle et politique).
Ses amis (très peu en politique).
Ses origines (méfiez-vous des évidences).

Des sketchs qui s’enchaînent.
Le rythme ne retombe pas.
Les zygomatiques s’affolent.
Et finalement perdent prise.
Trop c’est trop.
Impossible de résister.
Le fou rire est libéré.
Lâché dans la nature.
A peine le temps de reprendre son souffle.
Que déjà le rire revient.
Seule accalmie possible : le tomber de rideau.

Une heure et demie a passé.
Pas un instant le rire n’a cessé.
(Bon, ça c’est pour la rime.
En fait, quelques instants par ci par là.
Pour la bonne santé de son public.)

Déjà des moments cultes en tête.
Qu’on se prend à répéter à la sortie.
Et qu’on se surprend à répéter des jours après.
« On me dit que … »

On me dit que ce monsieur ira loin !

Pratique
Frédérick Sigrist refait l’actu
Théâtre : Funambule Montmartre
Tous les vendredis et samedis à 20h.
Tarifs : entre 11,50€ et 20,50€
Réservations : www.funambule-montmartre.com et par téléphone : 01.42.23.88.83

 

Frédérick Sigrist - Affiche du spectacle

 

 




Une soirée au Petit-Saint-Martin : « La beauté » et « Ring »

Bernard Richebé
Bernard Richebé

On peut apprécier passer une soirée sur les Grands Boulevards [1. Les boulevards qui relient la place de la République à l’entrée du boulevard Haussmann sont, depuis le XVIIe siècle, le point géographique où sont rassemblés à Paris les théâtres de divertissement pour le public populaire], sans pour autant aimer péter au lit avec son épouse. C’est pourtant ce que semble sous-entendre Eric Loret dans un article un brin condescendant, paru dans la série « Libé » explore le théâtre de boulevard, où il traite (un peu) du spectacle Divina, mettant en scène Amanda Lear dans une pièce de Jean Robert-Charrier.

Eric Loret incarne dans cet article, le critique (trop) snob, rappelant les nobles qui venaient « s’encanailler » sur les boulevards au XVIIIe. Pour ce public étaient prévus des loges munies d’un grillage, afin d’assurer leur discrétion dans ces lieux affreusement populaires. Un snobisme de la part de Loret, qui s’illustre par la nécessité de donner son avis sur tout, et surtout pas sur l’essentiel. On a droit à son avis de critique mondain sur le public (« Un monsieur d’une soixantaine d’année avec sa maîtresse »), monsieur Loret est-il aller demander s’ils étaient bel et bien amants ? On notera ici l’allusion sexiste volontairement boulevardière, où il n’existe aucune possibilité que ce soit « une femme d’une soixantaine d’année avec son amant ». On a ensuite droit à l’avis de critique gastronomique, quand il commente la commande du couple précédent (« ce sera deux suprêmes de volailles »), comment ? Tous les publics de théâtre ne commandent pas des « émulsions » et autres « gyosa » avant d’aller au théâtre ? Dieu que le boulevard Montmartre est rétrograde…

On a droit ici à ce que Libération fait (rarement heureusement) de pire. Où la critique montre sa face moribonde, affreusement tournée sur elle-même, s’illustrant à destination d’un public d’amis.

Nous revendiquons donc, sur Arkult, le droit de pouvoir s’amuser sur les boulevards, de temps en temps, pour lâcher prise, pour se vider la tête, car c’est un moyen comme un autre après tout ? C’est moins classe qu’un rail de coke, c’est sûr, mais selon le public, c’est tout aussi efficace. Il faut de tout pour faire un monde, non ? [2. Aaaah ! Encore un horrible adage populaire !]

De notre côté, jeudi soir, on est allé passer une soirée très enrichissante au théâtre du Petit Saint-Martin. Qui n’a bien sûr pas la même vocation drôlatique » que celui des Variétés, mais qui a le malheur de se trouver dans la même zone géographique. Et pourtant, les deux productions qu’il accueille sont excellente et « de très bon goût ».

Rémy Perthuisot
Rémy Perthuisot

La beauté, recherche et développement

Le spectacle de début de soirée accueille le public au son d’une voix off toussoteuse qui semble se vouloir rassurante. On se croirait entré dans un séminaire de développement personnel dont la brochure aurait été trouvée dans un Nature et Découverte, un soir de novembre. Quand la lumière s’éteint, c’est un « voyage » qui commence. Conduit par Brigitte et Nicole, ce parcours sur plateau nu met à l’épreuve l’imagination du public. Un public venu suivre une visite guidée sur la notion de beauté.

C’est sans machine et sans gadget que le duo nous guide dans l’aventure. Leur jeu est très complémentaire, elles sont là pour nous faire du bien, pour nous montrer le beau, sans pour autant masquer leur faiblesse (feinte), qui fait voir le beau en chaque chose. Elles sont un mélange entre des Madame Loyal et des vendeuses-animatrices de grande surface des années quatre-vingt dix, empaquetées dans une gestuelle clownesque.

L’humour ne réside pas forcément dans leurs répliques, mais dans l’auto-réaction qu’elles suscitent, leur simplicité les amuse et nous amuse dans la foulée. L’inspiration du texte ? La vie d’une quadra de classe moyenne, dans la vie de tous les jours. On joue sur les mots, sur le registre de l’autodérision, mettant en lumière la faiblesse des moyens techniques pour soutenir leurs discours. On notera la richesse d’investissement corporel des actrices qui ont le talent de nous faire sourire d’un geste de main (alors imaginez quand elles dansent !).

Quelques zones d’ombre dans la vie de Brigitte et Nicole jalonnent ce « voyage » et n’en font que ressortir la drôlerie pour le public. On relève la dédramatisation du monde actuel, celui qui est prêt aux pires horreurs pour retrouver la beauté, et qui finalement se mutile. Une certaine poésie réside dans les métaphores et offre finalement plusieurs niveaux de lecture au public. A la fois drôle et intelligent, ce spectacle est un manifeste humaniste.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h10

Mise en scène : Pierre Poirot

Avec : Florence Muller, Lila Redouane

ring2
Bernard Richebé

Ring

A 21 h, place au spectacle de Catherine Schaub mettant en scène Audrey Dana et Sami Bouajila, Ring. Dans ce décor moderne, une toile blanche étendue sur le mur et sur le sol, deux accessoires : un banc et un lit et se déroulent devant nous toutes les facettes de l’amour.

Cette suite de tableaux débute par une dispute de couple banale, entre Adam et Eve. Elle s’ennuie, elle veut « s’épanouir intellectuellement » et son mari ne sait plus quoi faire pour qu’elle puisse se divertir. Le problème ? Ils sont seuls. Plus tard, un autre couple : elle domine et veut de la baise, et c’est elle qui fait peur à l’homme. A un autre moment ils se connaissent à peine, ou se rencontrent par hasard. Les rôles changent et s’inversent et on est souvent surpris. Il y a du sexe, de la violence, de la volupté, parfois un peu de passion, et beaucoup d’amour.

Quand on lit le paragraphe précédent, on pourrait croire qu’il y a du drame dans toute la pièce. Oui, il y en a, mais il passe au second plan derrière tant d’humour. Le texte de Léonore Confino est extrêmement drôle, il est d’un style très affirmé et audible. Dana et Bouajila se l’approprient profondément et s’investissent corps et âmes sur le plateau, dans une mise en scène, tout en déséquilibre, réussie. Le plaisir que ces comédiens ont à jouer ensemble est visible, palpable.

Le décor est sensitif, le blanc se prête à la réflexion du bleu, du rouge, à la projection d’un décor en 3D et contribue (avec la musique, électronique, parfaitement froide mais agréable) à nous plonger dans une sorte d’hors-temps et d’hors-espace, bien que les histoires racontées mettent en lumières les problèmes relationnels et existentiels d’un couple moderne, dans un échange dominant/dominé. Des histoires d’amours difficiles, mais qu’on a un plaisir fou à vivre quand on est dans le public.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h40

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec : Audrey Dana, Sami Bouajila

 




« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère

Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier
Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier

C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]

Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…

Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.

Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.

Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.

La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.

« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com