[Théâtre – Avignon ] Anne-Cécile Vandalem embarque sur l’Arctique
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À bord de l’Arctique Serenity, six passagers. On ne sait pas ce qu’ils y font et d’ailleurs eux non plus. Polar d’anticipation, on est en 2025. Arctique se déroule dans les couloirs d’un paquebot, sur fond de colonisation du Groenland à venir. Après Tristesse, créé en 2016 au Festival d’Avignon, Anne-Cécile Vandalem signe le deuxième volet d’une trilogie sur les échecs humanitaires de notre temps. Cette épopée à huis-clos confirme que la metteure en scène belge est une autrice virtuose.
Une bourgeoise qui hurle et trimbale son mari en cendres dans une boite à biscuits. Un faux débile, lui, dégobille son mal de mer dans les sceaux à champagne. Une vieille cataleptique vide ses bouteilles d’oxygène entre deux pertes de conscience tandis qu’une voix rauque s’échappe d’une femme mystérieuse, emmitouflée dans sa combi de ski. Deux passeurs méfiants parquent cette joyeuse bande dans le salon d’un ferry qui en 2017 fut saboté par des militants écologistes.
Prisonniers sur la scène et poursuivis par une caméra, ils s’aventurerons dans les couloirs glacés et interdits du bateau : l’Arctique Serenity. Pas si serein que cela… Anne-Cécile Vandalem explore les réflexes de survie de personnages d’origines sociales différentes. L’humain n’y survit pas et tout devient permis au fil de la traversée. Mensonges, manipulations et dissimulations s’intensifient lorsque le remorqueur qui les tracte largue l’amarre. Dès lors ils dérivent et attendent la mort. Dramatique et jouissive, l’aventure est bombardée de péripéties hilarantes mais tout aussi pétrifiantes.
Casting homogène et puissant. Usage savant et pertinent de la vidéo. Exquise composition musicale. Exploitation virtuose de l’espace de la scène. Interaction délicieuse avec un spectateur qui s’effraie presque autant qu’il éclate de rire. Sans jamais une fadaise, Anne-Cécile Vandalem livre la preuve d’un vaste et subtil talent à politiser un récit. Une pépite.
Les clandestins : naufrage au cœur de l’horreur humaine
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Le cinéma sud-coréen jouit ces dernières années d’un coup de projecteur, lui valant aujourd’hui d’être connu et reconnu à travers le monde. Tenant le pari d’être à la fois exigeant et ambitieux tout en restant populaire, à l’instar du dernier film de Shim Sung-Bo : Les Clandestins.
Les Clandestins, candidat à l’oscar du meilleur film en Corée du Sud, est le premier long-métrage de Shim-Sung Bo en tant que réalisateur. Son travail de scénariste avec Bong Joon Ho pour le film Memories of Murder était déjà un succès. Nous retrouvons ici le duo gagnant, qui confirme avec ce film une œuvre saisissante. Celui-ci raconte l’histoire d’un capitaine, Mr Kang, infortuné mais épris de passion pour son bateau : le Junjin, qu’il refuse d’abandonner. Pour le sauver lui et ses hommes, il acceptera alors de basculer dans l’illégalité en transportant des clandestins lors d’un voyage qui vire au chaos. Le récit, inspiré de faits réels, est avant tout un drame social à la croisée des genres : entre thriller et film d’horreur, basculant parfois dans la comédie grâce à la palette de personnages tous plus déments les uns que les autres.
Pourtant, c’est bien une tragédie qui se joue dès les premières minutes de film, au travers d’un paysage déjà assombri et d’un capitaine au visage fermé, qui ne nous laissera jamais l’occasion de le voir sourire. Se refermant tout au long de l’histoire dans l’agressivité et la fureur. Se transformant petit à petit en une créature monstrueuse capable des pires atrocités pour sauver son bien le plus précieux. Interprété par le brillant Kim Yun-Sesk, adepte des rôles de méchant, celui-ci réussi avec brio à susciter chez le spectateur autant de haine que d’empathie dans ce rôle de capitaine abandonné.
Ce banal transport de clandestin bascule dans le cauchemar lorsqu’on découvre la vingtaine d’hommes et de femmes enfermés dans la cale, sans vie. Se montre alors à nous un nouveau visage de l’horreur humaine quand vient le moment pour l’équipage de se débarrasser des corps à coups de haches. Tournant essentiel du film, qui revelèra alors les vrais personnalités et la véritable nature de chaque membre de l’équipage pour qui, jusque là, un sentiment de sollicitude régnait. Shim-Sung Bo, réussit très bien ce retournement de situation apportant au film un nouvel élan essentiel. L’enfermement dans une sorte de huit à clos à ciel ouvert sur un pont nous permet de vivre tous les évènements comme si nous y étions : le débarquement des clandestins pendant la nuit de tempête, le contrôle de la police sur la bateau, l’histoire d’amour entre un marin et une clandestine. Histoire d’amour qui aura d’ailleurs une place importante tout au long de l’histoire, déclenchant jalousies et animosités qui feront perdre la tête et bien plus à certains membres de l’équipage. La romance s’entrelaçant avec l’horreur apporte un contraste qui vient intensifier les émotions. Là est bien la force de Shim Sung Bo : jongler entre les genres avec adresse et apporter une dynamique qui ne s’essouffle jamais.
Peu de surprise quand à la chute de l’histoire : alors que sombre au loin le capitaine et son bateau, les deux amoureux s’enfuient à la nage. Une fin vendue très vite au cours du film, où l’on comprend un peu naïvement que l’amour triomphera de toute la méchanceté du monde. Mais c’est sans compter sur le brillant réalisateur sud coréen qui ne laissera pas le film s’achever sur un commun happy end et qui réservera un dernier rebondissement. Les Clandestins est un savant mélange de genre, qui ne nous laisse pas une minute de répit, nous plongeant progressivement dans une horreur de plus en plus effrayante. Faisant basculer chaque personnage dans leurs travers les plus sombres, amenant même les plus innocents à devenir des bêtes. Nous dévoilant les plus noirs facettes de l’être humain et son instinct d’animal, nous laissant dubitatif quand à ce que notre voisin de fauteuil serait capable de faire dans une situation pareille.
« SEA FOG : Les Clandestins », de Sung Bo Shim, sortie au cinéma le 1er avril 2015.
Sans visage – Chronique de l’horreur peu ordinaire
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Un thriller qui nous vient du froid et interroge sur notre société contemporaine. Par l’intermédiaire des yeux d’une étrangère émigrée à Londres (Lia Palaja), Pekka Hiltunen nous fait réfléchir sur les mutations en cours au sein de nos sociétés occidentales.
La montée en flèche de violences toujours plus sordides, la prise de conscience et l’engagement citoyen, la crise de confiance croissante envers les institutions et administrations, police en tête.
Deux événement déclencheurs de toute l’histoire.
Le premier : une découverte macabre à l’arrière d’un coffre de voiture. Des restes humains, oeuvre d’un passage acharné d’un rouleau compresseur de chantier, déposés aux yeux de tous en plein coeur de la City. Voilà pour l’origine du mal.
Le second : la rencontre entre deux Finlandaises en terre étrangère (Lia et Mari), qui dès les premiers instants, comprennent qu’elles ont une histoire à écrire et vivre ensemble. Voilà pour l’origine du bien.
Vision quelque peu manichéenne qui va toutefois se voir nuancée au fil du récit.
Ce thriller, premier d’une trilogie londonienne, est un manifeste non dissimulé pour un certain féminisme, en guerre active contre la prostitution et les violences faites aux femmes. Un combat fortement teinté d’engagement politique, pour prévenir notre société moderne des dérives que peut engendrer la tentation de se rallier aux extrêmes. Notamment au regard de l’immigration et des débats publics que l’on connaît actuellement dans de nombreux pays européens.
« Sans Visage » peut se lire comme une ode au multiculturalisme. Au coeur d’un Londres composé de populations de tous horizons (est-ce qu’il le restera ? Les débats en cours en Grande-Bretagne pourraient modifier la donne). Avec deux héroïnes finlandaises. Et des personnages venus d’Europe de l’Est. Quel destin pour ces émigrés, en quête d’un nouvel avenir ?
Des ingrédients assez basiques finalement dans la littérature, mais qui font mouche sous la plume du finlandais Pekka Hiltunen. Sans doute grâce aux personnalités fortes des différents personnages, Lia et Mari en tête, et au rythme haletant du récit. Malgré certaines invraisemblances ou « heureux hasards » dirons-nous, « Sans Visage » ne vous laissera de répit qu’une fois achevé. Impossible de s’y soustraire en cours de lecture …
Extrait :
La panique se propagea dans la rue. Elle se répandit sur les visages des passants et dans leurs gestes inquiets.
Encore écrasée par la torpeur matinale, Lia fixa la scène à travers la vitre du bus. Tous les passants arboraient soudain la même expression, comme une grimace provoquée par une terrible nausée.
On était début avril. Lia se rendait à son travail. C’était une cérémonie de soumission quotidienne, une heure en offrande au flux de la circulation qui traversait cette ville trop grande et trop remplie. Pour Lia, vivre à Londres signifiait vivre collée à d’autres personnes, un abandon constant de son propre espace vital au profit des autres.
Ce matin-là, dans la rue Holborn, peu avant le terminus de la rue Stonecutter, elle vit quelque chose qu’elle n’avait jamais aperçu auparavant.
L’instant avant la catastrophe. C’est à ça que ça ressemble.
Une voiture était garée sur le trottoir et une foule se pressait tout autour. Là se trouvait la source de la peur, le point zéro d’où la panique se propageait.
La voiture était une grosse Volvo blanche, garée en travers du passage piétons, comme abandonnée là en urgence. On n’apercevait personne à l’intérieur du véhicule mais le coffre était grand ouvert. Les passants le montraient du doigt, et ils étaient de plus en plus nombreux à ralentir le pas et à s’arrêter.
Dès qu’une personne s’approchait suffisamment pour voir à l’intérieur du coffre, son expression changeait. La grimace.
Quel qu’ait été le contenu, il les pétrifiait tous, comme s’ils recevaient un coup en pleine figure. Beaucoup se dépêchaient de s’éloigner.
Pourtant, la foule continua à s’amasser sur les lieux.
Par la porte ouverte du bus, Lia entendit les exclamations des passants. C’étaient des phrases angoissées, hachées, elle n’arrivait pas à savoir ce qui s’était passé. Un homme appelait un numéro d’urgence avec son portable. Une dame âgée avait fermé les yeux et répétait : «Mon Dieu. Mon Dieu.»
Lia se mit debout pour voir ce qui se passait sur le trottoir, mais à l’instant même le bus démarra et les portes se fermèrent. Le chauffeur appuya sur l’accélérateur pour se réinsérer dans la circulation. L’instant d’après, Lia fut projetée contre le siège devant elle, puis rebondit sur son propre siège. Le chauffeur avait pilé pour ne pas entrer en collision avec deux véhicules qui étaient venus se garer devant lui.
Le premier était une voiture de police. Ce n’est qu’en voyant le gyrophare clignoter sur le toit, même une fois la voiture arrêtée, que Lia fit le lien avec la sirène assourdissante qu’elle entendait en fond sonore. Le second véhicule qui s’était frayé un passage était une camionnette d’une chaîne télé, flanquée du logo d’ITV News.
Le bus repartit. Lia ne pouvait plus apercevoir l’intérieur de la Volvo d’aussi loin. En un instant, la scène étrange fut derrière elle.
Pratique :
Sans Visage – Pekka Hiltunen
Titre original : Vilpittömästi sinun
Traduction française : Taina Tervonen
448 pages
Editeur : BALLAND (5 avril 2013)
Langue : Français
ISBN : 978-2353151671