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[Cinéma] Entretien fleuve au cœur de Nostos Algos

Nostos Algos © Ysé Sorel

Jeune réalisatrice, Ysé Sorel montre déjà sa patte au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Dans la compétition « Contrebandes », qui présente uniquement des premiers métrages auto-produits, Nostos Algos retient notre attention. Ce film est un voyage dans la vie de Yorgos, un Crétois qui retourne sur sa terre natale en crise économique. Ysé Sorel raconte comment la nostalgie a guidé un travail qui semble fasciné autant par un territoire que par ceux qui l’habitent.

Arkult.fr : Après la philosophie et le théâtre, comment en êtes-vous arrivée au cinéma ?

Ysé Sorel : Par surprise, car je n’y était pas attendue. Je ne l’ai pas étudié, ce qui d’ailleurs me permet une grande liberté. Je me méfie de l’uniformisation des écoles, cela me ferait perdre toute la liberté que j’éprouve dans le médium cinéma. Et puis j’ai assez fait d’études comme cela!

Arkult.fr : Justement, comment vous êtes vous servie de vos études dans ce premier long métrage?

Ysé Sorel : J’ai pensé ce film comme un essai philosophique sur la nostalgie. J’ai simplement trouvé d’autres moyens de m’exprimer : les images, le son… Je n’aime pas uniquement les films qui convoquent la philosophie, mais c’est un cadre que j’avais envie d’explorer. D’ailleurs je m’y sens bien.

« Où je vais ? Qu’est-ce que je veux faire ? Des questionnements intimes autant qu’universels »

Arkult.fr : En quoi Nostos Algos est-il un film personnel ?

Ysé Sorel : Je raconte la crise de Yorgos, le personnage principal, qui soulève des questions aussi intimes qu’universelles je pense. Je les suggère à l’écran avec des couvertures de livres qui m’ont accompagnés, parfois même tourmentés. Où je vais ? Qu’est-ce que je veux faire ? Toutes ces incertitudes me parlent d’autant plus que c’est un film d’apprentissage. Dans ce sens qu’il raconte un personnage qui se cherche, dans un pays qu’il a quitté et qui demeure en crise. Mais également puisque j’ai appris à faire du cinéma en réalisant ce projet. 

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Tous les personnages jouent leur propre rôle. Comment gère-t-on cette distance propre à l’auto-fiction ?

Ysé Sorel : Faire son miel avec le pollen de vraies existences sans tomber dans le vampirisme est extrêmement complexe. Je me suis beaucoup posée la question car ce film est à la frontière entre le documentaire et la fiction. Je crois ne pas avoir céder à cette tentation vampiriste. Parfois Yorgos a dû me donner beaucoup, et cela lui a coûté. Mais il a accepté de devenir cette surface : le personnage principal.

Arkult.fr : Qu’est-ce qui se joue dans la scène du premier repas en famille ?

Ysé Sorel : Il n’y a que du pain dur sur la table, et l’on comprend que c’est la crise. Mon but n’était vraiment pas de faire un film les difficultés économiques de la Crète. On les saisit par endroits mais j’ai juste voulu parler d’une famille, prise dans cette tourmente là. Cette histoire de pain dur rends la chose plus juste. Ce moment d’émotion fait partie des cadeaux  qu’offre le documentaire. Bien sûr cela est mis en scène, mais ce sont de vrais gens qui jouent leur propre rôle, alors c’est très touchant.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Le calme qui règne dans votre film s’est-il imposé par ce que vous avez vu sur place ou c’est une pure construction ?

Ysé Sorel : J’ai vraiment ressenti cela là-bas. La nostalgie réside aussi dans cette tranquilité. La Crète est un territoire assez particulier par rapport à la Grèce, il s’y dégage une atmosphère rassurante. Certains ne croient pas à la crise, de par l’absence de tumulte. Un des personnages dit même qu’elle n’existe pas. Avec son fromage et ses tomates il ne manque de rien. C’est une vraie leçon de vie. 

« J’aime être nostalgique car c’est une douceur, un peu comme ce voyage. »

Arkult.fr : Nostos Algos en grec signifie « nostalgie ». Quelle serait votre définition de la nostalgie ?

Ysé Sorel : Pour moi ce serait ce film. La nostalgie est un sentiment que l’on ressent plus ou moins. Comme un souvenir de l’enfance ou de toutes petites choses : une odeur, une photo, une sensation qui souvent nous échappe… À mes yeux c’est la conjonction entre un moment et un lieu qui ont marqué notre vie. La recherche de nostalgie est de l’ordre de l’insaisissable. J’y vois une forme de beauté qui me touche beaucoup. J’aime être nostalgique car c’est une vraie douceur, un peu comme ce voyage.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Vous filmez beaucoup d’images fixes. Quelle place tient la photographie dans votre travail ?

Ysé Sorel : Je la pratique de plus en plus, plutôt sur pellicule. J’ai donc un rapport très graphique à la manière de filmer. Les natures mortes en peinture m’inspirent d’ailleurs beaucoup. Je crois que je mets à l’épreuve mon oeil dans ces détails. J’essaie de donner au spectateur une forme de liberté pour qu’il puisse investir ses propres souvenirs dans les images que je montre.

Arkult.fr : « Quelle dose de pays natal vous faut-il ? » est une question que vous posez, alors on vous la retourne…

Ysé Sorel : Barbara Cassin le dit de manière très juste dans son ouvrage La Nostalgie : « On est chez soi quand on est accueilli ». J’ai tellement ressenti ça en Grèce que j’aimerais trouver le moyen d’aller habiter là-bas. Ce n’est pas mon pays natal car je me sens très française mais j’ai besoin de cet endroit, de sa simplicité.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Propos recueillis par Philippine Renon.




Que ne ferait-on pas pour la liberté ?

Copyright : François Berthier
Copyright : François Berthier

Prenons l’action à son commencement. Quatre hommes (en fait le même : Henry), style gentlemen au chapeau melon, se saluent. Un wagon en fond de scène et quelques chaises font office de décor. Les fauteuils se transformeront au gré de l’action en sièges de voiture ou de train. Ces quatre visages pris dans ce décor mouvant, racontent comment leur vie a changé du rien au tout.

Le chamboulement débute le jour de l’enterrement de la mère d’Henry. C’est à cette occasion qu’il rencontre tante Augusta, ex-effeuilleuse à la grande gueule revendiquant sa liberté face à toute morale. Le neveu, jeune retraité d’une banque, est casanier et angoissé en la présence de ce drôle d’oiseau. Il s’empresse d’écourter la rencontre car il craint d’avoir laissé sa tondeuse à gazon en proie à l’humidité. L’histoire de sa vie ordinaire prend un tour drôle grâce au regard qu’il y porte. Face à cette globe-trotteuse décidant de le prendre sous son aile, il est comme Bilbo le Hobbit face à Gandalf et les nains qui viennent le chercher pour partir à l’aventure : très frileux.

Copyright : François Berthier
Copyright : François Berthier

Elle lui propose de la suivre à Istanbul, il la convaincra de choisir Brighton. Finalement, après la rencontre avec une voyante, il cède pour l’Orient. Le voyage initiatique prend des airs d’épopée familiale jonchée de rebondissements burlesques et de la Turquie, ils se retrouvent au Paraguay afin de rejoindre l’amour d’Augusta (qui lui a déjà plusieurs fois volé ses économies). L’intrigue est presque aussi trépidante que le Tour du Monde en 80 Jours et aussi riche que Candide : plus que sa tante, c’est lui-même qu’il rencontre et son jardin qu’il cultive.

La prise de conscience se fait dans avec une vision caustique sur la vie écoulée. Henry a un sursaut brutal, sa tante lui a transmis son goût d’une liberté gardée à tout prix. Il abandonne sa vie Londonienne bordée de gazon millimétré pour devenir contrebandier dans la pampa.

Sur scène : Claude Aufaure, Jean-Paul Bordes, Dominique Daguier et Pierre-Alain Leleu. Pas de stars, mais des comédiens au sommet de leur talent. Chaque action est mimée, ils sont Henry mais aussi tous les autres : de la fille de 16 ans au perroquet moqueur, la vieille voyante et le gorille-amant de la tante. Ils sont aussi les détails (surtout Leleu) : l’horloge et le bruit de la sonnette. Ce sont quatre gueules, quatre élocutions marquées et placées dans le tourbillon de la mise en scène dynamique de Nicolas Briançon, qui fait se succéder les situations comme autant de mondes.

« Voyage avec ma tante » d’après Graham Greene, mise en scène de Nicolas Briançon, actuellement au Théâtre de la Pépinière, rue Louis-le-Grand, Paris. Durée : 1 h 40. Plus d’informations et réservations sur theatrelapepiniere.com




Stéphane Korb nous livre ses Clefs pour le Japon

Bien plus qu’un livre de photos. Pas tout à fait un guide de voyage. Plutôt le partage d’une découverte. Lentement muée en un amour véritable. Fortement emprunt de respect. D’écoute. De curiosité.

Stéphane Korb nous livre ainsi, dans ses « Clefs pour le Japon », la partition de la vie au pays du Soleil Levant. Une gamme à 8 notes. 8 clefs symbolisant l’essence de cette lointaine nation.

Clefs pour le Japon - Stephane Korb - Couverture

Pour l’exercice, passons désormais son ouvrage sous le prisme successif de chacune de ces clefs :

  • Nihon (Japon) : l’objet de ce livre d’art, de ce récit initiatique, de ce parcours intérieur au fil des découvertes extérieures,
  • Sensei (professeur) : pour la vertu didactique de cet ouvrage qui nous fournit des clés de compréhension de la culture japonaise, de ses traditions et de ses merveilles (ancestrales ou tout à fait actuelles),
  • Iro (couleur) : pour les couleurs que revêtent successivement les 200 pages de ce livre. Un pays aux mille visages, aux mille couleurs, et tellement plus encore. La magnifique couverture de Frédéric Duciel et Théo Masui en est une belle illustration,
  • Kata (forme) : pour le format de ce guide, entre récit personnel, guide de voyage, albums de photographies. Un livre qui sort des moules traditionnels, des standards du genre,
  • Shizen (nature) : pour la découverte de la multitude des paysages proposés au fil des récits et des chapitres. Paysages natures ou urbains. De jour comme de nuit,
  • Wa (harmonie) : pour le ressenti global une fois la lecture achevée. Un juste équilibre entre images, récits de voyage, conseils pratiques, et explications culturelles,
  • Kyudo (rechercher la voie) : pour le cheminement intérieur qui transparaît d’une photo à l’autre, d’une anecdote à la suivante, d’un voyage à celui d’après. Et finalement, le sentiment d’une paix (re-)trouvée. D’une sérénité acquise,
  • Jo (sentiment) : sentiment de plaisir à parcourir ces pages, se plonger tout entier dans ces instantanés de la vie japonaise et se projeter soi-même en voyage, naviguant dans ces rues, rencontrant ces gens, buvant ces whiskies.

 

Cette partition japonaise permet d’ouvrir l’esprit. De le préparer à accueillir des fragments d’une culture forte, inconnue ou méconnue. Une préparation de l’esprit au voyage du corps.

 

Clefs pour le Japon, Stéphane Korb, 29,90 €
Calligraphies : Satsuki Carrio Goto
Préface : Toshiro Kuroda
Editions : Mémoires d’artistes éditeur
Site web : www.korb-art.com
ISBN : 978-2-9546771-0-1

 




Mercredi – A. David-Néel : Indiana Jones au féminin

Alexandra David-Néel est une aventurière, une orientaliste et une tibétologue renommée. Mais si seulement elle n’était que ça, car à l’instar de grands hommes dont le savoir a traversé les siècles, elle cumule des talents d’une diversité rare. Elle est reconnue pour avoir été franc-maçonne, cantatrice, féministe militante, écrivain et centenaire… de quoi modérer l’audacieuse Jeanne Calment.

Une de ses œuvres les plus connues, Voyage d’une Parisienne à Lhassa a été publiée en 1927.

Ce récit de voyage dans l’Himalaya est très intéressant pour deux raisons : l’évasion et la liberté qui sont intactes 80 ans plus tard mais aussi l’éclairage donné sur la prise du pouvoir chinois sur le toit du monde.

On suit les pérégrinations de notre exploratrice et ses subterfuges pour progresser dans les terres interdites en compagnie de son fils adoptif, le Lama Yongden.

A l’époque où le trekking n’était pas franchement tendance chez les ménagères européennes de moins de 50 ans, avec pugnacité et un œil érudit sur la culture tibétaine, le bouddhisme et l’hindouisme, elle progresse grimée en cachant du mieux possibles ses plans.

« L’Orient – surtout au Thibet – est la terre du mystère et des événements étranges. Pour peu que l’on sache regarder, écouter, observer attentivement et longuement l’on y découvre un monde au-delà de celui que nous sommes habitués à considérer comme seul réel, peut-être parce que nous n’analysons pas assez minutieusement les phénomènes dont il est issu et ne remontons pas suffisamment loin l’enchaînement de causes qui les déterminent. « 

Elle apprend les idiomes tibétains mais voyez-vous à l’époque pas de « Wall street english » pour apprendre le «groma». Traduit des manuscrits. Rencontre des sages et des lettrés, et s’essaiera même à la méditation. Alexandra David-Néel est donc une sommité qui a grimpé vers les sommets au sens propre comme au figuré. Celle qui fut surnommée « la femme aux semelles de vent » a du cran, de l’audace, un caractère bien trempé et ce je ne sais quoi d’inspirant.
Une ode au voyage, en Orient et en soi-même.

 

Quelques-unes de ses œuvres :

  • Dieux et démons des solitudes tibétaines, Plon.
  • Journal de Voyage (Tome 1 et 2) – correspondances avec son mari, Pocket.
  • Le Bouddhisme du Bouddha, Pocket.

 




La Porte des Enfers, Laurent Gaudé

La Porte des Enfers


La mort est sans doute le dernier refuge de la religion dans nos sociétés contemporaines.


La mainmise sur la cellule familiale s’estompe peu à peu, les positions d’une grande partie de l’Eglise sur la sexualité de la société semble anachronique.

La vie sur Terre n’est quasiment plus considérée comme un passage obligé avant d’atteindre un autre monde, on a vu ainsi se développer des sociétés entières basées sur le désir, la consommation, la jouissance quotidienne et polymorphe.


Mais la mort reste propriété de l’Eglise. Les cimetières ne sont-ils pas les derniers lieux à connotation religieuse qui subsistent dans nos sociétés, aux côtés des lieux de culte ?
Ils représentent d’ailleurs un culte à eux seuls : le culte des morts.


C’est à ce culte qu’est consacré le roman de Laurent Gaudé, La Porte des Enfers.


Au commencement est un enfant, Pippo de Nittis. Jeune Napolitain, du haut de ses 6 ans, il a toute la vie à découvrir. Et pourtant, c’est sa vie qui va brutalement le quitter, un matin de marché, dans les rues animées de Naples. Un matin de marché ordinaire. Un matin où il craint d’être en retard à l’école. Un matin. Naples.

Des règlements de compte. Des échanges de tirs. Une balle perdue. Un enfant. Pippo.


Cette vie qui s’achève prématurément laisse Matteo et Giuliana désemparés. Ensemble et pourtant si seuls. Aucune communication n’est plus possible entre eux. Le spectre de leur fils se dresse désormais comme une véritable barrière dans leur couple.

Chaque regard qu’ils échangent, chaque parole qu’ils souhaiteraient prononcer viennent se heurter à la vision de leur enfant mort. Seules deux choses pourraient les réunir à nouveau : que leur fils leur soit rendu, ou que leur vengeance soit consommée.

Décor posé. Le moment est venu de plonger dans l’aventure.


L’auteur joue avec les nerfs et les émotions de son lecteur. L’atmosphère étouffante, la chaleur, la puanteur, la saleté.
Dans la lignée de L’Etranger et de La Peste de Camus, du Soleil des Scorta et de La Mort du Roi Tsongor du même Laurent Gaudé, le lecteur est opprimé, il suffoque.
Il ne reprend son souffle qu’une fois le livre terminé, l’histoire achevée, les secrets enfouis dans un oubli volontaire.

Et pourtant, dès que l’occasion se présente de replonger dans les univers oppressants que dépeint Laurent Gaudé, je ne peux m’empêcher d’y aller à pieds joints ! Et toujours sans le moindre regret !


Laurent Gaudé, La Porte des Enfers, éditions Actes Sud
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